C'était l'un des événements marquants de l'année rap 2015 : les De La Soul ont bouclé en seulement quelques heures une campagne Kickstarter destinée à financer leur nouvel opus. Une prouesse remarquable qui témoigne de l'aura toujours intacte du groupe. Histoire de décortiquer la légende à l'occasion de ce nouveau projet, intitulé and the Anonymous Nobody et qui est officiellement sorti ce vendredi 26 août, nous avons passé les quatre premiers albums du groupe mythique au scalpel.
Il vous est sûrement arriver de croiser, à des soirées ou virtuellement sur des forums, des adeptes ayant vécu ce que certains qualifient d'Âge d'or du hip-hop et qui vous répéteront, comme un vieux vinyle rayé par les scratches, que "le rap c'était mieux avant". Que la côte Est est la Mecque du rap et qu'aujourd'hui, cette musique a perdu son âme. Ont-ils tort ? "P'têt ben qu'oui, p'têt ben qu'non." Mais en ce qui concerne les De La Soul, impossible de trancher. En presque trente ans de carrière, ce trio originaire de Long Island a su traverser le temps et les tendances, sans rien changer à leur philosophie. Cela leur a permis d'inscrire leur nom au panthéon du rap, sans jamais se voir à invités à rejoindre la maison de retraite. Aujourd'hui, peu de groupes hip-hop peuvent se targuer d'avoir connu une telle longévité. Il suffit de voir que l'annonce d'une nouvelle sortie en cette décennie 2010 est un véritable événement pour s'en convaincre. Parce que les De La Soul, c'est mieux tout le temps. Conçu pour durer, et apprécié de tous, de 7 à 77 ans.
Pour déterminer le secret de leur crème anti-ride, une rétrospective de leurs quatre premiers chefs d'oeuvre - intemporels il va de soi - parus chez Tommy Boy Records paraît essentielle. Afin d'expliquer quels sont les gènes fondateurs de leur rap, ce qui fait d'eux des pionniers dans un tas de domaines, et enfin pourquoi on les trouve hyper sympa. En bref, pourquoi les disques de Dave, Posdnuos et DJ Maseo ne prennent jamais la poussière, alors que paradoxalement, ils ont rarement embrassé un succès commercial instantané.
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Stake is High, le renouveau
Après trois années de break sort le 2 juillet 1996 Stake Is High, le même jour que It Was Written de Nas. Ou comment se faire violemment doubler par la droite dans les charts par un rouleau-compresseur de la Grande Pomme. C’est en plus le premier album des De La Soul à ne pas être produit par Prince Paul. Ca passe ou ça casse. Alors ils ont tout mis dedans, tout donné comme si c’était le premier et le dernier. Stake Is High est certainement leur disque le plus décisif, et sa connaissance semble capitale pour tout amateur de hip-hop qui se respecte.
Dans le monde du rap, la donne était en train de changer. Beaucoup de rappeurs mangeaient dans la gamelle des autres, le rap game devenait un bizness juteux, les CDs se vendaient par millions. Le rap devenait mainstream et entrait dès lors dans l’ère de Platine. C’était le moment propice pour les De La Soul de se renouveler, comme s’ils repartaient presque de zéro. Avec un crédo que l’on pourrait rapprocher de la fameuse devise de la Scred Connexion « jamais dans la tendance, toujours dans la bonne direction ». Et Stake is High démontrera sans calcul qu’ils sont là pour rester branchés. Plug 1, Plug 2, Plug 3, mic check one-two, les « Supa Emcees« sont dans la place et comme ils savaient qu’ils étaient sur le point d’entrer dans la légende, ils balancent la sauce d’entrée de jeu : « De La Soul is here to stay, like racism« . Ouch.
Flows affutés, vocabulaire riche, textes qui font l’autocritique du hip-hop, Posdnuos et Dave/Dove (enfin, Trugoy quoi) ont pris de la hauteur tout en conservant leur malice. « The Bizness » avec Common, « Dog Eat Dog« , « Itzsoweezee (HOT)« , les représentants de Long Island distribuent les leçons, font passer l’examen, corrigent et donnent les notes. Sans oublier leur sens de la formule inégalable (par exemple sur « Down Syndrome« qui a rapport avec la trisomie 21) ou leur allergie pour le R&B (la parodie « Baby Baby Baby Baby Oh Baby Baby« ). Les De La Soul finissent par survoler leur domaine, sans toiser la concurrence ni jouer les moralisateurs. Ce sont plutôt les autres qui regardent les MCs d’en bas avec ce regard admiratif pour leurs œuvres et leur contribution significative à la culture hip-hop.
Soucieux du travail bien fait, les De La ont été contraints de se renouveler musicalement. Ils ont du se relever les manches et mettre la main à la pâte au niveau des instrus. Qui ont subi un écrémage, n’est pas Prince Paul qui veut. On arrive aussi au moment où ça commence à devenir compliqué de sampler pépère quand une horde d’avocats débarque réclamer des millions pour une boucle d’une demie seconde échantillonnée sur le vinyle chiné d’un artiste issu d’un pays dont on ne connaissait pas le nom. Mais qui a parlé de régression ? C’est sous-estimer notre trinôme qui a redoublé d’ingéniosité en se basant sur le schéma classique qui a fait école : un beat (sans break), un sample ou deux finement choisis, des infrabasses, quelques notes de synthé et le tour est joué. Le facteur X qui a fait que ça a fonctionné, c’est qu’ils avaient la vibe. On peut d’ailleurs la trouver en pur concentré sur « 4 More« , single ultra-groovy avec les Zhané qui se fondent merveilleusement dans l’uptempo soul/jazz, ou encore, « Long Island Degrees » ou « Dinninit« .
Pour finir, Stake is High fut le théâtre de deux des plus grandes révélations du siècle dernier. Le premier est un rappeur qui a fait les belles heures de Rawkus, Mos Def, qui dévoile sur « Big Brother Beat » son énorme potentiel, avec ce flow qui swingue entre les syllabes. Le second était aussi un quasi inconnu pour le grand public à cette date, un certain Jay Dee, qui co-signe le sacro-saint « Stake Is High » qui allait emmener ce quatrième opus vers le firmament.
En quatre albums, les De La Soul ont survolé deux décennies, non sans se remettre continuellement en question. Comme les Tribe Called Quest, ils ont définitivement marqué le rap comme un graffiti indélébile, avec art et vision, et une façon de penser singulière dont ils ne se sont jamais écartés. Leurs valeurs se sont transmises dans les gènes d’autres rappeurs dits « conscients » ainsi qu’à tous les férus de rap, jeunes ou moins jeunes, d’hier et aujourd’hui. Il faudra attendre l’an 2000 pour qu’ils réapparaissent, avec au rendez-vous, la promesse d’un succès mérité. Une saga immanquable, avec de nouveaux épisodes prometteurs en ligne de mire.
Le skit, ce grand mystère hip-hop. Sorte d’intermède/sketch pullulant dans les disques de rap, il reste pourtant peu célébré. Il faut remonter à la fin des années 1980 pour le voir…