Interview // Youssoupha

lundi 7 mai 2012, par SURL.

Nourri d’une popularité qui le place actuellement au top des rappeurs français du moment, Youssoupha a réussi la prouesse d’allier succès commercial et consécration artistique. Déjà largement plébiscité au sein de la communauté hip-hop, le Franco-congolais jouit désormais d’une légitimité qui lui permet de s’imposer comme un des cadres de la chanson française. Le tout sans surjouer l’aspect provoc à la Booba, ni emprunter un virage à 180° degré façon Abd-Al-Malik. Une prouesse dans un registre qui cherche toujours des têtes d’affiches médiatiquement crédibles depuis la grande époque des IAM et autres NTM. Actuellement en tournée pour célébrer la réussite de son opus le plus abouti, Noir Désir (sans major, excusez du peu), le « meilleur rappeur de France » est venu gester avec nous quelques minutes avant sa première date à l’Autre Canal à Nancy, puis a pris le temps de répondre aux questions que vous lui aviez posé il y a quelques mois. Entretien.

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SURL : « L’enfer c’est les autres » rappelle une scène de « 24 heures avant la nuit ». T’es tu inspiré de ce long métrage ?
Effectivement.  Je me suis complètement inspiré de cette scène d’Edward Norton, où au lieu de reconnaitre sa part de responsabilité dans le naufrage de sa vie, ce gars part dans une espèce de monologue. Toutes les responsabilités du mal incombent aux autres, qu’il s’agisse de communautés ou d’individualités. Et je trouve qu’on a tous tendance à adopter cette mentalité. Même médiatiquement, j’ai parfois l’impression que l’on monte les gens les uns contre les autres : les roms, les musulmans, les juifs etc. Tout le monde est d’accord pour dire que le monde va mal avec comme explication des arguments bien clichés.

A la fin du morceau, c’est la remise en question. Je ne voulais pas me donner le beau rôle. Moi aussi j’ai ma part de connerie et d’imbécilité dans les clichés ! Certains me concernent d’ailleurs. Mais j’essaie de grandir. La première fois où j’ai commencé à prendre du recul, c’est à la fac à l’âge de 18-19 ans. J’ai rencontré des gens différents, notamment grâce à Erasmus. Avant ça, j’étais dans mon quartier avec mes amis, une bande de jeunes noirs du 95. Nous avions  des mauvais rapports avec la police, l’administration voir même les enseignants. On se prenait pour les victimes du monde. Je me suis rendu compte qu’il y avait plus de nuance dans les personnes. L’ouverture c’est ce qui rend moins abruti.

Le vrai problème n’est-il pas la racialisation ? Certains réflexes ont tendance à  mettre en avant la couleur de peau ou la religion d’une personne sans que ce soit nécessaire. Dans le cinéma français, de nombreux rôles proposés aux acteurs d’origine africaine les cantonnent à leur origine ethnique. Qu’en penses-tu ?
Je suis complètement d’accord. Taïpan a dit dans un morceau, « je dirai à mon ami renoi de jeter son t-shirt noir et fier, car être fier de sa race, c’est un concept de blanc ». Etre noir ne me rend ni meilleur, ni moins bien que les autres. Je veux juste être pris pour ce que je suis en tant qu’homme. Si je suis brillant qu’on le souligne, si je dis des conneries également… Souvent j’en parle car on me stigmatise par rapport à ça. Aux Etats-Unis, on voit avant tout les acteurs noirs comme de grands comédiens. C’est dommage que ce ne soit pas encore trop le cas en France. J’espère que ça va évoluer.

[highlight]Aux Etats-Unis, les acteurs noirs sont plébiscités pour leur talent. Pas pour leur couleur.[/highlight]

 

Ton album est la synthèse parfaite entre la musique française à texte, les punchlines du rap américain et ton identité africaine. Tu as su les utiliser ces dernières de manière crédible. C’est assez rare pour être souligné…
C’est vrai, souvent certains tombent dans la caricature. Cet album, c’est ma culture pop perso. Tout ce qui m’enrichit est présent sur le disque : le rap et son identité américaine avec ses fulgurances et sa créativité ou encore  mes racines africaines liées à ma fantaisie. Ma culture du texte, je la tiens de mon identité française. Je voulais le faire de manière sublime, pas de manière pauvre et mièvre. C’est pour ca que le disque est peut-être aussi abouti. C’est une photographie de moi, je ne renonce à rien, je prends tout ! Même quand une chanteuse comme Indila apporte quelques rythmes de pop oriental, ça fait aussi partie de cette diversité propre à ma vie. Avoir eu toutes ces expériences doit bien servir à quelque chose !

C’est peut-être un bon moyen pour le rap français de se réinventer aussi non ?
Oui, j’ai eu le parti pris de faire un album qui ne soit pas dans la tendance. C’était un risque à prendre !

Tu as été assez critiques envers les rappeurs adeptes de la diatribe « le rap c’était mieux avant ! » Pourquoi cela ?
Je trouve que c’est une maxime d’aigri, un peu vieux con. Je suis plutôt d’une génération intermédiaire. Je n’aime pas l’idée ingrate de pré-condamner ceux qui arrivent et mettent leurs trippes dans cette musique. Il faut leur laisser leur chance. Et d’ailleurs, c’est quand « avant » ? Time Bomb, ce n’est pas NTM ! NTM, ce n’est pas Lionel D. Lionel D ce n’est pas Dee Nasty. La Cliqua, Secteur Ä, Busta Flex non plus. Tout cela s’étale sur 15 ans ! Je doute même de la culture musicale de ceux qui lancent ce genre de phrase…

Certains pensent que la old school, c’est Biggie et 2Pac…
Bientôt la old school sera « Eternel Recommencement » (rires). Il faut savoir prendre en compte une certaine relativité…

 

[highlight]Le rap c’était mieux avant est une maxime d’aigri.[/highlight]

 

Questions des lecteurs de SURL Magazine : 

Ton discours a toujours été politisé. Pourquoi n’as-tu pas pris position pour un candidat ?
Mon rap a un point de vue social. Les élections présidentielles ne me passionnent pas. Trop de thèmes gadgets et pas assez de sujets de fond à mon goût. On m’a proposé de prendre position officiellement pour un candidat, mais j’ai refusé.

Envisages-tu de collaborer avec un américain ?
J’ai toujours rêvé d’un featuring avec Nas. Mais le capter et lui faire écouter mon son, ça serait déjà pas mal !

Explique-nous le concept de « gestitude ».
Ca ne se définit pas vraiment. C’est le comportement lié à l’audace, la fantaisie, l’excès, l’exagération ! Ne me définissez pas, gestez !

Tu parles régulièrement de  Rap d’amour dans les médias. N’as-tu pas peur que ce soit utilisé pour taper sur le Rap de rue ?
Ca me dérange quand c’est utilisé pour ça. Il y a un certain rap de rue qui n’est pas de qualité. Mais le rap est né dans la rue, il en a tiré sa créativité. Mobb Deep, Lunatic, Nas, c’est grand ! Quand c’est pour opposer les deux, je ne suis pas d’accord.

Comment prends-tu le fait de ne pas avoir pu utiliser le nom « Noir Désir » ?
Par précaution, nous  ne l’avons pas utilisé. Mais de toute façon, le groupe n’est pas vraiment dans cet esprit là. Sans compter que ça aurait été compliqué concernant les référencements dans les magasins de disque. Je ne voulais pas empiéter sur leur business. De toute façon, les gens connaissent le vrai titre du disque !

Dans un registre plus léger, pourquoi les cheveux longs ?
A un moment je me suis senti la force d’un Super Sayen. Pour ce disque, je suis rentré dans la salle du temps et ils ont poussé tout seul ! (rires)

Question spéciale SURLMag : si ta musique était une recette, quels en seraient les ingrédients ?
Une dose d’esprit populaire, un peu de militantisme, beaucoup de geste et énormément d’amour !

Quel son emporterais-tu sur une île déserte ?
« A Change is Gonna Come » de Otis Redding.

Et bien sûr, nous avons recroisé Prims’ lors de son passage à Lyon, et il a eu la gentillesse de faire cette petite vidéo pour vous tous, lecteurs assidus de SURL. Merci encore à Eczema Production.;

// Interview menée par Thomas Holzer pour SURL Magazine.

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