De Nice, Infinit repart en croisade. Avec NSMLM, le meilleur ami de Christian Estrosi revient avec un projet à la plume plus tranchante que jamais. Après deux ans sans sortie, le rappeur a mis les bouchées double sur ce huit titres incisif et varié, véritable mise en lumière des talents d’écriture et de rime du Sudiste. Une première « patate » qui devrait en appeler une seconde dans les prochaines semaines. Ajouté à ça le combat Mayweather/McGregor de la fin août, et on peut d’ores et déjà dire que la deuxième partie de l’année s’annonce violente. Rencontre avec un boxeur de mot.
Nous suivons de prêt le parcours d’Infinit. Depuis 2014 du moins, date à laquelle le natif d’Antibes s’est retrouvé sous les projecteurs pour le morceau « Christian Estrosi » où le rappeur dévoile sa fascination pour le parcours du célèbre motodidacte, accessoirement maire de Nice. Le track a rapidement eu droit à son remix avec Nekfeu, Alkpote, Alpha Wann ou encore Greg Frite, parmi d’autres – de quoi faire encore plus de bruit et amener définitivement le Sudiste devant les tribunaux. Nous avions discuté avec lui à cette occasion, l’avions finalement invité en concert à Lyon deux ans plus tard pour notre Don Dada Club à Lyon, puis plus rien ou presque. Jusqu’à ce jour de mai 2017 où, avec une patate de track, le rappeur annonçait son nouveau projet NSMLM – « nique sa mère le maire », évidemment.
De passage à Paris un mois plus tard, le rendez-vous était pris. Retrouvé dans un bar du XIe arrondissement, dans la fraîcheur de la capitale, Infinit nous a rappelé qu’il n’était pas du genre à faire de compromis. Dans la vie comme dans sa musique, le rappeur affilié au Don Dada Records d’Hologram Lo’ et d’Alpha Wann détonne. Amoureux de la rime et de Madame Bovary, le zin pose les armes et se confie.
« Nique sa mère le maire », c’est le titre de ton EP. Tu ne lâches toujours pas le morceaux avec Christian Estrosi, ou est-ce un moyen de boucler la boucle ?
C’est plus pour dire : ça y est, c’est fini, on passe à autre chose. Ce n’est pas moi qui reste dans l’affaire, mais la procédure n’est toujours pas finie alors que le morceaux est sorti il y a trois ans. Je suis passé en correctionnel, il a fait appel , puis il a fait un recours en cassation. Cette histoire va encore durer un an. « Diffamation, atteinte à la dignité d’un haut fonctionnaire de l’autorité publique »…
C’est une bataille d’égo ?
Non, je pense qu’il s’en fiche. Le morceau a commencé à tourner, quelqu’un a dû le mettre au courant et il a dû se dire : « Vas-y, attaque le. » Je suis même pas sûr qu’il l’ait déjà écouté.
Comment tu vis ce long parcours judiciaire ?
Je le vis normalement. J’ai pris un avocat, je suis allé au tribunal en correctionnel, puis j’ai été relaxé. En cour d’appel, je ne me suis pas déplacé et là en cassation, on verra bien…
Est ce aussi une façon de se détacher de l’image « du rappeur en procès avec Estrosi » ?
Oui, bien sûr. J’ai toujours été Infinit, j’en suis à mon cinquième projet solo alors que le passage Estrosi, c’est juste un morceau dans ma carrière. Ça a marqué, mais je ne veux pas qu’on se dise, « Infinit c’est ça ». C’est trop réducteur.
Tu aurais pu profiter du bruit suscité par cette affaire, mais tu as mis deux ans pour sortir un nouveau projet après Plusss. Pourquoi ?
Ça ne sert à rien de profiter du buzz s’il ne t’amène pas à quelque chose de lourd et de carré. J’avais des morceaux de prêts, j’aurais pu sortir un projet l’année dernière ou même six mois après Plusss, mais il y a eu des contretemps, des imprévus. Donc je me suis dit, autant peaufiner. Pendant ce temps-là, je restais en studio, je faisais des nouveaux morceaux tout le temps, je virais les anciens et remettais des nouveaux. Je voulais sortir le projet dans de bonnes conditions, qu’il soit encadré, qu’il y ait une promo. Maintenant, par contre, je passe la deuxième.
Tu as l’air d’apprécier le format huit-titres ?
C’est juste que ça fait deux ans que je n’avais rien sorti. Je me suis dit que ça ne servait à rien de revenir avec un album de 15 titres. J’ai voulu relancer le truc avec huit fusées, huit patates. Je ne voulais vraiment pas mettre des sons juste pas mal et que le reste soit de la carotte. J’ai tout viré et j’ai gardé juste les huit que je kiffais le plus.
« J’ai voulu relancer le truc avec huit fusées, huit patates »
NSMLM marque aussi l’apparition d’un univers musical plus diversifié que Plusss, produit avec un seul beatmaker, DJ Weedim ?
C’est juste que Plusss, c’est un projet commun avec Weedim, donc c’est normal que l’EP ait une couleur qui aille avec celle du producteur. Là, c’est moi qui aie choisi les son que je voulais, à gauche à droite, c’est pour ça que ça paraît plus complet.
On a l’impression que tu es plus offensif avec ce projet. Jadis, tu oscillais entre le fusil d’assaut comme sur « Ma vie est un film » ou le pistolet à eau sur ton remix de « No Flex Zone » avec Millionnaire. Sur NSMLM, tu n’as sorti que les armes lourdes.
Je vois ce que tu veux dire, mais il n’y a jamais eu de pistolet à eau. Le freestyle Rae Sremmurd, c’est juste un face B avec mon pote Millionnaire. On a fumé 40 000 joints, on s’est dit « vas-y cette instru elle est pure », on kicke le truc. Il filme un peu, on s’est chauffé et on a fait un petit clip. Mais j’aime bien le rap « coloré », autant que j’aime le rap écrit. J’écoute autant de mecs archi chauds dans l’écriture, dans les structures de rimes que des mecs qui sont nuls là dedans ou ne cherchent même pas être forts et se concentrent uniquement sur de la mélodie. Du moment que c’est réussi, j’aime tout.
Sur NSMLM, tu as quand même pris le parti de kicker.
Je ne me suis pas dit que j’allais faire un projet vraiment rappé, comme ci ou comme ça. J’ai fais les morceaux au fur et à mesure, pris ceux qui me semblaient les plus cohérents et ça a fait NSMLM. Quand j’ai commencé le rap, il n’y avait pas de trap, pas d’autotune, pas de mélodies, il fallait que t’arrives, que tu punches, que tu sois dans le flow et dans l’écriture. Il n’y avait pas tout ce folklo qu’il y a maintenant. Même si j’aime le reste, j’ai toujours gardé ce goût pour l’écriture. Mais tu peux faire un morceaux en 8 minutes qui sera meilleur qu’un autre fait en deux semaines, où le mec s’est cassé la tête sur le texte. Ça dépend du genre. Lil Yachty et d’autres sont très forts dans ce registre. Mais il est évident que pour moi, un mec qui fait un couplet stricte, 16 barres, 16 punchlines, tu ne peux que te le prendre dans la tête. Et tu as beau arriver avec les accoutrements et les artifices que tu veux, tu te le prendras.
Tu ne sens pas néanmoins qu’on assiste, du moins en France, à un retour des brûleurs de micro qui se sont enfin adaptés aux codes instrumentaux de l’époque ? Un retour du couple fond et forme ?
Je pense qu’on n’en est pas sorti. Ça me motive encore plus d’être, avec d’autres, dans ce délire d’écriture là. Je pense que bientôt, certains ne sauront même plus le faire. Tous les mecs qui ont commencé à rapper depuis la trap, tu leur mets une instru normale, ils ne peuvent pas rapper. J’ai commencé longtemps avant. J’ai traversé plein de styles différents depuis cette époque. On est obligé d’être dans ce délire là.
C’est pour ça que tu te reconnais dans l’écurie Don Dada ?
À fond. Avec Alpha Wann, dès qu’on s’est connecté en 2012, j’écoutais ce qu’il faisait et je me disais « ok, je comprends son délire ». On a une vision du rap commune. Même si parfois, on aime des trucs différents, on a tous les deux de l’admiration pour les gros rappeurs, les gros textes, les gros couplets, qu’ils soient français ou cainris. C’est l’équipe.
Qu’est ce que ça t’a apporté de te rapprocher du label ?
Don Dada m’a apporté un truc plus professionnel dans mon travail que ce que je faisais avant tout seul ou avec D’en Bas Fondation. Ça reste de l’indé, mais le projet a été vraiment encadré ; pas un paramètre n’est laissé de côté, tout est géré, tout est étudié. Et je continue en parallèle de bosser avec DBF, c’est la famille. On est dix et la plupart des gars ne sont pas actifs en ce moment, mais on se voit tout le temps. Demain, si j’ai une galère, j’appelle n’importe qui de DBF. Ça n’a rien a voir avec le business, c’est le sang comme disent les Marseillais.
Ton inspiration te vient d’un « mélange de tous les films que [tu as] vus, des livres que [tu as] lus, des kilos que [tu as] fumés, des litres que [tu as] bus ». Des références en particulier ont guidé ton écriture récemment ?
Je ne veux pas me faire passer pour le mec qui lit grave des trucs, rien à voir. Mais j’ai toujours aimé lire, depuis petit. Le français a toujours été la matière où j’étais le meilleur et je lisais un livre de temps en temps. L’année dernière, il y a vraiment eu une période pendant laquelle j’ai kiffé et lu une dizaine de bouquins en deux mois. Je ne faisais que lire. Ça va vous faire rire, mais j’ai lu des classiques comme Madame Bovary de Flaubert. Vu que je ne foutais rien à l’école, je n’ai jamais lu les bouquins que la prof de français te demande de lire. Quand tu le lis pour toi, tu ne l’appréhendes pas pareil. J’ai aussi lu Bel Ami de Maupassant, Le songe d’une nuit d’été de Shakespeare, Histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe…
» Je sais ce qui plait au grand public, et ce n’est pas ce que je fais »
Comment cette envie t’es venue ?
Un jour je galérais, je n’avais rien à faire. On m’a tendu un bouquin, c’était Bel Ami et j’ai beaucoup aimé. Le mec est en galère, capte qu’il a la cote avec les meufs parce que dès qu’ils les croisent il se passe un truc. Il passe de meuf en meuf, j’ai trouvé ça lourd. Et dès que j’ai fini, j’ai enchaîné… Je lisais dans le train, partout, tout le temps.
Tu dis d’ailleurs, « dans une autre époque on serait des peintres et des poètes« . Tu n’as pas de complexe par rapport au rap.
Plein de mecs salissent le truc. Dans ma famille, tout le monde sait que je fais du rap, mais je n’en parlerai jamais. Ce n’est pas une fierté. Mais si tu le fais avec le bon angle et dans la bonne direction, que ça reste artistique, que tu te prends la tête, il n’y a pas à être complexé. Des rappeurs écrivent mieux que les écrivains dont on parle.
Dans ce cas-là, est-ce qu’une démarche artistique est compatible avec une démarche commerciale ?
Je pense savoir ce qui plaît au grand public, mais j’ai assez de recul sur ma musique pour savoir que ce n’est pas ce que je fais. Si je voulais l’être, j’aurais pas sorti un huit titres qui s’appelle « nique sa mère le maire » où ça ne fait que rapper. Je fais ce que j’aime. Je pense que la force des gros artistes, c’est de trouver ce juste milieu entre ce qu’ils aiment eux et ce que peut aimer le grand public. Ils kiffent ce qu’ils font en faisant kiffer tout le monde. Moi, si c’est ça, pas de problème. Je ne peux pas faire un truc que le grand public aime mais que je n’apprécie pas. Parce que d’abord, tu n’es jamais sur que ça marche et de deux, tu t’es cramé et ça ne te plait même pas à toi. Quand tu kiffes ce que tu fais, tu es toujours plus à l’aise pour le diffuser.
Dans NSMLM, tu fais plusieurs références à la politique. C’est quelque chose qui t’intéresse ?
Ça m’intéresse comme les films que j’ai vus et les livres que j’ai lus. C’est du divertissement pour moi. Ce n’est pas la vraie vie. Tu vois des mecs qui touchent je sais pas combien, dans les plus beaux costumes, les plus belles voitures, les plus beaux logements et qui décident de comment doit vivre le reste de la France, celle qui n’a rien. Quelqu’un qui touche le SMIC, une fois qu’il a payé son loyer et ses factures, c’est fini, alors qu’il se lève tous les matins pour aller bosser. Et ce sont ces mecs qui décident. Ça n’a pas de sens. Ils ne savent pas combien coûte un pain un chocolat ou un timbre ; Fillon qui porte des costumes à 25 000 balles et qui ose dire que ce n’est que des costumes… Ben non. 25 000 euros, c’est deux ans de SMIC. Ce n’est pas le même rapport à l’argent, pas la même vie.
En 2014, lorsqu’on t’a contacté suite à ton morceau sur Estrosi, tu disais respecter son côté autodidacte, le mec qui part de rien et devient maire de Nice. C’est toujours un exemple ?
Oui. Je souhaite à n’importe quelle personne sans diplôme, qui part de rien et fait son kiff d’arrive à être au niveau d’Estrosi. Son parcours reste un exemple de réussite. Après, ce qu’il a fait de son parcours, ça ne regarde que lui et sa conscience. Je suis pas assez impliqué dans la politique pour attaquer les mecs, ça ne m’intéresse pas, je ne vote pas. Je suis vraiment cela comme un film. Je trouve ça tellement fou que ça ne me choque même plus.
Il y a quelques années, tu disais ne pas écouter beaucoup de rap français. On retrouve pourtant un morceau sur la secte Abdulaï. C’est un hommage ?
C’est une dédicace. Je vais être honnête, sur ce feat avec Veust, c’est lui qui a trouvé le refrain et le délire secte Abdoulaï. Je n’ai pu que valider. Quand j’étais petit, je me suis pris le rap en pleine tronche et c’était du rap français. Je n’étais pas encore dans le rap cainri. J’ai écouté à l’ancienne… Ensuite, c’est sûr que j’en écoute très peu par rapport à ce que j’écoute en rap américain aujourd’hui. Je suis le rap français plus que je ne l’écoute. Et encore, je n’arrive pas à tout suivre. Je regarde surtout mes potos, le reste de loin.
Tu apprécies néamoins le rap français ?
Oui, il n’y a pas énormément de rappeurs que j’apprécie, mais j’aime des trucs. Je trouve d’ailleurs que le rap français est beaucoup mieux maintenant qu’il y a quelques années.
La France est le deuxième marché mondial du rap, on vit un nouvel âge d’or et beaucoup disent que l’on a plus grand chose à envier aux américains.
Non, on n’a rien à envier, je suis d’accord. À l’époque déjà où j’ai commencé à faire ça, les gens étaient très rap français et c’était direct, « ah ok, lui, il veut faire le cainri ». Aujourd’hui, c’est l’inverse : tout le monde veut faire du rap cainri et quand un mec fait un truc français, on dit qu’il est à l’ancienne. Quand je découvre un artiste que j’aime bien, je vais kiffer, mais je peux pas écouter comme un fan. Au bout d’un moment, le rap c’est pas le monde des Bisounours : on est dans le même game. Les mecs de Coca Cola qui boivent du Pepsi ne vont pas dire que c’est super bon. Ils vont trouver ça super bon mais vont chercher à savoir ce qu’ils ont mis en plus ou en moins. Je kiffe plus comme un scientifique que comme un fan. Les mecs vraiment forts et qui m’ont choqué en rap français m’ont fait la même chose que le rap US. Ceux qui m’ont rendu fou, c’est Lunatic avec Mauvais Oeil, Booba dans Temps Mort, Salif…
Et aujourd’hui ?
Même ceux que j’apprécie, je ne vais pas me buter. Je vais écouter, puis passer à autre chose, mais j’apprécie quand même. Dernièrement, « Fantôme » de Rim’K par exemple. Je l’ai écouté parce qu’un pote m’a passé plusieurs albums et je l’ai trouvé très lourd. Je l’ai joué dans ma voiture, j’ai pris une claque. J’ai bien aimé PNL aussi, SCH, c’est moins mon truc même si les gens de chez moi se butent à lui, se coupent les veines en disant que c’est le meilleur. Et je n’ai pas de problème avec ça, j’arrive à comprendre pourquoi il en est là : il bosse, il écrit, il est sérieux. Après, c’est des styles. Je ne suis pas un haineux. Si le morceau est bon, il est bon, mais je suis aussi exigeant avec les autres qu’avec moi même.
Dans Ipséité, Damso écrit : « J’ai le soutien d’pas mal de chroniqueurs, ils savent que quand j’écris, je n’fais pas semblant. » Malgré les deux ans de quasi absence, pas mal de gens et de médias te suivent pour un peu les mêmes raisons.
C’est un des mecs que j’ai bien aimé en rap francophone. Je ne fais pas semblant en général. Je fais la musique que j’aimerais écouter et je suis super exigeant avec moi-même. Je suis très dur et je suis pareil avec les autres. Ce n’est pas de la hâte, c’est du shaolin.
Et tu aimes le milieu du rap français ?
Je ne fréquente que ceux avec qui je suis bien. Donc oui, l’ambiance est bien car je traîne avec mes potos. Je n’ai pas encore fréquenté tout le monde, mais je n’en ai pas envie. Comme dans la vraie vie. En dehors du rap, je fréquente peu de personnes. J’ai mon petit cercle très fermé. C’est peu de gens, mais que des gens sûrs. Dans le rap, je suis dans le même délire. Je ne peux pas faire semblant. Si tu réussi l’examen du zin, tu es un zin, c’est tout.