La notion de « productivité » peut rapidement faire peur en musique. Une hyperactivité dictée par le système de l’offre et de la demande grand public. Une mécanisation commerciale qui amène inévitablement vers des duos piteux avec des starlettes pop qui font le beurre de MTV, comme l’atteste la carrière de (insérez ici l’artiste de votre choix). Parfois certains résistent, enchaînent cassette sur cassette en totale indépendance, souvent au prix de clashs avec les labels et de tweets assassins en direction de tous ces vendus du milieu (insérez ici Gucci Mane).
Do your own shit. Like the minute you try to do what somebody else is doing because they’re winning, you’re gonna fall in the lump.
Mais il existe une alternative. Quand on déborde de talent, qu’on s’entoure de collaborateurs inspirés et qu’on impose son style, on peut sortir des projets incontournables avec une logique indep, tout en étant affilié à une major. Exemple type ? Shante Scott Thomas a.k.a Currensy. Avec la sortie de son projet « Bales » en collab avec Young Roddy, Spitta montre à nouveau qu’on peut tapisser les murs de Warner Bros et continuer d’envoyer un tas de chouettes mixtapes.
En imposant sa JET Life à la face du monde, Curren$y n’a pas que lancé un énième crew, il a développé une vision à 360 degrés qui mériterait presque sa propre bible. Un label, un style artistique, un mode de vie. Des préceptes répétés dans une multitude de lyrics, mais aussi à travers les covers ultra-stylisées et tous les types de contenus que le web peut offrir. Deal avec une major ou pas, le rappeur de 32 ans n’a jamais zappé le précepte majeur qui lui a permis de maintenir son « entreprise » à flot : « doing your own shit. Like the minute you try to do what somebody else is doing because they’re winning, you’re gonna fall in the lump. » Je vous parle d’un type dont le business model a carrément été autopsié par Forbes. Prend ça Arnaud Montebourg.
D’autant plus impressionnant que le « style Curren$y » ne sort pas tant que ça des sentiers battus. Même si sa musique a évolué depuis sa période « 504 Boyz » chez No Limit Records, on navigue toujours dans l’éloge des belles choses matérielles : cars, clothes, weed and hoes, ah non ce n’est plus matériel là. Des lyrics qui s’imprègnent des nappes jazzy voluptueuses dont le rappeur est friand, un écrin précieux qui enrobe la JET Life. Un style qu’affectionne désormais Rick Ross, chez lequel Curren$y avait d’ailleurs refuser de signer. Du son beaucoup plus luxurieux qu’un « Get Back » en tout cas.
Malgré ça, toutes les stratégies marketing du monde ne remplacent pas le travail. Justement, en revenant sur la notion de « productivité », on tombe sur un taulier : mixtapes, albums, collabs, soit plus d’une vingtaine de projets au compteur … sur les quatre dernières années. Ca calme. Jamais à court d’idées folles, Curren$y s’est même offert le culot d’un partenariat avec BitTorrent, autour d’un Jet Life BitTorrent Bundle, sorte de mixtape 2.0 comprenant aussi tout un tas de matériel promotionnel et de bonus. Pascal Nègre en tremble encore.
Said she rolling with me ‘cause she know I’m going for the millions.
Curren$y ne se contente pas d’ailleurs de mettre ses multiples pseudos en avant, il fait croquer les jeunes. Depuis ses terribles « Pilot Talk », le rappeur s’est ouvert à d’autres univers, en collaborant avec de multiples rappeurs et producteurs, mais aussi en propulsant les gars de son crew. Transition parfaite pour évoquer cette mixtape « Bales » avec son protégé Young Roddy, lui aussi originaire de Louisiane. Régionalisme. Surtout, Roddy, c’est la continuité : premier signé chez Jet Life Recording avec Trademark Da Skydive, présent sur tous les tracks de la compilation Jet World Order, avant de carrément prendre le lead sur le deuxième volet.
Alors, que dire sur cette mixtape du duo ? Tout d’abord que les flows des deux partenaires s’accordent vraiment bien, n’hésitant pas à se relayer directement la parole sur la prod Harry Fraudienne du premier morceau. « Smoking a hundred dollar joint Major presentation, nigga Power Point ». La légende locale Juvenile livre un couplet de feu sur le surprenant « Mo Money », qui s’échappe un peu de l’esprit laid back habituel. Que les fans ce rassure, ce rythme de croisière smooth guide bien la majorité des titres, dont l’excellent « The War on Drugs » ou « Certified ». Roddy en profite pour s’affirmer une nouvelle fois en solo, un rappeur sur lequel il faut vraiment compter, accompagné ou non de son mentor. Mention spéciale aux riffs de guitare électrique qui ambiancent « 100 Spokes », l’un des meilleurs passages de cette cassette.
Voici donc une nouvelle ligne sur un casier déjà bien lourd. Lord Andretti a su explorer diverses parcelles du hip-hop et varier les approches tout en préservant son identité propre. Une trajectoire et une identité qui amène Currensy au dessus du lot, dont la proximité au micro le rend presque humble tout en vantant la vie de rêve. Sans fioriture, il donne juste l’image du mec sympa avec qui tu as envie de fumer un peu d’herbe, car oui ça fait moins peur que de partager un joint avec le Brick Squad.
« Bales », une bande-son à la fois lascive et balancée, un coucher de soleil sur le bitume, le sourire aux coin des lèvres. Entre nous, cette immersion vaut tous les rich kids of instagram du monde.