Christian Estrosi est l’ami des artistes. Le 10 septembre dernier, les plus attentifs ont pu trouver son nom entre ceux d’Adele, de Noel Gallagher ou de Lykke Li dans les remerciements du nouveau disque de… U2. Le maire de Nice s’empresse de relayer l’information : « Merci à mon ami #Bono pour ses remerciements dans son magnifique album et sa fidélité à notre territoire ! » Oui, le motodidacte – son surnom – est un homme puissant. Sa réussite inspire : sans diplôme, lui qui a arrêté l’école à 16 piges pour se consacrer à sa carrière de pilote s’est frayé un chemin, grâce à un bagou monstre, jusqu’aux hautes sphères politiques. Ministre sous Villepin puis sous Fillon, Estrosi est aujourd’hui solidement installé comme député-maire à Nice. Une success story comme il s’en fait peu de ce côté de l’Atlantique.
Cette carrière là, Infinit’ en rêve. Au tout début de l’été, le 1er juillet, le rappeur d’Antibes balance sur Youtube un morceau hommage : « Rolex, quinze mille, pétasse moi c’est Christian / Costard, vingt mille, pétasse moi c’est Christian / Chauffeur, berline, pétasse moi c’est Christian / La crise ? Ahahah, pétasse moi c’est Christian. » Si vous lisez cet article, vous avez déjà probablement prêté une oreille à ces rimes bien senties. Trois jours après la sortie du son, l’édile niçois porte plainte – ou annonce l’avoir fait, du moins. Résultat : 11 000 vues en 72 heures, 80 000 aujourd’hui. Jackpot pour le rappeur, discret jusque là en 2014 mais qui compte bien profiter de ce nouvel élan. Infinit’ ne s’en cache pas : enregistré en février, le track est volontairement diffusé six mois plus tard, au milieu de la polémique sur l’arrêté anti-drapeaux qui entoure Estrosi. « Bien sûr que ça a été bon pour moi, c’était le but. »
« Je ne m’en cache pas. Déjà, je kiffe le morceau et je kiffais l’idée de faire un morceau sur ce mec là. Le son est bon avant d’être un son conçu pour faire du buzz ou quoi. Nous, quand on parlait, on se disait il allait porter plainte ; on rigolait et on sen battait les couilles. On voulait juste faire un bon morceau mais on savait à tout moment que ça pouvait créer la polémique. » Les médias nationaux se sont évidemment jetés sur l’affaire : L’Express, Le Figaro, Le Parisien, BFM, RTL ou encore Nice Matin ont toqué à la porte de l’Antibois. Infinit’ s’en contrebalance et ne craint aucune poursuite. Injure publique ? Diffamation ? « Je ne me rappelle même plus, mais ça devait être un truc comme ça. » Trois mois après les faits, personne n’a essayé de le joindre. À l’inverse, la demande autour des t-shirts floqués à l’effigie du morceau, avec un jolie « ZINNN J’AI AUCUN DIPLÔME COMME CHRISTIAN E*****I » sur le torse, est fulgurante. « Pour moi, c’est pas sérieux. T’as quand même le droit de dire ce que tu veux, tu as quand même un minimum de droit. Après c’est pas comme si j’avais passé trois minutes à l’insulter, il y a du second degré. »
Jusque là, en 2014, le Sudiste ne s’était affiché « que » sur les projets de ses amis Alpha Wann (« Parle-moi de benef' ») et Deen Burbigo (« L’oseille à la bouche »). Pourtant, sur de nombreux freestyles (ici, ou là), Infinit’ montre qu’il a les armes pour se faire une vraie place dans le rap jeu. Surtout qu’il est très bien entouré : « C’est quelqu’un avec qui, humainement, je suis proche, déjà. C’est la famille. Ensuite, en terme de musique, si demain je pouvais appuyer sur un bouton pour qu’un artiste pète, il ferait clairement partie de ceux que j’aimerais voir exploser en France« , nous disait Bigo en mars dernier. Que ce soit du côté de membre de L’Entourage, de Neochrome (Seth Gueko et Alkpote notamment) ou de Veust avec qui il multiplie les collaborations, le rappeur s’est construit un large réseau d’influence. « Quand je monte à Paris, je suis tout le temps avec eux [Alpha et Deen, ndlr] et vice-versa quand ils descendent par ici, on est proches. » Pourquoi être resté si sage cette année, outre l’écart Estrosi ?
Parce qu’il prépare la sortie de son nouveau projet, PLUSSS, qui pourrait bien être celui de la consécration. D’ailleurs, un remix de « Christian Estrosi » sera offert en bonus pour ceux qui pré-commanderont le disque : Nekfeu, Alkpote, Alpha Wann et Greg Frite sont dessus, c’est dire l’engouement suscité par le morceau originel. « Forcément, la couleur sera trap. Mais il y a plein de trucs différents dans la trap, pas toujours les mêmes rythmiques, des mélodies qui changent… Mais ça sera de la trap, tout est fait par DJ Weedim. Ceux qui le connaissent savent déjà à quoi s’attendre. » Une chose est sure : il y a peu de chance que ça ressemble aux grandes tendances du rap français. En ce moment, il écoute le Géorgien ILoveMakonnen (« Sex, Love Ecstasy » et « Maneuvering ») ou la mixtape Uzi Vert de The Real Uzi ; ce qui se passe dans l’hexagone, il y est presque imperméable. « Je t’avoue que le rap français, j’essaie de suivre pour me tenir au courant mais j’en écoute pas. Je sais pas trop, il y a du bon, du mauvais. Je me concentre plus sur mon truc à moi. » Son remix de « No Flex Zone », à la sauce Côte d’Azur, donne un aperçu de son étrange univers, à mi-chemin entre le Scottie Pippen de 1992 et Rae Sremmurd (dont les deux membres du groupe n’étaient d’ailleurs pas nés, en 1992).
Nul doute qu’il ne pourra, malheureusement, pas compter sur le soutien de Christian Estrosi. Attention à ne pas faire d’amalgame : l’abile « Chri-Chri » n’a rien contre les rappeurs. Un mois après son beef avec l’emcee d’Antibes, le maire de Nice s’affiche bras dessus bras dessous avec Kaotik, un « artiste formidable » qu’il vient de recevoir dans son clinquant bureau. Infinit’, lui, ne l’a encore jamais rencontré. « Je l’ai croisé une fois, avant le morceau. » Pas rancunier pour un sou, son image du motodidacte n’en est pas altérée : « Carrément, j’aimerais bien être comme lui. C’est le pire qu’on puisse me souhaiter. »
Article conçu avec l’aide de Mothey Crep