Omniprésent sur la scène hip-hop francophone depuis 2009, Lomepal (notre interview) fait sa rentrée avec un nouvel EP sobrement intitulé Seigneur, tout juste un an après son dernier projet, Cette foutue perle. Entre angoisses inhérentes à sa génération et questionnements existentiels, son curieux voyage se décline en huit tableaux.
Les mauvaises langues diront que Lomepal ne s’intéresse qu’à la fête, la violence et l’amour. Elles auront tort, car si on retrouve bien cette trilogie au centre des thèmes qu’il aborde, ce n’est que pour mieux dresser le portrait amer mais lucide de ce qu’il vit. Le résultat ? Un projet plutôt sombre, mais bien mené. La complexité des émotions y est retranscrite avec un talent qui rend l’écoute agréable, malgré la dureté des faits relatés.
D’entrée, Lomepal donne le ton sur Les troubles du seigneur : loin de lui certainement l’idée de s’imposer en exemple, mais le mal être qu’il y décrit est celui d’un paquet de personnes. Entre mélancolie et indignation (mais pas que), il symbolise cette génération qui voudrait profiter de chaque instant, mais qui réfléchit trop pour s’abandonner à l’insouciance.
« Quand j’te regarde mon amour, j’me dis qu’t’es la plus mignonne, sans blague
Mais est-ce que tu continueras de m’aimer avec une pioche dans l’crâne ? »
Le thème des relations humaines n’est jamais bien loin. Tantôt amoureuses, tantôt haineuses. Sur Toi et moi, un tango s’engage entre l’instru et les lyrics, qui évoquent une relation destructrice. On constatera avec plaisir que c’est le texte qui mène la danse, même si c’est dans un tout autre registre que Lomepal excelle ; lorsqu’il écrit des fables urbaines au goût aigre doux. C’est le cas d’1/12 (comprendre un sur douze, à savoir la proportion minimale de traitres qui sévit au quotidien), titre sur lequel on retrouve un flow plus nerveux. Le rythme s’accélère mais reste maîtrisé.
« Marie-Jeanne est une fille sans copain, mais elle et moi, on a beaucoup d’amis en commun »
L’expédition de Lomepal se poursuit sur une prod’ atmosphérique concoctée par Nat Powers : Enter the void. Le titre pose le décor, celui de soirées parisiennes pleines de fatuité et vides de sens. Comme le film au titre éponyme (dans lequel l’âme du héro mort revit des moments clés de sa vie filmés depuis le ciel), il s’agit d’un morceau littéralement planant. La Marijuana y est habilement personnifiée pour mieux aborder son caractère universel. Natif du sud de la ville de lumière, Lomepal prend de la hauteur pour en critiquer l’aspect néfaste mais inéluctable, quitte à comparer la capitale au Mordor. Couillu.
« C’est pas juste mais faut s’y faire, comme quand la Castafiore chante »
Auto-justice prolonge le regard amer que porte le rappeur sur la société et ses travers. Pas idéaliste pour un sou Lomepal, est un mec tantôt tourmenté, tantôt résigné, mais toujours lucide. On serait tenté d’interroger le jeune homme quant aux vertus thérapeutiques qu’il semble attribuer à l’écriture. Qu’on se rassure, il lui arrive aussi de se détendre. Chute libre, manuel – s’il en est- du chill façon Lomepal, pose le dilemme entre boulot et fête. Pour sa part, le choix est fait : « Et s’il fallait choisir entre le taff et la fête, je dirais qu’je n’suis pas fait pour respecter les ordres. Je suis parti mais cette fois-ci je n’ai pas laissé mes affaires. Désolé, mes chers collègues, je ne reviendrai jamais. »
« Bien rapper, est-ce vanter le côté sombre ? »
Un featuring avec Akhenaton, c’est comme une sélection en équipe de France, ça ne se refuse pas. Même si le résultat réserve finalement peu de surprises. Passe au dessus, raconte le tourment que causent la violence et le désir d’argent et la nécessité d’y échapper. Tonton Akhenaton intervient dans un costume taillé sur mesure : celui d’un homme d’expérience, moraliste mais juste. Et puis au fond, il pose une question légitime : « Bien rapper, est-ce vanter le côté sombre ? ». Un bon pied de nez à ceux qui ont fait de leurs exploits carcéraux un fond de commerce apporte d’ailleurs un début de réponse : « Chez nous, on parle pas de crimes, on les commet. »
Un remix d’Etrange journée (titre présent sur le projet 22h-6h, en collaboration avec Walter) vient conclure l’EP comme un coup de poker. Ce récit de la cavale d’un mec qui a détourné des fonds pour offrir la belle vie à sa famille débute sur une instru et un flow volontairement amorphes, pour mieux augmenter sa vitesse et taquiner le radar. C’est le genre de morceau qui titille ta curiosité par surprise et confirme notre avis : plus qu’un rappeur tourmenté, Lomepal est un narrateur doué.