A l’évocation des blazes de Brother Ali, MF Doom, ou Evidence, les oreilles des amateurs de rap US frétillent. En particulier ceux qui suivent l’évolution du rap indépendant. Je parle quand même de mecs qui comptent un paquet de classiques à leur actifs. Leur dénominateur commun ? L’écurie Rhymesayers. Label réputé que vient de rejoindre un certain Joshua Ryan Turner, a.k.a. Dem Atlas. Un jeune rappeur à peine majeur qui débarque au milieu de cette armada de vétérans, presque à poil : il n’a qu’un EP au compteur. Mais quel EP …
Dem Atlas ne s’imaginait pas devenir rappeur. D’ailleurs, il a commencé comme chanteur. Dans un groupe de rock. C’était à l’époque du lycée. Un temps propice aux folles expériences, foireuses sans lendemain, ou au succès trouble, parfois vecteurs de vocations. Ça dépend. Son groupe à lui s’appelait les Argonauts. Plutôt classe. On imagine bien les membres affublés d’un casque, brandissant micro et instruments telles des armes, insufflant au public une folle énergie, provoquant orgasmes et évanouissements aux fans de petites vertus. Hommes et femmes. Ce n’était pas son but à lui : « A l’époque je cherchais une sortie de m’exprimer musicalement et artistiquement. J’ai toujours eu un penchant pour l’art de qualité et Michael Jackson. J’étais obsédé, aimé la façon dont il s’exprime avec sa voix et son corps ». On imagine que ça venait tout seul. Les fans sont si impressionnables en face du chanteur d’un groupe de rock. Surtout lorsque ce dernier dégage une putain d’énergie. Une énergie qu’il n’a pas perdue en devenant rappeur.
« Rhymesayers est un label qui a toujours eu une sorte de statut mythique dans ma tête, parce qu’ils ont une certaine authenticité ».
Le passage des bracelets de force aux baggys a eu lieu au lycée. Toujours. Une orientation orchestrée par les gars de Rhymesmayers. Comme un symbole. Avec ses potes, il découvre P.O.S., Atmosphere et Brother Ali, et passe son temps a saigner l’album The Undisputed Thruth du rappeur albinos, ainsi que Overcast, première salve du groupe Atmosphere, ou encore Ipeac Neat, le classique de P.O.S. Le petit a déjà un pied chez Rhymesmayers. Le destin. Ils étaient destinés à se rencontrer « Rhymesayers est un label qui a toujours eu une sorte de statut mythique dans ma tête, parce qu’ils ont une certaine authenticité ».
L’écoute de ces artistes va façonner sa culture musicale. Alors qu’il s’attachait plus aux sonorités qu’aux paroles prononcées, avec, dans son iPod, des artistes comme Nirvana, Bad Brain, Jimi Hendrix ou encore The Doors, il va s’orienter vers l’écouter de poètes urbains. Des mecs qui ont pour instrument leur stylo à plume et manient le 16 mesures avec la précision d’un double décimètre #joke. Des Nas, des Pharcyde, des Eyedea, des Kristoff Krane. La suite on la connait. Dans son cartable on ne retrouve plus de guitare. A la place, des tonnes de feuilles et des stylos usés.
Un rockeur n’a pas vraiment à se soucier des paroles. Un rappeur si. Un minimum. Dans ses textes, on retrouve un thème qui lui tient à coeur. La bataille entre le bien et le mal « ou le mal et le bien…c’est en fonction de vous ». D’ailleurs, pour la petite histoire, son nom de scène s’inspire de cette bataille qu’il observe dans sa vie de tous les jours, et qu’il retranscrit sur papier et rappe derrière son micro. “Dem, c’est la partie noire, la plus difficile à comprendre. C’est la partie incomprise, donc oubliée et laissée de côté. Donc naturellement, dans l’esprit humain, c’est la partie la plus triste, blessée, mais également en colère et avide de vengeance. La partie Atlas est plus calme, surréaliste, poétique. Cette partie est lumière et essaye de trouver des traces de beauté dans ce monde. Atlas englobe tout et Atlas porte le monde sur son dos. Ainsi, selon l’humeur de la chanson, je m’efforce d’être soit Dem, soit Atlas, ou un mélange des deux”.
Si son EP s’appelle Charlie Brown ce n’est pas un hasard. Tu sais, Charlie Brown ce petit gamin qui n’avait qu’un cheveux sur la tête, et qui arpentait les cases de BD avec son fidèle chien Snoopy ? C’était l’archétype du loser miné par les questions existentielles qui paradoxalement alimentaient son espoir. C’est cette dualité qui est superbement mise en scène à travers les 6 titres de son EP. La noirceur de l’esprit vagabond combiné à la lumière de l’espoir. Pour s’en convaincre, on regardera le titre du premier morceau de Charlie Brown, qui s’intitule « A Happy sad ». Ça ne s’invente pas. Morceau servi sur un beat old school à souhait, collant parfaitement au thème développé par le jeune rappeur dans son EP.
Pour son premier projet, Dem Atlas a vraiment bien réussi son coup. Il parvient à s’accaparer nos oreilles avec des morceaux qui, inévitablement, figureront en bonne place dans nos iPod. Quand on sait qu’il n’y a que 6 titres, on est forcément impatient pour la suite. Son prochain projet devrait sortir au printemps, c’est le but qu’il s’est fixé. Et qu’il espère tenir. Il pourra s’appuyer sur le soutien inconditionnel de sa mère, sa soeur, et ses 2 frères, qui jouent un rôle prépondérant dans son quotidien, et sa carrière. Surtout son grand frère, Andrew, qui joue le rôle du père qu’il n’a jamais eu « souvent, je lui demande conseil sur ce que ça veut dire être un homme, et ce que ça implique ».
Devenir un homme implique l’indépendance, l’émancipation. Il commencera tout doucement en prenant part au Welcome To Minnesota Tour, une tournée à travers les States où il accompagnera le rappeur Atmosphere ainsi que Toki Wright, ou encore le collectif No Bird Sing, pour une série de concerts qui s’annonce bouillante.
Et pour ce qui est de concerts en France ? Ses collègues étaient du côté de Paris l’autre jour, on y était. Et quand on lui demande s’il aurait aimé en être, il nous répond « pas dans un futur proche…peut-être un jour ? Je n’ai pas encore osé sortir des USA mais j’en ai l’intention, un jour ». On pari que lorsque sa notoriété aura dépassé les oreilles des amateurs de hip hop indé, on le verra sur nos scènes françaises.