21 juin, Brésil. Alors que les caïpirinhas descendent au rythme de la Coupe du Monde à Copacabana, l’actualité nous emmène étrangement à Fresne, dans le 94. Rohff, incarcéré depuis deux mois après l’agression d’un vendeur dans une boutique Unkut, annonce sa libération. Surprise, c’est Samuel Eto’o fils, l’attaquant star du Cameroun qui a payé la caution à quelques jours d’un match décisif pour sa sélection. L’annonce a de quoi surprendre. Pas tant que ça : les relations entre le rap et le sport sont, depuis toujours, très fortes des deux côté de l’Atlantique. En France, le sport qui a noué le plus de liens entre les deux milieux est clairement le foot ; du côté des States, la balle orange est plébiscitée. Mais cet amour fusionnel, bien loin de ton idylle estival avec la bimbo du camping de Saint-Malo, est intrinsèquement différent d’un pays à l’autre. Plongée dans les abîmes d’une inébranlable romance.
« Le foot et le rap, un rêve pour tout le monde »
« Un passement de jambe sur le beat je flambe. » Avec « Passement de jambe », Doc Gynéco a sûrement réalisé le meilleur hymne de rap au football. Une relation qui coule de source pour le Doc : « Le lien, c’est la cité ! On vient de la rue, du même monde. Et puis, le foot et le rap c’est un rêve pour tout le monde. » Simple comme un cliché ; le footeux vient majoritairement de banlieue et il écoute du rap. Sport et musique comme uniques moyens de s’en sortir ? Il n’y a qu’à voir le nombre de fois où les adeptes du ballon rond sont cités dans des morceaux pour le comprendre. D’ « OM All Stars » aux sons pro-PSG, en passant par le mythique « N°10 » de B2O, le rap s’est souvent inspiré du foot pour ses plus belles mélodies. Le plus assidu d’entre eux est sûrement Soprano : la vidéo du morceau « Halla Halla » a été tourné au Vélodrome, avec en guest Pape Diouf alors que dans « À la bien », les Cantona se plient au petit jeu du cameo. Un exemple parmi d’autres. D’ailleurs, si une grande majorité des rappeurs suit le foot ou y a joué, certains auraient même pu trimbaler leurs crampons au top niveau. Kool Shen comme Sefyu ont préféré s’occuper du mic plutôt que du ballon rond – parfois par défaut.
Pourquoi alors un tel lien ? Comme le dit si bien le Doc, généralement, la plupart des rappeurs et des joueurs sont issus des mêmes origines géographiques et sociales. Dans So Foot, Rocé décrit ce lien logique : « Dans les deux cas, c’est de la performance. » Comme le sport, le rap jeu est une réelle compétition : le rap, ça s’entretient, il faut tenter de nouvelles choses, performer et affronter une lourde concurrence pour accrocher les sommets (et y rester). De nombreux jeunes joueurs mettent en avant les valeurs revendiquées par leurs rappeurs préférés : ambition, affirmation de soi et une vision des rapports humains qui oscille entre le rapport de force et les dérives ostentatoires. « On s’en fout de qui tu es, d’où tu viens ou de ta couleur, l’important, c’est ce que tu vas faire […] Je pense que c’est ça qui fait que le rap donne tant d’espoir au sein d’une société soumise au piston », estime l’auteur de Gunz N’Rocé. Mais cette proximités naturelle n’explique pas tout, surtout quand le marketing réalise que c’est le même gamin qui achète son maillot floqué et qui se saigne pour une place de concert. Rohff a dernièrement réussi l’un des gros coup du mercato en (se) payant une visite à Milan, avec l’ami Balotelli. Le coup de com’ est fort : le rappeur du Val-de-Marne se pavane en territoire ennemi, en réponse à l’assasin « AC Milan » de Booba dont il est la principale cible. Coup double donc pour Housni qui tacle son rival en réutilisant ses propres codes tout en s’affichant avec l’un des joueurs les plus bankable du foot mondial. La volonté stratégique dans ces alliances vient-elle noircir une union qui semblait pourtant sincère ? Non, elle met juste en avant tout l’enjeu commercial qu’elle représente.
« Hip-hop ball » chez les Ricains
Outre-Atlantique, la culture hip-hop est depuis longtemps installée dans le monde du basket et sa plus clinquante vitrine, la NBA. Les raisons évoquées quant à ce lien sont, évidemment, les mêmes que pour nos rappeurs frenchies. Certains ont même franchi le pas et ont posé quelque 32 barres ou réalisé des albums de qualité diverse et variée : du plus fou des basketteurs, Ron Artest (aka Metta World Peace, aka The Pandas Friend) aux big stars Allen Iverson, Kobe Bryant ou Shaquille O’Neal, beaucoup ont poussé la chansonnette. A l’inverse, certains rimeurs sont plutôt doués avec leurs mains, Chris Brown, Master P (qui a fait un essai avec les Raptors) ou encore J Cole. Mieux, The Game est persuadé qu’il aurait pu être joueur NBA. Par son caractère urbain et le faible investissement qu’il demande (une gonfle orange et un arceau municipal voire, parfois, une simple poubelle suspendue ), mais aussi par les perspectives de réussite sociale que les jeunes des projects perçoivent dans le basket, il est devenu une pratique constitutive de la culture populaire noire américaine. C’est ce que Todd Boyd, expert, chercheur et consultant – bref, un mec intelligent – a nommé la « hip-hop ballisation » du basket. Ce mouvement culturel et sportif, dont plusieurs joueurs NBA se réclament, est né dans les milieux urbains et défavorisés américains. Le hip-hop ball est, à l’heure actuelle, une partie constituante de la culture de la franchise américaine.
La culture rap a réussi à se faire une place au sein même d’une ligue plus suivie par la famille américaine moyenne, de type Malcolm, assez éloignée de l’image du ghetto. C’est là que la différence entre hexagone et USA est notable. Les rappeurs s’affichent publiquement : présences en tribunes, participations aux matchs des célébrités ou concerts au All Star Game. Ils sont nombreux à venir se montrer au premier rang, popcorns en main ; de Snoop Dogg à 2 Chainz en passant par Diddy et consort, les rappeurs se sont fait une place dorée dans la ligue. D’autres sont même allés plus loin : en 2005, Usher fait partie d’un groupe d’investissement qui rachète les Cavaliers de Cleveland en 2005 alors que Nelly a fait pareil avec les Bobcats. De 2004 à 2013, Jay-Z ne va cesser d’étendre ses parts dans la franchise des Nets qu’il ramènera chez lui à Brooklyn. En juin 2013, Hov’ change de cap, quitte ses Nets et devient agent de joueurs NBA. Premier client ? Kevin Durant, le MVP en titre de la ligue. L’association de l’image entre KD et le businessman-rappeur a de quoi séduire. Dernier exemple en date pour illustrer l’intégration progressive des rappeurs dans la sphère sportive, celui de Drake. L’un des plus gros blockbusters du rap jeu est devenu « ambassadeur d’honneur » et chargé marketing de sa franchise des Toronto Raptors (le rôle reste assez flou). Effet immédiat : une franchise étiquetée looseuse depuis une dizaine d’années est redevenue so sexy auprès des médias.
Instrumentalisation et intégration NBA
Ces stars internationales mettent en lien leur image à celle de la NBA, dans un win-win qui paraît assez hallucinant vu de Gaule. Mais le hip-hop ball est à la fois favorable au développement du achipé achopé en tant que culture mais aussi à la valorisation des origines « authentiques » du basket NBA. Et ça ne plait pas à la ligue et ses responsables qui estiment la tendance trop éloignée des standards commerciaux que la NBA voudrait mettre en avant. Car même si aujourd’hui tout roule et l’image des rappeurs s’est quelque peu adoucie, le hip-hop ball n’a pas eu la vie facile. Après la retraite de Michael Jordan, la NBA connait une baisse dramatique des audiences, baisse notamment liée à l’image trop dirty renvoyée par une génération de joueurs gangsta à souhait – demandez à Latrell Sprewell. Le public n’accepte pas de voir des thugs gagner des millions, Allen Iverson, ses cornrows et tatouages en tête de file. Résultat ? Instauration d’un dress code obligatoire sous peine de lourdes amendes. Fini, les baggies et bijoux en or trop voyant, le costard est désormais de mise. La jurisprudence « Iverson » emmène la NBA à imposer des règles aux joueurs afin de ne pas couper avec son public : interdiction de participater à des clips « gangsta rap », trop violents, et dès la draft, les jeunes pousses reçoivent des formations pour gérer leur image et se présenter aux médias. Exit aussi les caractères violents dont l’apogée fut le célèbre « Pistons Brawl » en 2004. Lourdes sanctions et image polie, la ligue va tout contrôler afin que la culture hip-hop intégrée reste présente mais soit acceptée par son public. Au même moment, les rappeurs deviennent de vrais businessmen, prônent l’intégration horizontale de leurs activités et troquent t-shirts triple XL contre costumes trois pièces. Les rappeurs veulent se fringuer en hommes d’affaires et les joueurs de basket suivent les tendances vestimentaires des rappeurs. Au final, tout le monde se retrouve avec des tuxedos, pour le plus grand bonheur des grands gourous de la NBA.
En France, de tels rapprochements apparaissent aujourd’hui très utopiques. L’image associée au rap reste encore très difficile et trop stigmatisée. Le raccourci est simple : rap → argent → sales gosses → guetto. Il n’y a qu’à voir les réactions médiatiques aux photos de vacances d’un Benzema aux côtés de B2O ou de Rohff (entre les deux, son cœur balance) ou l’incompréhension suscitée par les doubles rotors de Pogba et d’Anelka. Un autre frein important apparaît pour les rappeurs qui souhaiteraient investir dans leur sport favoris et pas des moindres : l’argent. Bien que représentant le deuxième marché mondial de rap, à part quelques poids lourds, il paraît impossible pour eux d’investir dans un club. Deuxième frein : l’envie ? Il est peu probable qu’en France les rappeurs souhaitent prendre le risque de s’exposer médiatiquement en tête d’un projet footballistique. Mais indirectement, ils aiment y tremper l’orteil, dixit les pancartes Unkut dans tous les stades de France et avant l’Équipe du dimanche sur Canal+. Quid de Wati-B qui s’affiche fièrement sur les fessiers des joueurs de Montpellier et de Caen les soirs de multiplex ? Un compromis suffisant pour associer leur image au monde du foot sans en subir de plein fouet les retours médiatiques.