« J’ai vu un homme mourir » : on a traduit l’autobiographie de Scarface

mardi 4 août 2015, par Olivier Cheravola.

Scarface aura tout connu. L’enfance dans les ghettos de Houston, l’ascension avec les Geto Boys, son groupe, la dépression et le combat incessant avec ses démons. Dans son autobiographie, Diary of a Madman, sortie cette année, l’ex président de Def Jam South livre sans fard des pans entiers de cette dualité entre gangstérisme et rap game, et aborde certains épisodes de sa vie. Comme cet incident tragique à Shreveport, où il cotôya la mort de près. On a choisi de vous traduire cet extrait initialement paru chez Cuepoint. Un témoignage brut de décoffrage.

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« 1992 aurait du être une année grandiose pour les Geto Boys. Mon album Mr. Scarface is back m’avait non seulement établi comme artiste solo, mais avait aussi solidifié mon nom et ma réputation. J’étais un des premiers MCs – peu importe la provenance- à insuffler sur disque le langage de la rue. Pendant que les concurrents se vantaient de bien rapper, moi je kickais avec un langage mortel, et tous ceux qui étaient un peu au jus à cette époque, savaient que j’étais intestable à ce jeu là. Et pas mal d’enfoirés commençaient à entendre parler de moi. Au point que Mr Scarface is back était devenu disque d’or quelques semaines après sa sortie fin 91.

Et puis en février 92, notre album We Can’t Be Stopped fut certifié disque de platine par la RIAA. Disque de platine ! C’est dingue ce qu’il se passe quand tu as un hit sur ton projet. Mais au lieu de le célébrer ça comme un groupe, le groupe a volé en éclat. Une petite mort. Après que le monde entier nous ait chié dessus, il devenait clair que la seule chose qui pouvait stopper les Geto Boys, c’était nous mêmes.

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Au lieu de profiter du succes de We Can’t Be Stopped en bossant sur un nouveau disque des Geto Boys, Willie s’était barré enregistrer I’m Goin’ Out Lika Soldier pendant que Bill commençait son premier solo, Little Big Man. Mais James ne voulait pas que ce moment de flottement dans le groupe fasse foirer le label. Alors, en novembre, il pris une poignée de morceaux d’inédits et les rassembla autour d’une sélection de hits intitulé Uncut Dope : Geto Boy’s Best. On n’avait rien enregistré de spécial pour cet album, mais il contenait deux nouveaux tracks : « The Unseen », qui était le premier morceau des Geto Boys avec Big Mike en featuring (à la place de Willie D), et un de mes solo « Damn It Feels Good to Be a Gangsta ».

“Damn It Feels Good” était un inédit de l’album Mr. Scarface Is Back, mais on l’a sorti et clippé comme un single et les fans étaient comme des dingues. Je pense que c’est cette chanson aver “Mind Playing Tricks on Me” et “A Minute to Pray and a Second to Die” de Mr. Scarface Is Back, qui ont consolidé le style auquel j’ai été associé durant route ma carrière. Des histories sombres en lien avec la rue, et hantées par une conscience ( et un peu plus relax que ce que j’avais pu sortir auparavant, à l’époque où j’étais juste dans le délire à défoncer des enfoirés à coup de pied). Des années plus tard, Mike Judge et son film Office Space ont fait de “Damn It Feels Good” une des chansons les plus remarquables de ma carrière. Je ne me souviens pas de la session d’écriture de ce morceau en particulier, mais ce que je sais c’est que quand j’écrivais je n’imaginais pas des mecs en train de défoncer une imprimante laser comme dans le film !

Sans album des Geto Boys en vue et Mr. Scarface Is Back sorti moins d’un an auparavant, j’ai passé l’année 1992 sur la route à faire du biff. On a vendu plus de 500 000 copies de Grip It!, du jamais vu pour un indé, et l’album We Can’t Be Stopped a fini disque de platine. Mon album solo était disque d’or, mais les ventes ne payaient toujours pas le loyer. J’étais loin de faire l’argent d’une star du rap, du moins pas comme je le pensais à l’époque. Si je voulais de l’oseille, il fallait charbonner, et l’obtenir tout seul.

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Et c’est exactement ce que j’étais en train de faire au début de l’année 1993 quand tout est parti en couilles, ce matin du 17 janvier, dans un snack à gaufres de Shreveport, en Louisiane.

Je ne sais pas ce que vous savez à propos de Shreveport, mais si vous imaginez un truc tranquille juste parce que c’est un petit bled de Louisiane, alors vous ne connaissez rien à rien. En réalité, c’est un champ de bataille et ça l’a toujours été. Ce n’est un mystère pour personne, et si vous pensez que les mecs là bas sont des rigolos, c’est le meilleur moyen de s’attirer des galères. Le truc peut exploser à tout moment, et tu as intérêt à être prêt, peu importe d’où ça vient.

Au commencement, tout s’annonçait comme une nuit comme les autres. Je jouais à Shreveport donc, juste un show de plus dans le Southwest. Ca n’était pas un gros événement, juste une date détachée de ma tournée. Neuf fois sur 10 on me bookait pour un show au Texas ou un état voisin et on bougeait tôt dans la matinée, on roulait jusqu’au spot pour défoncer le show, on récoltait la tune, on bouffait un bout et au pire on niquait deux trois meufs avant de rentrer à Houston la nuit même ou le lendemain.

Pas grand chose de plus. Il y’avait moi, mon manager B.W., mon frère Warren, mon cousin Jamal, mon homeboy Lil Joe, mon meilleur ami Rudy Sanders, et quelques enfoirés de plus. On avait jamais de sécurité, et même à l’heure actuelle on en a toujours pas. On bottait des culs s’il fallait. C’était ça notre sécurité. Si il fallait bastonner, on était là. Si il fallait sortir les flingues, on les sortait. Ça ne changeait rien qu’on fasse de la ‘zique. On était parés à toute éventualité. Mais peu importe comment tu es préparé, des fois les choses ne se passent pas comme prévu. 

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Donc on déboule à Shreveport, et après le show on file dans une Waffle house pour grailler un bout. On est posés là avec un de nos OG du coin quand ce type débarque avec ses potes et commence à nous souler avec des questions relou genre « Il est où Scarface ? » en sachant pertinemment que je suis assis en face de lui. Je pense qu’il cherchait à faire le chaud.

En fait je ne me souviens plus de l’étincelle qui à fait partir le truc en couilles. Disons qu’on allait pas rester assis là avec ce mec qui commence à nous faire monter dans les tours. Tout le monde est donc sorti et c’est là que ça a pété. Une énorme baston sur le parking. Tout le monde était là à se patater quand un des gars a sorti son feu et s’est mis à tirer, me touchant à la jambe juste au dessus du genou.

Dès que j’ai été touché, j’ai gueulé « J’suis touché ! J’suis touché ! «  Un des gars avec qui on était m’a attrapé pour m’emmener à l’intérieur et s’assurer que j’allais bien. Mais dès que ce premier coup de feu fut parti, c’était foutu. Les enfoirés se canardaient sur le parking, tiraient dans le spot, les balles pleuvaient. J’étais hors du coup, j’essayais de rester à couvert pour pas me faire shooter à nouveau quand Rudy a chopé un gun d’un des gars de l’équipe adverse et a déboulé dehors pour allumer les mecs. La minuté suivante, un flic lui tirait dans le dos. Abattu comme ça, alors qu’il essayait de riposter. Au lieu de s’en prendre à ces enculés qui nous avaient canardé en premier, il venait d’étende le seul type qui essayait de nous protéger.

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Rudy était déjà mort quand l’ambulance s’est pointé. Je le connaissais depuis un an seulement, mais on était jeunes et à cet age les liens se nouent facilement. C’était un type bien et quand j’y repense, je me rappelle qu’il affichait un air triste quand on était venus le choper le matin. Comme si il ne voulait pas venir. J’étais dans le van, et il me regardait de cet air grave, et je me souviens juste avoir crié « vas y mec, on y va ! » Il est monté à bord pour ne plus jamais revenir chez lui. Mort à 23 ans en Louisiane pour une connerie, abattu par un keuf. Et ils ont dit que c’était un homicide justifiable. Il n’y avait pas grand chose qu’on pouvait faire à part lui dire au revoir et essayer d’avancer.

Je suis sorti de l’hôpital dans la nuit. Je me souviens que Suge Knight était passé me rendre visite juste avant. Je ne sais pas ce qu’il foutait à Shreveport ce soir là, mais on se côtoyait quand je zonais à L.A et Big Mike bossait avec Dr Dre sur The Chronic. J’imagine qu’il avait su que je m’étais fait tirer dessus et avait décidé de passer. Mec, s’il avait été là, Suge aurait fait flipper ces enculés, c’est certain. Nous on était pas flippés. On savait déjà ce qui se passait. C’est peut-être pourquoi il avait du respect pour nous. Il savait qu’on se couchait devant personne.

Shreveport était à 4h de route de Houston et à l’hôpital ils m’avaient filé de quoi tenir pendant le trajet. Mais chaque fois que l’effet des médocs s’estompait, ça me brûlait de ouf. Mec, ça faisait un mal de chien. C’est la seule fois où je me suis fait shooter, mais je vais te dire, se faire shooter une fois ça devrait être suffisant pour n’importe qui. Après ça, y’avait pas moyen que je me fasse shooter encore. C’est pour ça que je tire en premier désormais.

En même temps, mon délire ça a toujours été ça. « Mon négro, j’suis prêt à tout envoyer valser. Et toi? «  Quand c’est vraiment la merde, tu dois être prêt à y aller à fond, c’est la seule solution. Voilà où j’en suis.

Je suis prêt à mourir. Et vous ? »

– Brad “Scarface” Jordan

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