On n’aimerait pas être à la place de Big K.R.I.T. Enfin, si : être un rappeur ultra talentueux doublé d’un excellent beatmaker triplé d’une personnalité ultra affable, ça peut être intéressant. Mais se voir reléguer au rang d’underdog toute sa vie, à cause de considérations géographiques, non merci.
C’est pourtant la drôle de vie que mène Justin Scott depuis un paquet d’années : le bonhomme a une dizaine de mixtapes, un album studio, des clips super léchés et des featuring intenses à son compte et pourtant, il n’explose toujours pas. Du moins, son explosion est relative : une bombe artisanale plus que la déflagration dévastatrice méritée. Explications.
L’avatar rap de Justin Scott né en 2005. Pourtant, c’est à partir de 2010 et de son premier vrai bijoux, KRIT Wuz Here, qu’il se fait connaître du grand public : sa cassette sent bon l’ambiance sudiste et le pneu cramé des Impala dans un mélange savant d’UGK, de Ludacris et d’Outkast. A priori, sa carrière est lancée ; et pourtant, ça coince. La faute à quoi ? Ses origines sudistes (le mec vient du Mississipi) qu’il défend becs et ongles. Qu’il galvanise même, puisqu’il en a fait un hymne : « Country Shit », banger énervé où, backé par un Luda à l’ancienne, il plante le drapeau de sa ville natale, Meridian. Ce track lui a valu un accueil des plus froids à New-York : alors invité à se produire en compagnie de Joell Ortiz et de Jay Electronica, KRIT s’est vu hué par une foule moqueuse, désireuse de cracher sur ce mec qui vient rapper sa fierté d’être un bouseux. Grosse claque pour le rappeur qui se rend compte qu’il lui sera compliqué de se faire accepter hors du cercle des mecs qui ont l’oreille faite pour les douceurs sudistes.
Depuis ? Il s’accroche et monte en puissance, cassettes après cassettes, couplets après couplets. Sa notoriété hors des frontières américaines est incontestable. Le monde entier lui reconnaît son talent pour délivrer des lyrics d’une rare introspection, dans un débit technique riche et puissant. Son accent marqué rend son rap reconnaissable entre tous, à un moment où il est parfois difficile de savoir qui est qui – ou qui rappe quand – tant les mecs se copient. Il enchaîne les mixtapes solides les unes après les autres et en profite pour, tranquillement, délivrer des lignes et des lignes pour ses collègues qui l’invitent régulièrement sur leur sons, eux qui ont vus en lui ce qu’une partie du public américain n’a pas encore su déceler : un rappeur digne et cohérent, un mec que tu veux avoir dans ton équipe, un porte-drapeau en or pour un sud en manque de leadership.
Adoubé par Curren$y, Bun B et même BB King, encensé par la presse, boudé par l’audience. Drôle de parcours. Surtout quand on sait qu’il a émergé dans la nouvelle vague qui a pris d’assaut l’industrie musicale toute entière et qu’il est l’un des rares à ne pas avoir assis sa stature de manière concrète. Blocage psychologique ? Mollesse du personnage ? Mauvais concours de circonstances ? Un peu de tout ça.
Et pourtant, le gars s’accroche. En avril dernier, il lance une bombe lyricale impressionnante : « Mt. Olympus », où il assume pleinement sa volonté de gravir les échelons. Surtout, il signe et persiste : oui, le Sud a son mot à dire dans le game. Voilà plus de quinze ans que les artistes sudistes explosent les charts, se font piller par les rappeurs des deux côtes, sont à l’origine des modes et des visions majeures du peura outre-Atlantique. Malgré leur poids artistique important dans le mouvement, ils restent marginalisés, moqués par leurs collègues – new-yorkais, notamment – qui n’hésitent toutefois pas à s’inspirer grandement d’eux quand ils sentent que ça peut leur permettre de ramasser un billet ou de se mettre en avant.
Il y vide son sac de la plus belle des manières, s’adressant à l’ensemble des acteurs du mouvement. Il y délivre une partition sans faute et pose les bases une bonne fois pour toute : il écrit ses textes lui-même, fait ses propres beats, mixe ses propres morceaux, tout en restant fier de qui il est. Ça mange pas de pain de le rappeler et c’est tellement bien fait qu’on est obligé de rester suspendu à ses lèvres, qui débitent dans un flow d’une maîtrise technique folle, ses vérités avec force et conviction. KRIT, un rappeur mou ? T’as tout faux, si ce que tu penses.
Pour préparer la sortie de son nouvel album dans les backs le 11 novembre, Caddilactica, il balance inopinément See Me On Top Vol. 4, une mixtape qui ne laisse présager que du bon pour la galette à venir. Espérons que le mois de novembre soit celui de son sacre définitif.