Baloji, ex-membre du groupe belge Starflam, a sorti fin 2015 son EP intitulé 64bits and Malachite qui mêle rap, musique congolaise et électro. À l’occasion de son passage au festival À Vaulx Jazz, près de Lyon, il nous parle de ce nouveau tournant musical dans sa carrière.
Baloji a l’art de se réinventer. Au point où l’on se demande presque si l’ex figure de proue de Starflam n’aurait pas un temps d’avance à chaque fois. Le genre de timing délicat qui expliquerait que sa musique, pourtant universelle, ait du mal à se frayer un chemin en France au moment où la Belgique retrouve pourtant une aura de coolitude. Après avoir délaissé en 2010 les ambiances urbaines de Starflam, Baloji a tracé un sillon en solo avec comme point de départ son incroyable premier album Hôtel Impala. Une oeuvre intime aux airs de fresque familiale qui déjà esquissait un retour aux sources pour le rappeur d’origine congolaise.
A l’heure où la mode tend à coller des adjectifs « afro » devant un peu tout n’importe quoi, celui dont le nom signifie « sorcier » en langue bantou mérite plus que jamais un peu plus de lumière sur ses allers-retours musicaux entre terre d’accueil et continent des origines. Juste avant son passage au festival A Vaulx Jazz, on est donc allés parler avec lui du parcours de Starflam, de rumba congolaise et d’obsolescence programmée. Quand tu allais, il revenait.
SURL : Explique-nous la métaphore autour du titre de ton album, 64bits and Malachite. Tu dis « d’un côté une mélodie accrocheuse derrière une grille Ableton, de l’autre une pierre précieuse qui n’a que la valeur qu’on lui donne »
Baloji : C’est une métaphore de l’époque en fait. J’ai un regard de négropolitain car c’est comme ça que je me positionne. C’est un terme avec lequel les Haïtiens désignent leurs semblables qui vivent dans les métropoles occidentales. Pour retranscrire la manière dont les négropolitains sont liés à leur condition, le mieux était d’utiliser mon iPhone, mon ordi, cette addiction. 40% de ces bécanes viennent du sol Congolais et on est dans cette surenchère constante de technologie, cette obsolescence programmée où chaque évolution devient une révolution qui condamne tout ce qui existait avant. Et d’autre part, cette pierre, la malachite, c’est une espèce de pierre iconique dans la région d’où je viens (le Katanga) mais qui n’a aucune valeur. Elle n’a qu’une valeur affective, on en fait des bijoux de pacotille. Et je trouvais que l’association des deux était intéressante.
Tu peux-tu nous parler du tournant musical pris avec ce nouvel EP ?
Je ne sais pas si c’est plus actuel mais j’utilise souvent la comparaison avec un peintre. Kinshasa Succursale, mon précédent album, c’était une façon de faire mes gammes, de respecter les codes du genre. C’était un disque enregistré en prise directe, sans programmation, sans séquenceur. Pour moi c’était important de faire ça avant de pouvoir y apporter ma propre lecture. Je considère vraiment la musique congolaise comme une matière première, à la façon qu’ont les américains d’approcher le sampling à travers Otis Redding ou Nina Simone chez Kanye West récemment. Je trouve qu’il y a un héritage africain qui est tout aussi riche. C’est juste qu’aux yeux du monde, cette musique est vue comme tribale et archaïque, alors qu’elle comporte une véritable finesse.
Comment tu bosses sur les prods ? C’est toi qui produis ?
C’est vraiment du 50/50 avec des partenaires spécifiques. Un morceau comme « Unité & Litre » par exemple, il y a un sébène congolais, donc un rythme de clubbing, et une guitare congolaise. Après, j’ai bossé avec un Anglais du collectif « The Very Best » qui a amené cette touche « London Style » pour faire un morceau plein de transitions. C’est des partenaires différents sur chaque titre.
Baloji sur scène ça ressemble à quoi ?
On est assistés par des machines mais c’est principalement un live band. J’ai un groupe fantastique qui m’accompagne dont le leader s’appelle Dizzy Mandjeku. C’est une véritable légende vivante, qui a joué avec les plus grands, de Tabu Ley Rochereau (NDLR : le père de Youssoupha) à Franco, et qui joue même la guitare sur « Papaoutai » de Stromae. C’est lui qui va à la rencontre de mon univers et vice et versa.
Si tu devais définir un style Baloji ?
Et bien je n’en sais rien. Et c’est bien le problème de ma maison de disques. Ils n’arrivent pas à me mettre dans une case. Rapologiquement, ce n’est pas assez technique pour être du rap, ils estiment que ce n’est pas assez world music parce qu’il y a des beats, donc ils sont un peu emmerdés. C’est vraiment le genre de projet qui emmerde les boites de prod françaises. Du coup c’est difficile à développer parce qu’ils ne comprennent pas qu’un projet puisse à la fois être dans le jazz, dans le hip-hop, lié à l’afro-punk ou dans les festivals de world music. Ils ne sont pas habitués à ça.
« Je voudrais voir un rappeur belgE FAIRE un genre de C’est arrivé prêt de chez vous«
Dans une interview pour SoFoot, le comédien et réalisateur Bouli Lanners parlait de Starflam comme ayant été les Assassin ou les NTM belges…
C’est cool ! En fait il est sur mon album Hôtel Impala, il fait le contrôleur du train, celui qui fait les annonces dans le train sur le morceau « Liège-Bruxelles-Gand »
En France on n’a pas vraiment mesuré l’impact que Starflam a eu sur le Rap belge, pour toi est-ce que vous avez vraiment été cross-over ?
Pour moi Starflam c’était un groupe d’ados. On avait 17 ans au début. Donc à un moment tu n’arrives pas vraiment à te rendre compte de ce qui se passe. En fait je vois ça en plusieurs phases. Un premier album éponyme dans lequel on est vraiment collé à une réalité d’étudiants, à une époque où il y avait énormément de manifs et où la Belgique sortait de l’après-Dutroux. On a bénéficié de cette dynamique là et on est devenu une sorte d’étendard de ce discours, un peu de la même manière qu’NTM faisait écho à des manifestations en France à la fin des années 90. Puis l’album Survivants où il y a eu un single un peu latino et un genre d’alignement des étoiles qui fait que les gens sont rentrés dedans sans vraiment calculer. Le troisième album Donne Moi de L’Amour était vraiment rap. Du coup, tu n’as pas de single pour les radios et donc ça a été beaucoup plus dur. J’ai vraiment une lecture de Starflam en trois temps et je ne le vois pas spécialement comme un genre de phénomène. Ils ont fait une sorte de reformation il y a pas longtemps mais je n’étais pas de la partie.
Est-ce que tu gardes un œil sur la scène émergente belge d’aujourd’hui ?
Je connais un peu l’équipe d’Hamza par exemple. Je pense qu’il amène vraiment un truc frais sur cette espèce de rap un peu planant à la PNL, qui fait fantasmer les français. Sauf que je crois vraiment que chez lui c’est beaucoup plus abouti. Je suis plus intéressé par des mecs comme Hamza ou Damso parce qu’ils sont moins dans ce truc « le vrai hip-hop ». J’ai un peu de mal avec cette idée un peu fantasmée que les nineties c’était mieux.
Caballero par exemple, compare Bruxelles à Toronto. Comment expliques-tu ce pas de côté dont les Belges sont capables, ce décalage ?
Je crois qu’il y a une scène belge qui a compris qu’on avait rien à perdre, vu que de toutes façons on est un genre de sous-continent. Il y a des choses qui se sont passées ces dernières années qui nous donnent la liberté de se dire qu’on a rien à perdre.Et en même temps c’est assez codé, Caba c’est proche de 1995 ou de Deen Burbigo, que j’aime bien d’ailleurs. En fait j’aimerais bien voir une vraie plume, une vraie personnalité dans le rap belge. Je n’ai pas encore entendu quelqu’un qui m’a fait me dire « Lui, il dit : Je vous emmerde ». Je voudrais voir un rappeur belge faire un genre de C’est arrivé prêt de chez vous.
Dans le morceau qui donne son nom au dernier EP, tu parles de rap post-Banlieue ?
Le « rap post-banlieue » c’est un rap qui est sorti du carcan d’opposition entre les cités, qui sort de la glorification d’un certain mode de vie. C’est aussi des artistes qui assument d’être dans la trentaine et d’être liés à une autre réalité. Et malgré tout, ça ne t’empêche pas d’être un artiste. Je viens pour réduire le gap entre rumba et boom bap.
N’est-on pas entrés dans l’ère du post-rap ?
Je pense qu’on est en train de passer dans un truc que les Américains ont depuis deux décennies : la variété. Mais la variété au sens propre du terme, une multitude d’expressions du rap. C’est toujours ce qui m’a fait tripper dans le rap américain. C’est extrêmement varié, c’est un prisme dans lequel tu as d’un côté Migos et de l’autre Talib Kweli et au final l’un ne va pas sans l’autre. Quand tu entends un mec de New-Orleans, tu sais qu’il est de New-Orleans. Pareil pour Detroit ou Outkast et Atlanta, chaque ville à son propre son Par exemple, en ce moment, le rap français est obnubilé par le son de Chicago.
Que penses-tu de cette tendance à mettre des substantifs comme « afro » ou « ethno » devant chaque style ?
C’est toujours positif quand les diasporas arrivent à avoir leur propre son, parce que ça permet justement de ne pas toujours avoir à courir derrière les ricains. C’est hyper important de se réaproprier cette musique et l’afro-trap y contribue, MHD y contribue. Il y a pleins de trucs cool. Même dans l’afro-house ou le naija sound il y a pleins de mecs talentueux. La diversité est incroyable entre des mecs au Kenya, au Ghana, en Afrique du Sud, en Ethiopie.
Dans le clip de « Capture » on te voit caché derrière une feuille de bananier. Est-ce que c’est juste pour l’image forte ou est-ce qu’il y a un sens caché?
En fait c’est une symbolique liée aux premiers Negmarrons. C’était les premiers gangsters qui portaient ça comme masque lorsqu’ils attaquaient les diligences. Après, ça a été repris dans des mouvements populaires et dernièrement au Burundi.
Tu fais un grand écart sur 64bits and Malachite entre des sons axés dancefloor mais des lyrics toujours complexes avec des sujets forts, sociétaux, des références au Congo et de l’introspection.
En fait, je pense n’avoir qu’un seul métier, poète. Ça peut paraître prétentieux mais je veux juste faire de la poésie. Toutes mes chansons naissent de la même manière, c’est avant tout un thème. Trouver quelque chose à raconter, et trouver la manière de se rapprocher de l’idée que je m’en fais visuellement. Par exemple dans « Unité & Litre » je voulais parler de ce basculement culturel qui fait que c’est le privé qui investit la culture et l’art, et qu’il prend la place du gouvernement. Ce qui fait que des tas de groupes ici jouent pour SFR ou Ricard ou que des salles de concerts portent le nom de particuliers. C’est la même chose au Congo où les gens chantent des chansons de pubs en boite.
« C’est révoltant de payer 1$ pour un litre de bière mais 3$ pour une grappe de bananes »
En plus de ça, il y a une portée sociétale. C’est quand même révoltant de payer 1$ pour un litre de bière mais 3$ pour une grappe de bananes. C’est absurde mais tellement révélateur d’une réalité. D’ailleurs j’aimerais bien dire un truc sur ce clip parce qu’on a galéré. C’est un clip avec une danseuse mais dans la deuxième partie on montre la communauté gay et transgenre de Kinshasa. C’est quelque chose qui ne passent pas très bien. Autant les Congolais adorent la danse, autant pour eux, voir des transgenres c’est scandaleux. Rien que pour ça, je suis tellement fier. J’ai vraiment envie que les gens aillent voir ce clip parce que c’est juste un doigt d’honneur à ces traditions ancestrales absurdes.
Ce n’est pas la première fois que tu bouscules un peu les codes, ton deuxième disque, Kinshasa Succursale a mis du temps à sortir à cause de ça ?
Je m’en souviendrai toute ma vie. Universal me dit : « On ne sait pas trop où tu vas avec ça. Ça serait mieux que tu fasses un truc avec les Maliens ou avec Magic System parce qu’il y a des ramifications beaucoup plus évidentes pour le public Français. » Donc j’ai été droit dans le mur. Mais en même temps, j’ai envie de dire que MHD existe aussi parce qu’il y a eu des projets comme celui là. Et si aujourd’hui mon EP passe dans l’anonymat le plus complet, peut-être que dans 5 ans les gens vont le capter. Hôtel Impala n’a intéressé personne à l’époque. Quand c’est sorti c’était une véritable catastrophe, on a dû vendre 300 albums en France, j’en ai déprimé pendant un an. On n’a même pas fait un top 200 et EMI a lâché l’affaire au bout d’une semaine. Et c’est seulement au bout de 5 ou 6 ans que les gens ont commencé à dire « mais en fait c’était cool comme skeud ».