Rather You Than Me de Rick Ro$$ ne suscitait guère d’attente particulière auprès du public rap, rien de moins qu’une galette de plus à son compteur. Sa recette habituelle – qui consiste à faire un parmentier de rap clinquant de chez clinquant sur une couche de trap music servie avec le gratin du moment – a fini par lasser, et engranger moins de recette. Le départ du boss de Miami de Def Jam l’a-t-il contraint de complètement revoir sa copie ? Absolument pas : ce neuvième album est bel et bien une livraison Maybach Music full option, mais qui parvient à retrouver le standing de ses grands standards que sont Deeper Than Rap et Teflon Don. Et là, c’est l’épatement.
Rick Ross a toujours été vendeur de rêve avec son rap ‘deluxe’ bâti sur des fantasmes de petit gangster qui regarde Scarface tous les dimanches. On l’a vite compris – et entendu – depuis ses premiers singles majeurs « Hustlin’ » et « Push It », qui samplaient justement « Scarface (Push It To The Limit) », issu de la B.O. du film culte. L’ascension du rappeur lancé chez Def Jam par Jay-Z, en dépit de quelques accrocs avec 50 Cent notamment, n’a ensuite été qu’irrésistible jusqu’aux très riches Deeper Than Rap (2010) et Teflon Don (2011) qui sont devenus ses mètres-étalons. Puis, sans trop de raison apparente, la qualité de ses albums n’a fait que décliner ou stagner. God Forgives, I Don’t était supposé nous emmener plus haut sur une montagne de pièces d’or avec sa guestlist digne d’un gala de charité (Jay-Z, Usher, Pharrell, Dr Dre, Andre 3000…) mais parce qu’il y avait des gobelets en plastique pour servir vin et champagne – la faute à des producteurs de second choix –, les gens ont reculé devant le buffet. L’album sera néanmoins certifié disque d’or, mais ce sera le dernier. Rick Ross fait donc appel à un millionnaire pour se renflouer (artistiquement), Sean Combs alias Puff Daddy, pour Mastermind. Cette fois ça manque de bangers. Hood Billionaires ne manquera pas d’être la cible des critiques face à cette auto-caricature de trop et sans saveur, et plus tard Black Market peinera à convaincre avec son format de mixtape améliorée, chic mais devenu ringard.
Mais ça, c’était avant. Tandis l’écoute de Rather You Than Me se prolonge délicieusement, on se demande alors comment Rozay a pu revenir à un tel niveau de raffinement. Comment ? La vraie question est plutôt : grâce à qui ? Antonio ‘L.A.’ Reid. Coïncidence ? Personne n’y croit pas. Si vous ne connaissez pas ce nom, sachez juste que cette éminence de l’industrie du disque est à l’origine de l’émergence et des succès des Outkast, TLC, Usher, Ciara… C’est aussi lui qui a officiellement annoncé le retour inespéré de A Tribe Called Quest l’an passé. Alors, quel rapport avec Rick Ross ? L.A. Reid a été le dirigeant d’Island Def Jam Music Group de 2004 (année où Jay-Z a pris ses fonctions de président chez Def Jam) jusque 2011, l’année où est sorti Teflon Don, avant de retourner chez Sony pour redévelopper la filiale Epic Records. Et le choix de Rick Ross de quitter la maison Def Jam pour Epic a été motivé par cette volonté de refaire des affaires avec son patron historique. « Quand je suis arrivé en 2006, tout ce qu’on faisait c’était gagner, on faisait de gros chiffres, raconte le boss de MMG sur XXL début 2016, L.A. a toujours compris ma vision artistique et créative. À chaque fois j’allais à son bureau, on s’asseyait et on discutait de différentes approches. On a toujours réussi à se mettre d’accord et on a toujours gagné gros. En fin de compte, c’est ce sur quoi j’ai basé ma décision. » Tout est dit.
Rather You Than Me, successeur naturel de Teflon Don
Plus Rozay prend de la bouteille (Rozay, bouteille… vous l’avez ?), plus ses rimes deviennent intéressantes. « I’m Michael Jackson to the rich niggaz », proclame-t-il sur « Santorini Greece », faudra quand même poser la question aux gens qui paient l’ISF. En tout cas, quand il se met franchement à rapper, il s’ouvre sur des sujets plus personnels et même politiques comme sur « Apple of my Eye » (« I’m happy Donald Trump became the President / because we gotta destroy before we elevate »). « Powers That Be » avec Nas n’a en revanche rien de politique (contrairement à ce que l’intitulé peut laisser penser) mais il ne s’agit pas moins d’un égotrip de puissant chef d’entreprise qui fait bomber le torse. Rick Ross n’hésite pas d’ailleurs à se mettre au même niveau que les Puffy et Jay-Z. Birdman ? Il a raturé son nom de cette short-list. Ross se dit choqué et déçu par l’attitude du boss de Cash Money qu’il adulait par le passé, au point de lui dédier un titre entier, « Idols Become Rivals », sans refrain et très froid – avec ce sample déjà utilisé par Jay-Z sur « Where Have You Been ». Et comme l’homme n’est pas une petite nature, il n’utilise aucune forme de rimes subliminales : Stunna est clairement la cible. En lisant entre les lyrics très cash, le rappeur se sent sincèrement trahi par son idole et revient longuement sur la chute du millionnaire à la tête étoilée, en se rangeant du côté des artistes qui ont été abandonnés par Birdman, que ce soit DJ Khaled, Turk ou B.G., voire abusés comme Lil Wayne – même au sens physique, si on se fie aux rumeurs. L’intro de Chris Rock semble anecdotique en comparaison de cette attaque. On apprend également grâce à Rather You Than Me que Rick Ross a froncé du regard quand il a va Nicki Minaj débarquer dans la vie de Meek Mill (« I told Meek, I wouldn’t trust Nicki / Instead of beefin’ with your dog, you just give ’em some distance »).
On ne pourrait pas mieux résumer cet opus que par une métaphore automobile, puisqu’on parle du patron du groupe Maybach Music. Rather You Than Me, par rapport à Deeper Than Rap ou Teflon Don, c’est comme passer d’un modèle de Rolls Royce de 2010 à la gamme renouvelée, flambant neuve et plus on point que jamais. La philosophie est identique, le luxe surabondant, les dimensions statutaires, des petites choses dont on a jamais osé imaginer. La grande classe, en somme, en plus moderne. La préférence de Rick Ross va à une Rolls Royce Wraith ; la trap s’accorde bien avec le côté dynamique de cet exceptionnel coupé.