Difficile pour les villes de provinces d’accueillir les fines gâchettes du hip-hop US. Si cette réalité ne date pas d’hier pour diverses raisons (faible attractivité, stratégies européennes, manque de public), force est de constater qu’elle se confirme d’années en années. Outre le passage obligé par la capitale, Marseille voir Lyon viennent parfois se greffer sur l’agenda des MC’s cainris, avant que ces derniers ne voguent vers d’autres cieux. Raekwon, l’un des pions majeurs du Wu-Tang-Clan, a fait exception à la règle en partant à la rencontre des fans du Wu à travers la France.
Après avoir écumé les scènes de Rennes, Ramonville, Cleon, Reims, Marseille, Nîmes et Orléans, le cuistot en chef du plus grand groupe de rap de l’Histoire est venu délecter, ce jeudi, le public nancéien de l’Autre Canal d’un show aux saveurs new-yorkaises. Mais pas n’importe lesquelles, celles des bas-fonds de Staten Island, borough exilé à quelques miles de l’East River et terre d’origine des neufs moines Shaolin qui composent le Wu-Tang. En bon soldat, Raekwon a pu faire ressentir au public la magie de l’univers sonore du Clan. Plus qu’une simple franchise façon McDonald, l’identité du Wu représente un « label de qualité », vanté du début à la fin du concert par l’un de ses plus fidèles représentants. L’auditoire composé de hip-hop heads confirmés n’a d’ailleurs pas manqué de faire rejaillir les gimmicks du collectif transmettant un peu plus d’énergie au chef étoilé. Donnant-Donnant !
En bonne légende du MC’ing qu’il est, Raekwon avait de quoi faire valoir ses étoiles inscrites depuis un bout de temps au guide Michelin du Hip-Hop. Proposant dés l’entrée les énormes classiques de 36 Chambers que sont « C.R.E.A.M. », « Can It Be All So Simple » et « Da Mystery Of Chessboxin », le chef n’a pas fait attendre ses convives, les rassasiant tout de suite de ses mets les plus réputés. DJ Symphony s’était auparavant chargé de l’apéritif en constituant une playlist musclée de premier choix.
Atteindre le statut de respectabilité au sein du hip-hop que possède Raekwon n’est pas le fruit du hasard. Forcément, ses qualités intrinsèques de MC, portées par une technique de flow sans faille et des lyrics aux tournures imagées, n’y sont pas étrangères. Mais ce n’est pas tout. Fort d’un premier solo quasiment aussi fort que le premier Wu-Tang avec Only Built For Cuban Linx, le rappeur de 41 ans a remis le couvert presque 15 ans plus tard en lâchant une version 2.0 d’un niveau équivalent. Costaud ! C’est ce combo sucré-salé à la sauce Cuban Linx que Raekwon a proposé en plat de résistance. Un savant mélange des époques lui permettant de célébrer les saveurs exquises des années 90 sur Verbal Intercourse ou encore Incarcerated Scarface, tout en restant au goût du jour sur des productions plus récentes de Dr Dre (« Catalina », « About Me ») et de The Alchemist (« Surgical Gloves »).
Sans véritable temps-mort, la soirée a bien sûr été marquée par le traditionnel hommage à son ancien compagnon de fortune Ol’Dirty Bastard. Pour sa part, Raekwon a pu ravir le public du traditionnel béguin des américains pour la France. Entre le mielleux (« Je vais m’acheter une maison en France ») et le saugrenu (« J’écoutais cette musique en prenant le train pour Manhattan. Vous avez des trains en France ? »).
En bon disciple des recettes de sa majesté RZA, le Chief n’a pas non-plus lésiné à épicer son show d’une ambiance soulful délicieuse ; le tout prenant la forme d’une soul food traditionnelle, sans fioriture et sans excès d’égocentrisme. La vieille école la joue définitivement plus authentique, à 1000 lieux de l’esthétique des MC’s actuellement à la page. Ici, pas de gastronomie prétentieuse, mais du hip-hop à l’ancienne où le cuistot distribue champagne et vodka à ses convives (ce qui est assez unique pour être souligné…) tout en les gratifiant de ses 20 ans d’expérience en matière de cuisine rapologique. Pas vraiment fit, Raekwon a pourtant su s’économiser et garantir une prestation de haute volée du début à la fin du show. Du « 4 étoiles »!