La rubrique #VIEW de SURL vise à mettre en lumière le travail de certains artistes, photographes et autres graffiteurs. Les images parlent d’elles-même et ne nécessitent, le plus souvent, que très peu de mots pour situer le contexte. Aujourd’hui, focus sur le travail de David Delaplace, auteur du livre Le Visage du Rap qui regroupe plus de 400 portraits d’acteurs de la scène rap française.
Si on devait qualifier David Delaplace en un mot, « authentique » serait certainement le plus approprié pour résumer aussi bien l’homme que son travail. Véritable autodidacte, il débute la photographie en 2011. La technique, c’est seul qu’il l’apprend en regardant des making of de shootings photos. « Je me souviens du making of d’une des premières pochettes d’album de Guizmo realisée par Fifou. Il avait un ring flash. Je l’ai acheté, je ne l’ai pas utilisé pendant des mois mais je l’avais, j’ai appris à m’en servir par la suite. »
Son terrain de jeu et d’apprentissage ? Son quartier d’origine, Les Bergeries, à Vigneux-sur-Seine (91). Il nous a paru presque logique de le rencontrer à cet endroit, dans l’appartement de sa mère, entouré de ses proches et photographié par son ami Kopeto. « Au départ, je filmais des scènes de vie de mon quartier, je filmais l’ambiance, les bagarres avec la police, les voitures qui brûlent, un peu tout. C’était à l’époque de Skyblog. A ce moment-là, personne ne faisait de l’image ici. Toutes les photos, vidéos qui concernaient ma ville, ça venait forcément de moi. Je faisais du skate, je filmais aussi beaucoup à ce sujet mais mes nombreuses blessures m’ont stoppé. »
Son entrée dans le milieu rap s’est faite très simplement. Quelques photos prises pour son frère rappeur arrivent entre les mains du manager de Tito Prince, originaire du même quartier. Puis c’est autour des membres du groupe La Comera de lui demander à leur tour de prendre quelques clichés. C’est en février 2014 émerge naturellement l’idée du livre Le Visage du Rap, un projet qui nécessite plus de 3 ans de travail, auto-financé via une campagne de crowdfunding et auto-édité. « Le livre, c’était un moyen de faire du concret, et aussi d’être plus libre en termes de création, même si parfois l’artiste n’a que 5 minutes à te consacrer. Ça a été très formateur pour moi car j’ai dû m’adapter aux contraintes de temps, de décor, de lumière… Dans ce contexte, tu es forcé d’être plus créatif. »
C’est Oxmo Puccino qui accepte de poser en premier pour le livre. Son idée en tête, David le contacte dès le lendemain : « Quand j’ai eu l’idée, j’ai appelé un pote à moi qui connaissait un ami d’Oxmo Puccino. Une fois face à lui, je lui ai parlé du projet comme si je l’avais dans la tête depuis plusieurs mois. De l’avoir photographié, ça m’a ouvert quelques portes. » Au fil des prises de contact et des rencontres, David reconstitue l’histoire du rap français. Il retrouve des artistes restés dans l’ombre, qui n’ont enregistré qu’un seul morceau ou participé qu’à un seul freestyle, mais pourtant cités en référence par ceux qui sont aujourd’hui dans la lumière. À tel point que lors d’une conversation téléphonique avec Olivier Cachin, ce dernier confirme la complexité de ses recherches : « Je lui ai donné une liste d’artistes pour avoir son avis, savoir s’il pouvait me donner des contacts. Il m’a dit que j’allais trop loin ! Même si certains artistes n’avaient fait que de brèves apparitions ou avaient disparu, j’ai quand même essayé de les chercher. » Ce travail de brainstorming constitue une partie importante du travail sous-jacent à la sortie du livre. Dans sa chambre, le mur est recouvert de post-its avec des noms de rappeurs et de personnalités influentes du rap. « J’ai aussi demandé aux artistes de me faire des listes, de me donner 2-3 noms en évitant de me donner les classiques Solaar, IAM ou NTM. L’idée, c’était vraiment de recenser une grande partie des acteurs connus ou inconnus qui ont influencé les artistes de ce milieu. »
Si certains n’y voient qu’un simple regroupement de portraits, ce livre souhaite avant tout dépasser les clichés qui entourent encore aujourd’hui la culture hip-hop en général et le rap en particulier. Une volonté confirmée par le photographe : « Dans la musique française, le genre est encore considéré comme le vilain petit canard, mal vu et rempli de clichés. Une grande partie des rappeurs viennent de la banlieue. Ce projet, c’est autant un projet sur le rap qu’un projet sur la banlieue. J’ai voulu éviter de tomber dans le cliché en apportant ma vision et ne pas rester dans un truc trop kaira. Par exemple, la drogue, les voitures, les filles nues, il n’y en a pas dans le livre, à part quelques mecs qui fument et 2 culs. Si tu compares à tous les clips de rap français c’est rien. »
Presque 4 ans après avoir lancé son projet, l’énergie dégagée par le photographe témoigne de sa sincérité. Autre preuve de son engagement : le nom de son livre, tatoué sur sa main gauche. Un investissement à la fois humain et financier qu’il avait certainement sous-estimé et qu’il prendra en compte pour ses futurs projets : « Au vu du temps passé et des coûts, il n’y aura pas forcément de rentabilité. Mais il fallait le faire et prendre le temps. Même pour ma famille c’était compliqué. » Et lorsqu’on lui demande inévitablement quelle sera la suite, sa réponse apparaît sans surprise, en adéquation avec le bonhomme : « Je pense que le prochain projet sera davantage centré autour de l’humain. Le projet rap correspond à la musique que j’écoute et à mon quotidien mais il est sûrement moins personnel que le suivant, qui sera plutôt fait avec mes tripes et qui s’adressera à un public totalement différent. »
Le Visage du Rap, par David Delaplace, disponible sur le site https://www.levisagedurap.com/.