Du 2 au 7 juin, le TRAX Festival mettait à l’honneur des danseurs de toute la France, amateurs ou professionnels. Le temps d’une semaine, la ville Saint-Etienne était envahie par la grande tribu b-boy ; discrètement, nous nous y sommes infiltrés. Reportage de l’intérieur.
Samedi 6 juin, 16h, Saint-Etienne. Le mercure aura du mal à redescendre en dessous des 30 degrés et s’il y a de l’électricité dans l’air cet après-midi là, ça n’est pas lié aux conditions climatiques. Sur une carpette posée à même le goudron d’un playground, une dizaine d’adolescents en sueur s’affaire à travailler les basiques du break. Coupoles, thomas, baby freeze s’enchainent sans sourciller. Ce training sous une chaleur accablante ne semble nullement entamer la détermination qu’on lit sur leurs visages.
Et pour cause, quelques heures plus tard aura lieu un Battle Kids (comprendre pour moins de 15 ans). C’est le point d’orgue du festival TRAX, l’un des seuls à faire la part belle au rang national à la danse hip-hop, et à sa représentation séculaire : les battles. Des 8 équipes venues de toute la France qui s’affronteront en 4 contre 4, une seule repartira avec la gloire… et un Archos dans les mains. Ce n’est donc pas un cagnard de plomb qui arrêtera la dizaine d’apprentis b-boys qui se pressent déjà sur la piste improvisée. « Le hip-hop c’est brutal des fois. Ça leur apprend la vie. Sinon, ils auraient fait de l’escrime », nous annonce en souriant Morgan Nony, programmateur du Théâtre Tardy qui accueille le battle pour sa seconde édition. On est donc prévenus, la journée se déroulera sous des auspices quelquefois spartiates.
« Attends, il faut en garder sous le coude »
Pourtant, ce n’est pas l’image que donne d’emblée les jeunes b-boys. Looks savants ou débraillés, souvent rigolards et en parfait mimétisme avec les aînés, donnent aux qualifications un côté bon enfant et bouillonnant, tant et si bien qu’on a l’impression que les danseurs sont là pour bouffer la moindre parcelle de mesure rythmique. Aux commandes du dancefloor, la colonne vertébrale de la journée : le DJ. Ils sont deux à tenir les rênes aujourd’hui, Loconels et Dj Scratchon, alternant regards furtifs sur les danseurs et passe-passe discrets sur leurs vinyles, pour prolonger les breaks, moments de syncope rythmique les plus propices à la danse. Un des kids donne déjà tout ce qu’il a sur Dizzee Rascal. Les figures s’enchainent avant que la gravité ne reprenne ses droits et ruine sa tentative de freeze. Le môme s’affale, ruisselant. « Attends, il faut en garder sous le coude pour les qualif’ ! Donne pas tout », sermonne son coach.
Car qui dit battle dit team, et qui dit team, dit entraîneur. Pour Ali, en charge de la team Breizh B-Boys (Bretagne-Finistère), son rôle va bien au delà de l’entrainement : « Le break, c’est une véritable école de vie. Je me sens plus chargé de transmettre et de coordonner. Dans nos trainings on a affaire à des jeunes de 13, 14 ans dont on questionne les bases techniques pour les amener plus loin avec des stages de 2, 3 jours en commun pour développer la cohésion. » Pour le Breton, les qualités d’un bon b-boy sont celles qu’on retrouve chez un sportif de haut niveau. Constance, rigueur, sérieux. Avec ce supplément d’âme propre au break. « La technique ne suffit pas, il faut avoir une assurance, un style. Quand on danse, on partage d’abord une émotion. Et puis c’est une question d’environnement aussi. Des fois tu vois des mômes de quartiers populaires arriver avec une détermination… Ça te fait te rappeler d’où vient cette danse. Que c’est un exutoire, un affrontement à la base. »
Pourtant, si cette notion de surpassement et de compétition plane en filigrane, l’ensemble de l’après-midi baignera dans un esprit bon enfant, familial. Le fameux esprit du cercle, cher aux b-boys. Et rappelons qu’il s’agit avant tout de danse. Les membres du jury, sont là pour l’attester. Jackson du Infamous Crew énonce clairement leurs critères : musicalité, style, occupation de l’espace. « C’est une question d’attitude aussi. Comment tu rentres dans le cercle, si tu fais kiffer le public ou pas… » Et Babyson du Wanted Posse de préciser : « Le battle c’est aussi une histoire. Il y a une vraie écriture chorégraphique. Il faut être juste au moment voulu. » C’est sans doute ainsi que le break dance s’éloigne le plus des préjugés acrobatiques qui lui collent aux basques : par sa spontanéité. « Et puis les éléments d’un bon battle sont assez simples : du bon son et de la compétitivité. Il faut que ça se rentre dedans », conclut Jackson.
« Le battle, c’est aussi une histoire »
Cette écriture chorégraphique dont parlent les deux jurys, on aura tôt fait de la découvrir le soir même lors de la finale… et de la prendre, sourire aux lèvres, en pleine figure. Une grammaire gestuelle drôle et spectaculaire à la fois, pleine de défiance et d’humour. Des combinaisons en solo ou à deux, donnant à la soirée des airs de Rival Schools in real life. Pris par l’énergie et la sélection musicale impeccable des deux DJs, on se prend au jeu à décoder les réactions théâtrales des b-boys quand ils chambrent leurs adversaires. Les deux avant bras claqués l’un sur l’autre pour imiter un clignement de paupière, signe que le camp adverse vient de réutiliser une phase, ou l’ensemble d’une team se mettant à frapper le sol vigoureusement pour vanner une figure ratée.
Et quand l’équipe marseillaise South Style remporte la finale, on est presque tristes de devoir quitter les lieux, étonnés de s’être pris une baffe scénique. « Que ça se rentre dedans… » Ok. Rendez vous pris l’année prochaine pour tendre l’autre joue.
Merci à toute l’equipe de Trax et à la compagnie Dyptik.