L’art demeure un milieu masculin. La relation entre femmes et street art est encore plus tumultueuse. À travers le monde, de nombreuses artistes se battent pour être reconnues pour la précision de leur tracé et simplement perçu comme les égales de leurs confères à chromosomes distincts. Analyse.
On a beau être en 2014, le plafond de verre et le sexisme sont toujours une réalité au travail. Si depuis plus de 40 ans, des groupes d’artistes se battent pour l’accessibilité des artistes femmes aux institutions muséales, il aura pourtant fallu attendre 2009 pour qu’une grande institution artistique française propose une exposition uniquement consacrée aux femmes, l’exposition elles@centrepompidou. Et lorsque l’on arpente les salles du Louvre, du MoMa, ou de la National Gallery, il faut souvent chercher à la loupe pour y trouver des artistes femmes. Mais qu’en est-il alors, une fois sorti des musées ? On pense souvent que dès l’instant où l’on sort des institutions, égalité et démocratisme reprennent leurs droits. En est-il de même pour le street art, bâti dans les imaginaires collectifs dans les rues sombres et dangereuses hostiles aux femme ? Ne serait-il pas toujours trop associé à une activité ‘masculine’ dans son essence même ?
Du coup, on s’est intéressé à ces femmes qui, pas vraiment préoccupées par les stéréotypes, ont décidé d’exprimer leur art et leur passion dans nos rues. Parviennent-elle à trouver des modèles et des mentors dans ce monde masculin ? Quelle part d’influence a leur féminité sur leur travail ? Contre quels préjugés doivent-elles lutter au quotidien afin de pouvoir partager leur art avec le public ?
Pour l’artiste New Yorkaise GILF, c’est très clair : son genre aura toujours une influence sur son art, et sur sa façon de percevoir le monde. « J’ai passé tout ma vie dans une société gérée et crée par des hommes, mon regard sur le monde est naturellement féminin », statue-t-elle.
Poussée par le climat politique tendu (l’avant Obama), elle commence à faire du street art en 2008. Au fur et a mesure de sa réflexion, elle s’oppose de manière de plus en plus radicale à toute notion de loi et d’autorité. « J’ai vu ces femmes, que je considère comme des modèles se battre contre le système et faire les choses à leur manière », explique-t-elle ensuite. Pas forcément des figures du street art, mais qui ont poussé GILF à aller d’elle même dans la rue et à apprendre sur le tas.
Et quand on lui demande si elle a été confrontée à des préjugés ou de la discrimination, son opinion est mitigée. Elle s’entoure de gens ouverts, donc rencontre souvent des hommes artistes qui l’acceptent et la considèrent comme leur égal. À l’inverse, il lui arrive d’être confrontée à une certaine incompréhension, et cela parfois même de la part de femmes. « La personne la plus difficile à convaincre c’est ma mère, elle a du mal à se faire à l’idée que je fasse des choses illégales, mais je lui dit que je fais ça dans les règles, comme une bonne petite fille catho. » Mais selon elle, les femmes sont tout de même de plus en plus nombreuses à descendre dans la rue, certaines laissant même volontairement planer le doute sur leur entrée dans le genre, désireuses de se concentrer sur leur art sans avoir à prendre un engagement socio-politique. Des débuts en catimini donc, mais des débuts quand même.
Pour d’autres, la féminité est le sujet central des peintures, traitant la question de la place de la femme de manière plus brute. Il y a d’abord les grands noms, comme Lady Pink et Miss Van, bien connues des spécialistes, puis la relève avec l’artiste Miss Me, qui assume autant son féminisme que son vandalisme. A travers son nom d’artiste, elle utilise, et d’autant de plus en plus fréquemment, des grandes figures du féminisme qu’elle placarde sur les murs de villes d’Amérique du Nord et d’Europe. Parmi elles, Simone de Beauvoir, Malala, Maya Angelou, ou encore Frida… De la philosophe française des années 1970 à l’adolescente militante Pakistanaise, toutes ces femmes ont un point commun : leur statut d’exemples pour la jeunesse. En opposition aux femmes-objets de la culture populaire, MissMe cherche à prouver que toute jeune fille peut trouver un modèle qu’il lui corresponde, et qu’elle peut elle aussi agir à sa manière. Simple, mais efficace.
Dans un tout autre genre, il y a enfin la réalisatrice canadienne Idalina Leandro, dont nous suivons de très près son projet de tour du monde à la rencontre de femmes graffiteuses. Après le Canada, les États-Unis, le Portugal et l’Inde, Idalina a pris la route de l’Afghanistan, la Russie, la Chine, l’Afrique du Sud et de la Croatie pour son documentaire All She Wrote. Elle y dresse le portrait de ces femmes artistes qui, parfois dans des pays en guerre ou dans lesquels il leur est défendu de sortir sans la présence d’un homme, bravent les interdits et prennent des risques pour contester leur existence, et exprimer leur liberté et leurs droits à travers l’art de rue.
En définitive, les femmes semblent avoir encore pas mal de chemin à faire avant de se tailler une place de choix dans le street art. Si elles n’hésitent plus à braver les préjugés ni les interdits, leur travail demeure néanmoins relativement méconnu sur la scène mondiale, qui ne s’est pas encore franchement ouverte au street art féminin. Leur préoccupations, moulées dans ce secteur encore volontiers machiste, ne sont ainsi pas en mesure d’être à la hauteur de leurs ambitions, souvent freinées par la réalité du marché, ou, plus grave encore, de leurs origines. Et une fois de plus, c’est dans la rue que pourrait tout changer, là où on est jamais rien qu’un anonyme parmi les autres et libre d’exister, sans barrière ni frontières. « C’est encore difficile aujourd’hui pour les femmes en Art, conclu ainsi GILF. Elles doivent se battre plus pour être acceptées par le monde de l’art, et encore aujourd’hui il y a des évènements collectifs avec seulement des artistes masculins. Mais dans la rue, on est anonyme, c’est plus démocratique. »