2006. Je pars au bahut avec un gadget qui ressemble vaguement à un lecteur mp3, mais qui fonctionne tout de même. Tout le long du trajet, je me surprends à écouter un seul titre en boucle. « Daydreamin », qu’il s’appelle. Ma première rencontre avec Lupe Fiasco. Rapidement, tout l’album Food And Liquor comble les misérables 500Mo de mon petit gadget. Six années après et une poignée d’albums plus tard, le emcee de Chicago devenu figure contestataire sort enfin le volume deux. Une sorte de retour aux sources après un La$ers complètement foiré, dénoncé par le rappeur lui-même. En tant que fan de la première heure donc, c’est avec beaucoup d’exigence que j’ai reçu cet album, comme je l’avais fait pour pour le précédent. J’ai pris le temps de l’écouter, de le décortiquer dans tous les sens afin de me forger un avis sur cette livraison. Une vingtaine d’écoutes plus tard, me voilà à écrire ces lignes.
Ca ne vous a pas échappé : Lupe se fait autant remarquer par sa musique que ses déclarations fracassantes. L’image lisse de l’artiste au gimmick skateur / bagpacker a laissé place à un homme très engagé sur tous les fronts, qui n’hésite à clamer haut et fort ses idées. Un type capable de dénoncer les pratiques de sa propre maison de disque la veille de la sortie de son précédent opus, ou de tacler publiquement le nouveau chouchou rap de sa ville (Chief Keef). Sur le plan politique, Lupe a médiatiquement défendu le mouvement Occupy, soutenu ouvertement la cause palestinienne, et surtout balancé des taquets au président Obama, une posture assez inédite dans le milieu hip-hop. Une franchise qui lui attire plus d’adversaires que d’amis, mais ne doit pas faire oublier son talent musical. Un talent un peu perdu de vue il faut l’avouer. D’où ce retour aux racines, avec Food & Liquor II, modestement sous-titré The Great American Rap Album. Son objectif ? Raconter la montée puis la chute de l’impérialisme américain. Ambitieux.
En dépit de quelques inspirations géniales et d’un discours très dense, cet album n’est clairement pas le meilleur album américain.
Les premiers singles annonçaient un retour aux affaires de haut niveau : messages poignants, style retrouvé. Sur « Bitch Bad », Lupe Fiasco analyse l’image des femmes chez les jeunes et se questionne sur l’impact que peuvent engendrer certains propos véhiculés par ses collègues rappeurs. Du Lupe tout craché, du Lupe comme on l’aime, malgré une partie chantée à la fin peu convaincante. Il vide aussi ses chargeurs sur l’excellent « Around My Way », sur le sample du mythique « They Reminisce Over You » de Pete Rock & CL Smooth. Un brûlot politique mixé à des références pop-culture, en l’occurrence les Simpson : « Hither you can be Mr. Burns or Mr. Smithers, The tyrant or the slave, but nowhere in the middle ». Imparable. Une richesse lyricale assez inédite en 2012, sublimée par la dextérité de Lupe. Ce dernier remet les pieds dans le plat à propos d’Obama sur « ITAL (Roses) », entre deux dénonciations de l’éloge des gangs, assumant ses propos jusqu’au bout. Des répercussions de l’esclavage (« Brave Heart ») à sa condamnation de l’emploi du « N word » (« Adubon Ballroom »), les sujets sérieux et argumentés, qu’on adhère ou pas à ses propos, suivent la ligne directrice du projet. Sauf que …
Sauf que TGARA se scie en deux et nous balance en pleine poire plusieurs morceaux plus que médiocres. Le combo « Heart Donor » / « How Dare You » / « Battle scars » – surtout le refrain aussi chiant qu’inutile -, cassent complètement le rythme. Des produits taillés pour radio limite caricaturaux, du niveau de La$ers. Une ambivalence que souligne Lupe indirectement sur « Lamborghini Angels » : un morceau soigné qui traite de thèmes aussi durs que la pédophilie, tout en plaçant des références matérialistes, comme si Lupe ne pouvait pas se soigner de ce « démon ». N’arrive-t-il plus à résister totalement aux sirènes du son mainstream ? Le plus paradoxal ? Le meilleur morceau de cet album s’avère l’un des plus léger. « Form Follows Function », une balade jazzy sans refrain et plus décontractée que la plupart des autres tracks, ponctué de références moins lourdes mais aussi efficaces.
Frustrant. Voilà comme je définirai cet album. On sent bien que Lupe Fiasco a voulu se rattraper après la catastrophe La$ers. Certes, ce Food & Liquor II s’avère bien meilleur mais merde, on reste encore bien loin des « Real », « The Cool » ou « American Terrorist » du premier volume. En dépit de quelques inspirations géniales et d’un discours très dense, cet album n’est pas le meilleur album américain. Juste un bon album. Pour terminer, j’ose espérer que la seconde partie de cet album, dont la sortie est prévue pour 2013, se rapproche des classiques initiaux du rappeur, même si les propos deviennent plus légers. Back To Basics Lupe, c’est tout ce qu’on veut.