Débrouillard à jamais, car hustler depuis toujours. Quelques jours avant la sortie de l’album Batterie Faible, nous allions à la rencontre de Damso pour percer le mystère de la dernière signature du 92i. Au-delà de la musique et des qualités évidentes de ce natif du Congo en tant que rappeur, nous souhaitions mettre en lumière la vie de ce faux rookie qui n’a jamais douté de son talent. Dos au mur mais sans toit au-dessus de la tête, Damso n’avait d’autres choix que de réussir – ce qu’il a fait en l’espace d’une petite année. Portrait d’un mort de faim.
Bière à la main, bonnet vissé sur la tête. Quatre ans en arrière, Damso, tête fraîche du rap belge, ordonne a ses amis de passer l’aspi afin de préparer la scène pour son passage. Cette scène, en vérité, n’est qu’un garage aménagé en garde-meubles et garde-bouteilles d’alcool fort. Damso fait dans l’ironie. D’entrée de jeu, le ton est décalé pour une perf qui pourtant n’a rien d’une blague. Un petit public est déjà là pour scander son blaze et le rappeur d’origine congolaise fait déjà étalage de ses différents flows. « Quand je regarde en arrière, c’est kiffant franchement. On était jeune, c’était cool, c’était la joie. On était plus souriant. Je regrette quand même cette partie là. J’étais plus joyeux, je connaissais moins de choses de la vie. »
Il faut dire que les choses ont bien changé depuis. Mais il y a tout de même deux constantes bien là. D’abord, l’encre est la même. La plume trempe dans son âme. C’est sa vie que Damso narre, les bons comme les sale sides. « Je rappe comme je vis. Si je vis un truc sévère, ça m’énerve. Alors je le mets, avec rage et cœur. » Depuis ses débuts jusqu’à l’album, du fun au plus bre-som, on devine à quel point la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Peu étonnant de savoir sa batterie à plat quand on sait qu’elle puise dans tout ce qui lui arrive. Le vécu du rappeur belge est la matière première de ses textes qui s’écoutent comme un récit initiatique.
Même plaisir, même énergie, mêmes gens
L’autre constante, c’est la passion qui alimente le moteur qui tourne en permanence. À l’entendre, l’exercice a l’air très simple, tout a l’air de glisser naturellement. Damso rappe et écrit tout le temps, au point qu’il ne se rend pas bien compte si changements il y a. Exception faite, il le reconnaît bien, pour la qualité sonore qui s’est nettement améliorée depuis le temps où le rappeur se débrouillait pour toujours faire, même avec les modestes moyens du bord. « On rappait sous des couvertures », se rappelle-t-il avec une pointe de nostalgie. On retrouvait sous ces couvertures la même famille (déjà avec De La Fuentes aux prods), la même passion et beaucoup de travail. Peu importe la forme, de toute façon, c’est le résultat et le fond qui priment. L’authentique Damso ne renie pas du tout ce système de la débrouille, bien au contraire. C’est celui dans lequel il s’est formé. Tout le superflu des grands studios bling-bling, « à moins d’amener une chorale » il n’en voit pas l’utilité, nous confie-t-il. C’est ce même home studio des années-galères dans lequel il enregistre son couplet sur « Pinocchio« , dans la tracklist du Nero Nemesis de Booba, le son qui a commencé à populariser le nom de Damso et les comparaisons trop faciles avec Kaaris. Ambiance intimiste, comité réduit, entre vrais… Damso fait simple. Point d’écriture de l’orgueil ou de fantasmes entrés dans les habitudes du rap français, l’écriture est véridique et pure, ainsi brute et brutale. Un schéma plutôt simple pour un personnage à la vie complexe et riche.
Originaire du Congo, l’enfant Damso lit déjà beaucoup d’histoires. Le rappeur tout jeune est fasciné par la façon dont des personnages et des situations, tous fictifs, peuvent faire sens et écho à la vraie vie. « Je les réinvente, je les réécris, j’en ai plein dans ma tête. » Il imagine notamment « des histoires de doigts qui donnent des coups de pouce aux petits frères », récit qui le fera être sélectionné pour un concours d’écriture plus tard à Bruxelles où il atterrit à 9 ans. Cette forme d’écriture très visuelle, très imagées, est conservée dans ses lyrics. À son arrivée dans la capitale belge, la douane l’accueille avec un « rentre chez toi ». Un épisode qui marque le début d’un sentiment jusqu’alors inconnu, que le très jeune Damso ne comprendra pas tout de suite. Les histoires continuent toujours et suivent Damso jusqu’à l’adolescence où son frère, plus agé, « qui avait un sale flow de ouf », l’initie au rap. Apparemment tous débrouillards dans la famille de Damso, le frère faisait ses prods tout seul sur HipHop Ejay, à l’ancienne. Puis le jeune futur rappeur se met aussi à bidouiller des prods, devient bon, trouve le logiciel pas assez complet, passe sur FL Studio 13, à l’ancienne. Un beau jour, il tente de lâcher un flow, puis un autre, puis un autre… Le moteur s’enclenche et depuis ne s’arrête pas de tourner. En parallèle, Damso grandit et commence à étudier le marketing à Louvain-La-Neuve, à côté de la capitale. Des années d’études qui forgent le caractère et façonnent la part sombre. L’étudiant est confronté de nouveau au racisme ordinaire, aux regards, aux remarques, mais cette fois-ci avec une tête en mesure d’en comprendre les ressorts et les conséquences.
Sa vie se transforme, son rap aussi. Damso continue de poser jusqu’à être confronté au fait qu’être bon ne suffit pas. La musique ne suffit pas. Pour percer, faut se faire connaître et jouer le jeu. Faut publier, faut partager, faut faire sa propre promo. Le rappeur décide de tout faire en musique et balance un banger au refrain hyper efficace : « Je me suis dit qu’il fallait faire un truc avec mon adresse dans le flow pour m’assurer que les gens se renseignent sur moi. »
« Tant que j’ai pas sorti mon projet, je m’arrête pas »
Mais la mayonnaise ne prend pas tout de suite et le rappeur peine à se faire entendre. Les études n’aboutissant pas assez rapidement sur l’emploi, Damso rentre au bled. Son daron l’inscrit contre son gré à l’Université Protestante du Congo, à Kinshasa, en cursus économie, « pour le redresser ». Sans grande conviction, le jeune rappeur passe le temps. Mais dans sa tête, ses projets musique étaient devenus de plus en plus sérieux, le rappeur est convaincu que le tournant n’est plus très loin. Mauvais timing pour le retour aux sources. Un come-back furtif à Bruxelles sera le déclencheur : « Publie Partage Promo » passe en boîte dans la capitale du plat-pays et fait ressentir à Damso le boom imminent. Impossible de retourner essuyer les bancs usés et blindés de la fac après ça. Le rap devient, plus que jamais, son projet number one. « Tant que j’ai pas sorti mon projet, je m’arrête pas. » Il laisse tomber la fac à laquelle son père tenait tant, et part. Du côté de sa famille, ça ne passe pas : son géniteur le met à la porte et décide de lui couper les vivres.
Plus d’argent, plus de contact, plus rien du tout. « C’est un père africain, tu lui dis que tu fais du rap, il devient fou. » Damso se retrouve seul, livré à lui-même, sans emploi, sans logement, sans argent pour ses projets. Le Bruxellois est obligé de se débrouiller et ça l’inspire: « J’ai écrit ‘Débrouillard’ le soir où mon père m’a viré de la maison, dans la Gare Centrale de Bruxelles où j’ai passé la nuit. » Oui, ce même track qui, peu de temps après, arrivera aux oreilles de Booba et changera radicalement la vie de Damso. Mais pour l’heure, il est encore à la Gare Centrale, cette même gare où il capte quelques gars « pour faire du sale, vite fait ». Une vie plus dure et un profil plus sombre qui vont accentuer la création. Le jeune Damso commence à livrer des choses qui se prêtent bien au rap hardcore. Et il est bien plus déterminé à réussir, maintenant qu’il n’a plus le choix. « À l’époque quand je rappais, je me découvrais aussi. Si je n’avais pas vécu tout ça j’aurais pu me découvrir autrement, avec un flow plus doux, un peu à la Doc Gynéco. » Aucun formatage si ce n’est celui de la vie et des expériences. Il y a bien une part de lui qui reste connectée à l’honneur de sa famille, forcément. Damso se force alors à écrire des lettres de motivation et à déposer des CV tous les matins pour ne pas décevoir le daron. Mais là encore, la déception de la recherche peu fructueuse malgré de vraies compétences vont noircir son cœur et son écriture. « J’ai senti que le noir était souvent, et encore, le bon nègre de maison. Tu sens qu’il est accepté quand il a un boulot, mais il n’y a pas de vraie considération humainement parlant. » Les « vous avez pas le profil » à répétition ont donné rage à Damso et le besoin de s’exprimer encore plus grandit.
« Pas meilleur appui qu’un feat légendaire »
Le rappeur n’a plus que ça en tête. Il n’a plus rien à perdre et va tout investir dans son projet – « j’avais calculé qu’il me fallait 5000 euros pour pouvoir terminer le projet et sortir deux clips, et je savais que ça marcherait ». Le peu de sous qu’il arrive à récolter vont dans sa musique, qu’il essaie de produire en indépendant. Mais ce n’est pas si simple, surtout quand les potos, au départ chauds pour investir, répondent aux abonnés absents. Damso se débrouille encore, seul. Il démarche les maisons de disques et part à la recherche des bons contacts, des bons filons. Entre temps, il revient quelques fois au Congo voir sa famille pour certaines grandes occasions, mais l’accueil y est tout sauf chaleureux pour celui qui a choisi de persister. Alors Damso redouble d’efforts pour faire ses preuves. Ses contacts plus ou moins réussis avec les maisons de disques lui font se rendre compte de nouvelles réalités et l’amènent à écrire « Comment faire un tube ».
Un morceau sous forme de critique de l’industrie, un thème plutôt récurrent dans les textes du rappeur qui a dernièrement posé un lapin à Skyrock, qui l’attendait pour cinq jours de Planète Rap. De toute façon, le commercial, les paillettes, c’est pas trop son truc. « Pour nous par nous comme on dit. » Rien qui surprend, c’est cohérent, ça lui va bien. Le hasard fait bien les choses : les créations du rappeur tombent dans la main du 92i de Booba, l’archétype de l’anti-industrie de la musique. C’est même B2O lui-même qui flaire le potentiel, l’originalité et le talent de Damso à l’écoute de « Débrouillard », comme mentionné plus haut. « Ça fait du bien, artistiquement parlant, de voir que ça existe encore des mecs comme Booba qui kiffe juste à l’oreille, et qui t’appelle. » En face à face, Damso fait le modeste. Il dit bosser tout le temps au point qu’il se rend pas vraiment compte de ce que c’est de se retrouver à freestyler avec Booba, Kalash et Niska pour l’émission Couvre Feu sur OKLM Radio. D’après ses dires, le Duc ne l’avait pas prévenu que c’était un freestyle – « il a dû oublier ». Damso y est allé aussi serein que pour une interview. « De toute façon je rappe tellement tout le temps que j’ai toujours un son dans mon vieux Blackberry Curve. Si tu es basketteur et que t’es en jean mais qu’on te propose un petit match, tu vas pas dire non parce que t’es pas préparé ? Pour moi c’est pareil avec le rap. » C’est donc sans pression que Damso lâche une exclu qui choque DJ Medi Med et même Jackie Brown qui, pourtant, en a vu passer d’autres. Si Ko2p a dû dire à Shay de ne pas se mélanger, pour Damso, les choses sont bien plus logiques. « Quand tu vas partout tu vas nulle part. C’est mon éducation, la loyauté. C’est la base. Je ne me mélange pas beaucoup. » Ne l’attendez donc pas sur un millier de feats improbables. On ne trouve d’ailleurs qu’un seul featuring sur Batterie Faible, avec un ami de son crew, un MC du nom de Lio Brown. « Si je vis pas un truc avec un artiste, je le mets pas. »
« On est pas prophète dans son pays, comme on dit »
Fidèle à ses siens, donc. Des liens avec les rappeurs pourtant, il en a. En Belgique notamment, où les rappeurs se connaissent tous entre eux. Damso connaît bien Caballero, et croisait pas mal de fois Hamza, de loin, car ils partageaient le même studio. Jusqu’au jour où les flics débarquent dans ledit studio pendant que les deux rappeurs y sont, soupçonnant l’endroit d’être un lieu de rendez-vous de trafiquants. Fouille, mains dans le dos, c’est à ce moment-là que Damso et Hamza discutent de flows, de prods et de projets futurs. Forcément, ça créé des liens. Le talent est bien présent en Belgique, c’est plutôt le manque de solidarité que Damso regrette. La donne est certainement en train de changer mais le jeune rappeur se souvient de ces années de trime où le public belge avait du mal à le porter. « Quand je vois l’engouement qu’il y a autour de ‘Brouillard’ maintenant que j’ai été validé, je rigole parce quand je l’ai sorti, les même gens de mon public actuel étaient là aussi. » Aimer le rap belge n’est plus ringard car les leaders universels du rap le revendiquent eux-mêmes.
C’est peut-être une des clés du succès que connaissent les belges en ce moment. Mais ce qui créé l’engouement autour de Damso, c’est véritablement cette écriture sincère propre à lui seul. Du rap hardcore, au sens violent car brut. Le flow tantôt grave tantôt mélodieux dévoile une pensée spontanée et authentique. Comme le cœur humain, il est parfois dur et parfois serein. On reconnaît aux vraies plumes la capacité d’exprimer ce qui pour le commun des humains est impalpable. Et toutes ces fluctuations de l’amour, du désir, sont aussi contradictoire dans le rap de Damso que dans la réalité. Les lyrics du rappeur et son rapport très ambivalent avec les femmes, peuvent parfois surprendre. Dans le même couplet, on peut entendre un Damso très doux et aussi très trash. Ce sont les bosses inévitables de l’écriture expérientielle pas ou peu poncée. « Le son le plus trash que j’ai jamais écrit, c’est ‘Amnésie’. C’est une histoire vraie. » Une parole livrée en format brut, sans avoir cherché à mettre de l’ordre dans les contradictions qui peuvent traverser un cœur à vif. Pas souvent sérieusement casé, Damso dévoile dans son album une série de sentiments différents dus à la batterie de profils de femmes croisées. « J’ai passé plus de temps à chercher des caresses que des relations sérieuses. Mais dans mes textes j’aime bien titiller la femme. » Il raconte sans filtre avec la même musicalité les moments où il a vraiment déconné avec des filles biens, ou d’autres où il y a moins de scrupules… L’écriture, comme la personne, est sincère, avec très peu d’artifices dans le fond et dans la forme. Le rappeur utilise peu d’autotune, et d’ailleurs même sur « Autotune » il ne devait pas y en avoir. Tout ça, c’est du bonus, utilisé seulement si ça apporte quelque chose. Sinon, c’est le naturel et tout ce qu’il peut offrir qui oriente les raps de Batterie Faible. Damso n’hésite pas même à pousser la chansonnette pour évoquer la déception parentale, dans « Beautiful Day » par exemple.
Et quand on lui demande ce qu’on peut lui souhaiter pour l’avenir, il nous répond modestement que c’est sa passion qui le guide, qu’il ne s’attend à rien. Pour l’instant c’est que du kif. « Si demain ça pète, c’est cool. Si ça pète pas, je serai quand même en studio. » En même temps, il vient de prouver à son père qu’il a tenu parole et ça, c’est déjà une victoire lourde de sens. Le daron a pu fièrement aller voir le recteur de l’Université du Congo pour lui brandir quelques photos de son fils travaillant avec Booba. Et si un disque d’or se présageait pour l’excellent Batterie Faible sorti le 8 juillet ? « Je le donnerai à mon ingé, Fuentes, c’est le seul qui a été derrière moi depuis le début. » De toute façon, Damso a bien prouvé qu’il savait se débrouiller. À jamais.