2007. Le monde du cinéma ne le sait pas encore, mais le teenager américain s’apprête à prendre un autre visage. Et ce visage, c’est celui d’Evan, a.k.a Michael Cera, ado attardé et obsédé dans le génial Superbad. Marque de fabrique : une dégaine de loser pas possible et, surtout, les yeux de chien battu d’un mec qui semble devoir resté bloqué dans la friendzone pour l’éternité.
Pourtant, Cera n’en est pas à ses premiers faits d’armes puisqu’il fait des débuts remarqués dans la série Arrested Development, dans lequel il campe le fils de Michael Bluth, gauche et docile à souhait. Vient ensuite Juno, dans lequel il excelle en petit-ami paumé d’une Ellen Page enceinte à 16 ans, la même année que le précité Superbad. Greg Mottola en touche pronto deux mots à Peter Sollett : «Tourner avec Cera, c’est l’extase. Il a dix longueurs d’avance. » On retrouve donc naturellement l’année suivante le canadien au générique de Nick & Norah’s Infinite Playlist (Une Nuit à New York, en français), et le moins qu’on puisse dire c’est que Sollett ne regrette pas de l’avoir choisi : « Michael est un génie. Je n’aime pas vraiment abuser de ce mot, mais j’ai du mal à l’expliquer autrement car chacune de ses performances à l’air (et je suis bien placé pour vous dire qu’il n’en est rien) tellement évidente, tellement honnête… C’est un mec incroyablement brillant, d’un sagesse infinie malgré son jeune âge, et le plaisir d’être à ses cotés n’a pas de prix. Il est très, très impressionnant. » Rien que ça. La consécration arrive avec Scott Pilgrim vs. The World, pour lequel il remporte un Sattelite Award. Et satellitaire, c’est justement peut-être bien le mot le plus juste pour décrire tout le génie du canadien.
Cousin éloigné de la bande d’Appatow, Cera, comme les autres, a la fâcheuse manie de toucher à tout, quitte à prendre le risque de ne pas toujours réussir. Il participe activement aux BO de bon nombre de ses films – entre autres Juno, dans lequel il reprend les Moldy Peaches, et Paper Hearts, primé à Sundance, dont il compose la bande originale -, écrit des nouvelles (Pinecone, en 2007), et réalise des courts métrages sur sa chaine Youtube. Allez d’ailleurs jetez un oeil sur les troublants Gregory Boom Boom, puis Brazaville Teenager, et ou encore le plus court Failure, dans lequel il semble jouer son propre rôle. Son propre rôle, il le joue d’ailleurs délicieusement bien, à contre emploi dans le dernier James Franco, This Is The End, dans lequel il campe une version délurée et ultra cocaïnée de lui-même. Il n’en perd rien de son charme, en atteste une réplique mythique de Mindy Kaling : “If I don’t fuck Michael Cera tonight I’m gonna blow my brains out. Fucking pale, 110 pounds, hairless, probably has a huge cock … so hot” [si je ne baise pas Michael Cera ce soir, je me fais sauter la cervelle. Putain de pâle, 50 kilos, pas de cheveux, certainement une b*** énorme …hyper hot« , ndlr].
Mais pourquoi aime-t-on tant Cera ? Est-il résolument cool, moderne, juste dans son interprétation de l’ado 2.0, ou est-il simplement le parfait loser qu’on attendait tant ? Difficile à dire car Michael Cera est au départ franchement plutôt laid. Le genre de mec avec une tête trop marrante pour qu’on ait envie de coucher avec, le type « awkward », comme on dit chez lui. Et pourtant. En cinq ans, le canadien s’est attiré les faveurs du monde entier, séduit par son sourire en coin qui semble toujours autant s’excuser d’être là que d’essayer de vous faire sentir de trop. C’est toute la finesse de Cera : cette dualité permanente, cette gêne d’un corps trop raide, jamais vraiment assumé, jamais vraiment subi non plus ; ce charme accessoire, cette insolence presque résignée. En 2010, déjà, il raconte à Letterman ses vacances d’été à Toronto en famille, puis ses dix jours passés seul dans un camp où l’on a pas le droit de parler, et quand Letterman lui demande s’il a continué à méditer un peu en rentrant du camp :
« Well, no. » Rires dans la salle, comme le sien, mi-forcés, mi-amusés.
Alors oui, rapidement – probablement après Scott Pilgrim – on a eu peur de voir son jeu s’épuiser, son charme lissé par les teen-movies. C’était sans compter sur le flair de Sebastian Silva : après avoir brièvement rencontré l’acteur à San Francisco, il l’embarque immédiatement direction le Chili pour lui faire tourner non pas un, mais bien deux films. Sur place, Michael s’installe chez la famille du réal et en profite pour apprendre l’espagnol et mater l’intégralité de Seinfield. Bonne idée que cette virée : à l’affiche de Magic Magic cet été, Cera crève l’écran. Sournois et insolent, il harcèle pendant 97 min la pauvre Juno Temple jusqu’à s’en faire agresser sexuellement, et multiplie les absences dans un film qui ne finit plus que par le réclamer. Même topo pour Crystal Fairy. Grace aux rôles que lui offre Silva, visiblement bien au fait de ses capacités, Michael entre dans une autre dimension. Moins sexy que James Franco, plus céleste que Jesse Eisenberg avec lequel on le confond toujours, plus fin qu’un Vincent Lacoste auquel on devrait davantage le comparer, Michael Cera a tout, absolument tout et se balade tranquillos en K-way dans les rues de LA la tête en l’air. Word up mon gars, t’as tout compris.
Alors aujourd’hui, que manque t-il à Cera ? Probablement le rôle qui le conduira définitivement vers sa carrière d’adulte. Reste alors à savoir si ses caractères à l’écran supporteront la transition avec autant de brio qu’il n’a été capable d’en élargir le spectre jusqu’à présent.
Et s’il y arrive, Bill Murray risque bien d’avoir du soucis à se faire.