Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Alors que Drake a lancé son « Hotline Bling » à l’assaut du classement Billboard, son succès laisse à D.R.A.M. un goût amer. Le rappeur de Virginie, auteur d’un tube « Cha Cha » dont l’extrapolation par Aubrey Graham est assez évidente, se sent lésé. Rassurons-le, sa musique méritait une oreille bien avant que le scandale n’éclate. Mieux encore, elle est appelée à valoir encore plus dans les mois qui viennent. Zoom sur cet artiste charismatique au sourire inimitable.
« I like to cha cha / In a Latin bar/ With a Dominican that resembles / Taina. » Si vous n’avez jamais entendu ces mots, prenez garde. Ce refrain qui a provoqué des dandinements incontrôlables chez Beyoncé n’est pas près de vous quitter.
Mélodie fredonnée sur une terrible instru, source du conflit avec Drake, « Cha Cha » résonne toujours plusieurs mois après sa sortie. Le clip compte d’ailleurs quelques millions de vues sur Youtube. Ça n’en fait pas un hit pour les masses, plutôt une de ces pépites secrètes que l’on est fier de balancer dès que l’occasion se présente. Le producteur qui a eu la géniale idée de superposer ce sample sautillant à des sons issus de Super Mario Bros mérite une médaille, celle de l’audace. Peu importe, alors, que la vraie Taina soit d’origine porto-ricaine et non dominicaine: « Cha Cha » est un carton plein pour l’artiste de Virginie.
D.R.A.M. semble faire partie de ces nouveaux phénomènes qui apparaissent de nulle part avec le tube parfait, à la mode des Post Malone ou Raury. Mais les comparaisons avec ces prétendus industry plant s’arrêtent bien vite. L’œuvre du rappeur d’Hampton respire le fait maison et le craft rusé avec les moyens du bord. Le bonhomme a commencé à enregistrer en 2005, et comme beaucoup avant lui, a vécu un vrai parcours du combattant avant d’en arriver là. Comme beaucoup d’autres, un certain goût du chant lui vient des heures passées avec le chœur de l’église étant jeune.
Débrouillard, le rappeur d’Hampton achète un micro pour 100 dollars et enregistre plus d’une centaine de titres avant de connaitre le succès de sa première mixtape #1EPICSUMMER, parue en 2014. Ce premier projet réussi pourrait être labellisé fair trade, puisqu’il est quasi-exclusivement produit par des artistes locaux. Autre bon point pour lui, D.R.A.M. possède le critère qui définit le cahier des charges de tout rappeur de cette nouvelle génération : la polyvalence. A la fois chanteur et emcee, il alterne avec succès les refrains accrocheurs et les morceaux plus raw, à l’image de son « #1EPICRANT (Ode To Struggle Rapper) », un medley de huit minutes entre trap bien sale et boom bap ravageur. D.R.A.M. est un vieux soulman transposé dans un corps de jeune qui peut se targuer d’avoir tout compris de son époque.
Armé de son hit imparable et d’un caractère qu’on imagine enjoué, D.R.A.M. a réussi à créer des connexions plus qu’intéressantes au cours des derniers mois. Son nouvel EP Gahdamn!, qui vient tout juste de sortir, comprend une version de son titre « $ » retravaillée par le brillant Donnie Trumpet. Ce même musicien que l’on vous présentait il y a quelques mois, et qui fut le chef d’orchestre de l’œuvre collective Surf, que le web a attribué à tort à Chance the Rapper. D.R.A.M. choisit donc avec un goût impeccable les gens qui l’entourent. Ce n’est certainement pas un hasard s’il a rejoint la tournée Family Matters de Chance. Et si l’unique invitée de son nouvel EP est la talentueuse SZA.
Son œuvre jusqu’ici est consistante, et son talent lui permet de tirer une cartouche dès qu’il a l’occasion de poser un refrain. C’est ainsi qu’il éclipsait totalement un Rome Fortune pourtant réputé pour son charisme sur leur dernière collaboration « 24-7 ». Sur son featuring « Dont’ Talk About It » avec Michael Christmas, il rappelle carrément le regretté Nate Dogg, autre choriste d’église devenu fine gâchette du rap chanté. Ce chant, chez D.R.A.M., est suffisamment original pour capter l’attention et la retenir, car il s’éloigne des mélodies feutrées et sirupeuses du R’n’B moderne. Son attitude cool et sa voix, infusion de soul et du funk le plus débridé, sont clairement les gros atouts de son business plan. On ne s’étonne pas qu’il ne fasse quasiment que chanter sur Gahdamn!. Il y a quelque chose de très instinctif, organique et brut dans ses performances. Les effets vocaux saturent, son coffre et ses envolées dans les aigus surprennent. Le résultat n’en est que plus humain.
En conséquence, tout n’est pas parfait : ses deux projets manquent ici et là de maturité artistique et de cohérence. Ses raps sont occasionnellement anecdotiques. Il semble l’avoir accepté en se concentrant sur le chant pour son nouveau projet, plus réussi que le premier. Peu importe : il est agréable de voir à nouveau quelqu’un expérimenter, réussir et parfois échouer. Un vrai artiste, en somme. Il n’a finalement pas fait de vagues avec l’affaire de Drake, et c’est tout à son honneur. D.R.A.M. a ainsi montré qu’il était là pour la musique et pas pour le show business, à l’opposé de son braqueur présumé. Il est plus déçu que rageux, et Erikah Badu ne s’y est pas trompée en le consolant d’un beau tweet de soutien.
On en vient donc à ce qu’on pourrait appeler le Cha Cha gate. Le conflit vient du sample d’une chanson de Timmy Thomas datant de 1972, commun aux deux titres et utilisé de manière très similaire. Drake, d’habitude peu avare en matière de promotion de nouveaux artistes – cf Migos, ILoveMakonnen et autres The Weeknd – n’a pourtant pas estimé utile de rendre hommage à D.R.A.M. sur ce remake officieux. Ce point épineux a un peu éraflé l’artiste d’Hampton. Drake a-t-il profité de l’engouement suscité par son hit underground pour propulser « Hotline Bling » ? Sans l’ombre d’un doute.
A sa décharge, son rôle de prescripteur commence à lui apporter quelques casseroles, à l’image de ce qui s’est passé avec les Sauce Twinz. Et Meek Mill n’est sûrement pas le seul à considérer que le rap a besoin de changer d’étendard. Alors qu’il règne en plus grande popstar que le rap n’ait jamais porté, Drake cherche plus que jamais à asseoir sa domination. Peu importe, au final, si ça signifie piétiner quelque peu les petites gens : le rap n’est-il pas depuis toujours une affaire de compétition ? Personne ne peut lui interdire d’utiliser le même sample qu’un autre. Même si, en l’occurrence, le timing est suspect. L’examen du verre à moitié plein nous pousse à dire que ce morceau profitera certainement à la carrière de D.R.A.M. Reste qu’en 2015 un simple tweet aurait permis de faire un geste un peu classe, plutôt que de s’enfoncer dans des explications approximatives.
C’est certain, « Cha Cha » était déjà un tube sur Internet avant que Drake ne sorte « Hotline Bling ». Et oui, le canadien l’avait entendu et s’en est probablement servi pour gravir quelques marches sans se fatiguer. Mais réduire D.R.A.M. à un artiste tout juste bon à se faire braquer serait une erreur grossière. On regrette, au final, que la rampe de lancement dont il aurait pu profiter s’en soit retrouvée amoindrie. A lui de caler cette affaire sous son pied pour écraser l’accélérateur et passer la vitesse supérieure. Bien négociée, la route qui s’offre à lui promet de belles embardées. A vous de réserver votre ticket pour ce voyage unique.