« Kendrick left me no choice but to drop a classic. »
Il y a deux semaines, jour pour jour, ScHoolBoy Q a lâché l’album que beaucoup, beaucoup de monde attendait. Nous étions également dans l’expectative de ce que l’on avait grassement annoncé comme l’un des projets de cette année 2014. La couronne, on lui avait déjà mis sur la tête en anticipant son élection d’MVP de la saison. Le regrette-t-on, après quinze jours d’écoute ? Pas vraiment. On reconnaitra volontiers qu’Oxymoron n’écrase pas la concurrence de manière aussi évidente qu’ont pu le faire Ronaldinho en 2005, LeBron James en 2010 ou Kendrick en 2013. Mais il est clairement dans la course et sera, sans aucun doute, dans les ultimes discussions de décembre qui désigneront le meilleur cru de l’année. Vous êtes sûrs de penser le contraire ?
Le 25 février dernier, « déception » devient le nouveau maître-mot des amateurs de rap. Une paire d’écouteurs sur les oreilles, les yeux fermés, les sourcils froncés et un semblant de larme au coin de l’œil, les groupies de TDE se prennent la tête entre les mains. « Je suis déçu », murmurent-ils de concert. « Les meilleurs sons de l’album on déjà été dévoilés, […] ce n’est pas à la hauteur de l’attente. » Fou de rage, ils écrasent la barre d’espace de leur clavier d’un violent coup de pied stomp pour mettre fin à cette douloureuse écoute du disque. « Ça ne vaut pas Kendrick ! », hurlent-ils en brandissant leur vinyle emballé de good kid m.A.A.d city. Non, ça ne vaut pas Kendrick, mais n’est pas Kendrick Lamar qui veut.
Rap Game Scottie Pippen
Il est stupide de comparer deux mecs qui n’ont pas le même talent. Le rap n’est pas une vulgaire compétition de saut à la perche : c’est pas parce qu’un gars place une barre à 6 mètres 16 que tous ceux qui sautent en dessous sont des ratés. Kendrick Lamar, c’est le genre de rappeur surdoué qui marque sa génération et l’histoire de son art, et ce n’est pas un constat post-good kid m.A.A.d city, loin de là. En novembre 2012, l’excellent egotripland le classait déjà comme cinquième meilleur emcee de l’histoire de Compton, juste derrière DJ Quik, MC Eiht, MC Ren et Eazy-E. Un constat qui, depuis, fait figure d’évidence. Rien de comparable – à juste titre – pour ScHoolBoy Q. Le rappeur d’origine allemande est un excellent rimeur mais il n’est pas aussi doué que le top dawg de son crew. Condamné à être le sidekick d’un très grand, le Pippen du rap jeu, Q a tout de même de quoi marquer les quelques années d’exposition dont il dispose.
Souvenez-vous de la sortie de « Yay Yay » – initialement premier extrait de l’album, avant d’en être exclu au dernier moment – en mars 2013. Puis de l’arrivée de « Collard Greens » en août, suivie de « Hell Of A Night », de « Man Of The Year » quelques mois plus tard et, dernièrement, de « Break The Bank ». Alors là, c’était pignolage total et sans retenu, jusqu’à la brûlure indienne : un raz-de-marée de nouveaux béni-oui-oui. Chacun vante tour à tour les tracks léchés dans lesquelles ScHoolBoy Q étale ses qualités et sa particularité, ce truc qui réside dans sa fameuse manière de poser sa voix en rechignant, son yak-yak-yak-ing compulsif. En outre, le mec sait s’entourer : en bossant avec Alchemist, Nez & Rio, Jason Goldwatch et en invitant K-Dot comme seul featuring à cet instant, il laisse entrevoir du lourd pour Oxymoron. Vient finalement l’attendue fin du mois de février.
Quincy Matthew Hanley est un vrai hipster. Un putain d’normcore comme on n’en fait plus. Le mec a quand même osé suivre le format « classique » de promo d’un album, le genre de truc qui se faisait il y a quoi, deux-trois ans ? RISQUÉ. Pourquoi il ne s’est pas plutôt contenté de surfer avec son gros ventre sur la vague lancée par la famille Carter, notre ami Yeezy ou ce faux vieux de Pharrell ? C’est pourtant vachement hip d’annoncer un nouveau projet le lundi soir – via une capture d’écran de post-it instagramé – et de le sortir à l’heure de la sieste, le lendemain, par le biais d’un partenariat avec Alcatel. Le genre de truc improbable auquel personne ne s’attend mais que tout le monde applaudit des deux mains.
Stratégie promotionnelle de hipster
Non, ScHoolBoy Q a préféré attaquer la promo de son premier véritable disque il y a près d’un an et demi via un énigmatique tweet : « oXyMoRoN ». Il a joué au con, le Q, en nous mettant les blue balls pendant cette quinzaine de mois. En dévoilant au compte-gouttes des morceaux d’une qualité rare tout en retardant l’arrivée du plat de résistance, il a obligé nombre de ses adeptes à combler leur faim en se rabattant sur les gâteaux apéritifs. Du coup, une fois la sortie de son premier véritable album, son public s’est déjà habitué à ses quelques perles, s’en est lassé, écoeuré par cette mise en bouche qui dure. À l’écoute d’Oxymoron, certains zappent ces deux-trois bangers qu’ils ont trop écoutés. Du coup, ils sont déçus et crient à l’arnaque. Ça ne correspond pas à leurs attentes. Juste, un truc : si les morceaux phares du CD de Beyoncé, par exemple, avaient été utilisés pour assurer la promo de son disque plusieurs mois avant sa sortie, comme ça se faisait jadis, ses fanatiques jouiraient-elles autant en les écoutant le lendemain de la sortie du projet ? Reprochez à ScHoolBoy Q d’avoir favorisé une stratégie promotionnelle à laquelle les gens ne sont plus habitués, mais ne lui reprochez pas de ne pas avoir fourni un (très) bon album.
Une question se pose donc : combien de titres de qualité doit contenir un album pour qu’il soit considéré comme bon ? Parce qu’entre les titres cités précédemment et ceux que l’on apprend à apprécier au fil des écoutes, Oxymoron en regorge. Oui, « Hoover Street » et « Studio » sont moyens ; « Blind Threats » (ft. Raekwon) et « The Purge » (ft. Tyler, The Creator & Kurupt) sont décevants. Deux des trois tracks de la version deluxe, « His & Her Friend » (ft. SZA) et « Grooveline Pt. 2 » (ft. Suga Free), ne resteront pas dans les annales non plus. À l’inverse, en débutant son douze titres par « Gangsta », Q donne le ton et balaie, d’une ample baffe, les derniers doutes qui subsistent sur la qualité de sa musique. Placer ce morceau en introduction des autres est symbolique : dès les premières secondes d’écoute, le rappeur à brioche invite son audience à mettre de côté ce qu’elle pense de lui pour découvrir le reste de l’univers dans lequel il baigne. Le « What They Want » avec 2 Chainz, produit par Mike Will Made It, est également d’une lourdeur sans nom, tout comme l’est, dans un style différent, « Los Awesome » avec son compère Jay Rock. « Prescription » est également terriblement entraînant si jamais tu es capable d’embrasser ton côté fragile et de frissonner sur les « wake up daddy, wake up ».
Neuf. Sur les quinze titres que propose Oxymoron, neuf sont très bons, pour ne pas dire excellents pour certains d’entre eux. Cela suffit-il pour en faire un bon disque ? Évidemment. Le dernier morceau, « F*ck LA », c’est le dessert : dans le style, ScHoolBoy Q n’est pas un rappeur californien. C’est un excellent rappeur qui, à l’ère d’Internet, se nourrit goulûment de diverses influences contemporaines pour nous proposer un produit juste, propre, et ô combien sous-estimé par de trop nombreux déçus qui ne devraient pas l’être.
« Ain’t sober, kush odor, kush sodas, crip stoner
Real soldier, head off shoulders, makeover »
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