Le rap aura-t-il toujours un temps d’avance ? Non contents d’avoir imposé leurs livraisons mélancoliques et atmosphériques jusqu’à viser l’international, les frangins de PNL ne cessent d’impressionner par leur maîtrise aussi fine des stratégies de communication les plus innovantes que de l’autotune. Pour analyser ce phénomène, quoi de plus logique que d’interroger l’un des plus célèbres stratèges en communication de notre pays ? Entretien en cinq questions avec Jacques Séguéla sur l’approche marketing du duo de Corbeil-Essonnes.
Petit rappel des faits. En février dernier, des milliers de personnes recevaient un message du duo de rap français le plus en vue du moment, informant leurs (très) nombreux fans des dates de leur prochaine tournée des Zénith et autres grandes salles de la métropole. Devins, les PNL ? Stratèges, assurément. Quelques jours avant, le duo avait teasé la sortie du troisième court métrage issu de l’album Dans La Légende à l’aide d’affiches mystérieuses en forme d’avis de recherche. Un numéro à composer permettait aux curieux d’entendre au bout de la ligne… le morceau « Béné », indice révélateur du prochain titre à être traité par un visuel. Voilà pour la première couche. Sauf que cette opération de com’ cumulait plus d’effets qu’un baril de lessive, puisqu’elle a aussi permis à Ademo et N.O.S. de récupérer une précieuse liste de numéros de téléphone. Liste qui sera mise à profit, donc, pour dévoiler les dates de cette nouvelle tournée. Deuxième couche assurée, finish move en beauté.
Une opération menée d’une main de maître qui a dû faire baver plus d’un acteur majeur du marketing, à l’heure du Big Data et de la monétisation des données personnelles. Aussi belle qu’elle fut, cette opération n’a pas surpris outre mesure venant d’un groupe qui semblait déjà jouer à la brésilienne avec son image depuis QLF. Entre le singe envoyé à Skyrock en guise de lapin posé, l’absence totale d’interview – si ce n’est un entretien sans grande levée de rideau au magazine américain de référence The FADER – , et l’affiche géante placardée sur le périphérique pour la sortie de Dans La Légende, PNL affirme dans sa com’ plus que nulle part ailleurs qu’ils ne sont « pas comme eux« . Même s’il faut reconnaître qu’il existe dans le rap français une longue tradition de street-marketing qui fait mouche, et qu’Ademo et NOS ne sont pas les premiers à briller par leur manière de placer leurs pions.
Si ces stratégies suffisent à fermer quelques clapets dans le domaine musical, on pouvait légitimement se demander ce qu’en pensaient les acteurs de la communication. Ceux qui ont pour métier, justement, de nous surprendre et d’imprimer des images de marque dans nos crânes pour que l’on se retrouve la main dans le porte monnaie – ou dans l’urne électorale – sans avoir eu le temps d’y réfléchir. Un petit jeu dont Jacques Séguéla semble être devenu le pape. Fondateur de l’agence RSCG en 1970 depuis absorbée par le mastodonte Havas, le conseiller devenu célèbre pour les jeunes générations par sa sortie verbale sur les Rolex est depuis plusieurs dizaines d’années l’homme qui murmure à l’oreille des politiques – sur la scène internationale – et des marques. Etant passé à côté du phénomène PNL, nous avons rapidement piqué son orgueil et sa curiosité. Refusant de consulter les liens que nous lui avons envoyé pour décrire les exploits de com’ d’Ademo et NOS, il a tenu à mener ses proches recherches sur le duo avant de répondre à cinq de nos questions.
SURL : Est-ce réellement inédit ? Ou est-ce l’ensemble de l’imaginaire autour du groupe et son aura actuelle qui donne l’impression de techniques révolutionnaires ?
Jacques Séguéla : Est-ce réellement inédit ? En pub tout a déjà été inventé. Nul n’a oublié les fesses de Polnareff ou les pubs des Beatles. Mais plus les années passent, plus percer est difficile. Comment percer au-dessus du tumulte médiatique tel l’avion perce au-dessus du tumulte des nuages ? La différence se fait par le produit d’abord. Pour PNL : le mariage contre nature de la violence langagière et de l’imaginaire sensuel du groupe, plus que par les techniques dites révolutionnaires, par la magie de la com ensuite.
Leur stratégie finit par devenir un sujet à part entière et à être étudiée par les médias, créant une sorte de deuxième couche, comment analysez-vous ça ? Est-ce si facile à atteindre ?
C’est Diaghilev, le danseur, qui a donné la règle d’or de la pub à son ami Cocteau, le poète, en définissant son art : « étonne-moi. » Pas si facile. Ici, le déclic est venu le jour où la Nuit Debout a entonné « Le Monde ou Rien ». Les rebelles naissent toujours de la contestation.
Afficher ce grand format sur le périphérique parisien entre Porte de Saint-Ouen et Porte de Clignancourt leur a coûté 140 000€ (emplacement 100 000€, pose 27 000€, fabrication), qu’auriez-vous fait de mieux avec le même budget ?
Grands espaces, grands moyens, grand impact et un retour sur investissement dus aux réseaux sociaux plus qu’aux automobilistes défilant devant l’affiche. De la belle ouvrage !
Récolter la meilleure data, ici les numéros de téléphone, pour vendre des billets de concert, connaître son public pour coller au plus près à ses désirs. N’est-ce pas l’objectif ultime d’un acteur économique comme un autre ?
Les PNL sont les fils de pub du futur. J’ai toujours pensé que la pub était un art, mineur mais un art : dès lors qui mieux que les artistes eux-mêmes pour pouvoir faire la leur. Affaire de talent, une data sans idée reste une adresse muette. À PNL de savoir continuer à donner à leurs messages du son et du sens.
Créé par des acteurs du rap, le street marketing est devenu un outil incontournable dans pour tout plan com’ qui se respecte, y compris dans les grosses agences, ce n’est pas un peu le contraire de ce que disait Coco Chanel : “il n’y a pas de mode si elle ne descend pas dans la rue” ?
Coco Chanel a dit vrai en son temps mais les temps changent, la mode désormais naît de la rue, dans la rue, pour la rue. Vive la street fashion et longue vie à PNL. Mais attention il est plus difficile de se taire que de parler, même si l’anti-com’ reste la meilleure des com’. À la condition expresse de se répéter sans lasser. Le génie c’est de durer.