J’ai déjà eu l’occasion d’interviewer quelques artistes plus ou moins renommés. Sauf que, lorsqu’on se retrouve face à face avec deux mythes du rap français, deux MC’s qui ont bercé la jeunesse de milliers de jeunes, y compris moi, difficile de résister au trac. A l’occasion de leur projet commun We Luv New-York, AHK et Faf Larage donnaient rendez-vous la semaine dernière au Adidas Store rue de Rivoli, afin de dédicacer quelques exemplaires de leur album. Mais aussi d’accorder quelques interviews avec le sourire. Après le récap de leur live au Festival l’Original, voici donc cette interview exclusive : un tête-à-tête de 20 minutes, qui alterne entre hip-hop, anecdotes croustillantes et… Cuisine. Enjoy !
SURL : Première question assez classique : comment est née l’idée de rendre hommage à la ville de New York et de vous associer autour de ce projet ?
AKH : (à Faf) Tu fais la première ou la deuxième ?
La première est la plus simple…
Faf : Non fais la première, c’est ton initiative…
AKH : Au départ, je souhaitais faire une freetape, gratuite, en réaction à l’impossibilité de pouvoir sampler. Aujourd’hui, créer des sons avec des gros samples, c’est très cher et très compliqué. Donc, je me suis dit « je vais massacrer 15 morceaux et faire une mixtape gratuite », juste pour la forme, sans pochette sans rien. Puis l’appeler I love New York, un clin d’œil au type de rap que j’aime. Puis un jour, je déboule dans le studio de Faf avec le café, puisque nos deux studios sont à côté. Je lui propose de faire ce projet avec moi, il a accepté. A partir de ce moment, on a démarré cette aventure, une mixtape qui est devenue un album. On est partis sans réellement faire de calcul. Bizarrement, en enregistrant l’album, on est restés dans le même état d’esprit que si on faisait une mixtape. On a tracé droit et cherché à se faire plaisir. Et pourquoi Faf,…
Faf : …je passais par là, j’étais à côté (rires). On se connaît depuis 25 ans, ça c’est imposé comme ça. Nos studios sont à côté depuis 7, 8 ans. Puis on a les mêmes goûts, on écoute le même style de rap.
Vous mentionniez tous deux le style de rap que vous écoutez, que vous appréciez. Comment vous le définiriez, à travers quels artistes ?
AKH : Ca, on peut le définir à travers les artistes. Si on fait un projet tel que We Luv New York, c’est pour dire que le style de rap new-yorkais nous inspire… Mais attention, ce n’est pas une question de géographie, plutôt de sonorités. Par exemple, des gars comme Defari, Dilated Peoples, ou Strong Arm Steady sur la côte Ouest, font du son qui résonne Eastcoast pour moi. Comme la Justus League avec Legacy et Little Brother, les prods de 9th Wonder, c’est vraiment la musique que j’aime écouter. Après, des tas de rappeurs new-yorkais : Skyzoo, Torae, etc…
Faf : Inconsciemment, on a peut-être eu l’idée faire un album We Luv New York à un moment où, justement, le rap new-yorkais n’est plus aussi crédité qu’avant. Cet album n’aurait pas forcément eu de sens à l’époque où tu entendais du Wu-Tang de partout. Alors qu’aujourd’hui, le rap de New-York est beaucoup moins mis en avant, c’est pas celui qui vend le plus : maintenant, c’est tout ce qui est dirty, qui vient du Sud des Etats-Unis, plus orienté club, etc… C’est donc le bon moment de rendre hommage à New-York et pratiquer notre rap à nous.
Justement, on parlait de problèmes de samples, de l’envie de réaliser cet album comme une mixtape. La décision de le sortir en indépendant est liée à ces facteurs ?
AKH : La décision de le sortir en indé découle plus de la question suivante : « quand on finit l’album, comment on va le sortir ? ». Là, dans nos têtes, se déroule le fil du démarchage habituel d’un album. C’est pas possible, qu’on parte encore avec un album sous le bras, les négociations, les contrats, les si, les ça… Moi j’ai monté ce site Me-Label surtout pour sortir ma musique de manière très libre. J’ai créé la partie « Abonnement », je voulais faire de la musique avec le moins de contraintes possibles. Les gens se disent « comment vous n’êtes pas dans les magasins, ce n’est pas possible ?» En fait, petit à petit, pierre par pierre, on remporte des victoires. On réussit à avoir des distributions qui prennent des albums à nos conditions, tandis que la grande distribution impose des retours sur les commandes, de fabriquer des grosses quantités … On n’est pas soumis à ces règles-là. Puis, s’ils ne veulent pas le prendre, ils ne le prennent pas. On n’oblige rien à personne, on n’est pas aigris, on fait juste notre truc. Puis on a des chiffres de ventes plus que corrects, dans un système de distribution particulier : on aurait pu faire un top 10 la première semaine si on avait été comptabilisés. Cela a prouvé que les gens ont le réflexe d’aller vers ce qui leur plaisait. Après, on a volontairement conservé le support, CD et le pack Vinyle+CD qui marche énormément. On va l’arrêter, sinon c’est plus une série limitée. On a vendu tout le stock. C’est bizarre de voir que des gens qui n’ont même pas de platines achètent l’objet.
En parcourant quelques articles sur Internet, j’ai lu que l’un de vous deux qualifiait cet album « d’acte de résistance ». Face à quoi ?
Faf : Le côté « acte de résistance », c’est souvent les gens en face qui le prennent comme ça. Ils viennent et nous disent d’entrée « pour nous, c’est un acte de résistance, on le sent comme ça. ». Un acte de résistance, dans plusieurs domaines en fait. Déjà, comme je le disais, on arrive à un moment donné où le rap new-yorkais, plein de jeunes ne savent même pas qu’il existe. Ensuite, on passe par Internet pour vendre notre musique, alors que tout le monde se pose la question de ce que sera l’avenir de la musique. On te dit « c’est la crise, y’a plus de vente ». Les gens sont partagés entre l’idée de dire « c’est mortel ce que vous faites » et « les gars, vous êtes dingues, ça vend déjà pas en magasins et vous le faites sur un site ! ».
AKH : Pour moi il est là, l’acte de résistance.
Faf : On ne prend pas les chemins que tout le monde a emprunté. On arrive avec un chemin différent et on tient nos positions. Aussi, le troisième truc, c’est qu’on va travailler cet album dans la longueur. On ne rentre pas dans les critères de l’exploitation d’un album classique en maison de disque. A savoir, tu sors ton album, tu regardes si tu es au top de ventes et si tu as de l’airplay. Si dans les quinze jours tu n’as ni l’un ni l’autre, ton album est dehors. On ne cherche pas l’airplay ni à rentrer dans le top, car pour nous, l’album se travaille sur 8 à 12 mois.
S’il y a un artiste ou un producteur US que vous auriez aimé inviter sur cet album…
AKH : On n’avait pas le budget pour le faire. On n’a pas cherché à le faire.
Mais sans considération budgétaire, si vous aviez carte blanche ?
Faf : Moi j’aurais dit Jay-Z. Le mec représente bien NYC en ce moment, c’est l’un des rares connu du grand public, qui reste toujours là et tout le monde sait ce qu’il a fait. Pour le prestige.
AKH : Un morceau avec Talib Kweli, Mos Def et Pharoahe Monch réunis. Un bon morceau avec des old timers comme Rakim et Kool G Rap ne me déplairait pas. Ou des new gunz tel que Torae ou Skyzoo. Après des producteurs, plein de trucs…
Faf : Je dirais Just Blaze…
AKH : Ouais, Just Blaze ça serait cool. Même, une bonne prod de Crysis ça me brancherait bien. Ou DJ Premier, même si tout ne me plaît pas.
Faf : Primo pour le côté classique, je suis sûr qu’il doit en avoir tellement en magasin… En fait, Primo, il faut aller avec lui en studio. Ne pas lui laisser te proposer des trucs, mais y aller et fouiller lui dire « laisse moi écouter toutes tes démos ».
N’empêche, au niveau des prods, vous avez quelqu’un de très fort avec Kriss…
Faf : Bien sûr. Il s’inscrit carrément dans la veine de tous les artistes dont on parle
AKH : c’est un Just Blaze-ien !
Faf : Justement, tu écoutes « Clubber Lang Music », c’est dans cet esprit. Il colle parfaitement au concept de cet album.
Malgré les années qui avancent et les évolutions, la motivation de rapper reste intacte ?
AKH : Il faut rester branché sur cette musique pour pouvoir la vivre. Au moment où l’on décroche, où l’on commence à écouter autre chose et qu’on est plus au courant de ce qui sort, c’est le début de la fin. Le truc flagrant avec Faf et moi, c’est qu’on est à l’affût de tout ce qui sort : on écoute des prods, des mecs qui rappent… Après, peu importe qu’on ne soit pas dans la réalité française, on l’accepte très bien. Notre type de rap correspond à ce qui était le mainstream aux USA et en France ; maintenant, c’est autre chose, un rap qui ressemble plus à celui des Etats du Sud, qui prédomine. Pas grave, on peut continuer à faire des choses, aux Etats-Unis ils s’entendent très bien. Parfois, David Banner, qui ne rentre pas une fois dans mon iPod, d’un coup il rappe sur des prods de 9th Wonder et je l’écoute. C’est une sorte de force qu’ils ont les américains, à s’apprécier même s’ils ne font pas du tout la même chose. J’admire ça. Un autre exemple : j’exècre Bun B sur ses albums avec Pimp C, d’un coup il rappe sur la prod de Primo avec Terminology et il lui pousse des ailes superbes. A mon goût ! En France, il est temps de décloisonner tout ce qui est musique, et d’une autre façon la société. C’est ce qui m’inquiète dans la France qu’on est en train de construire pour demain. Je reste persuadé qu’on emprunte le bon chemin en décloisonnant.
Sinon, j’ai bien aimé Costa Cook…
AKH : moi aussi j’aimais bien !
Donc, si We Luv New York était un plat cuisiné, quelle serait la recette ?
AKH : Si cet album était un plat cuisiné, ça serait sûrement de la malbouffe (rires) ! En entrée, des Corn Flakes Cheerios de toutes les couleurs, servis dans une bassine en plastique pourri, toute dégueulasse ! A manger à la cuillère.
Faf : Un plat qui met longtemps à être digéré !
AKH : Ce serait des York, tu connais ces biscuits ?
Même pas.
AKH : C’est comme des After Eight, mais énormes, qui te filent la gerbe. Mais c’est très bon ! Du lait avec des Marshmallows à l’intérieur, l’aliment de base de DJ Kheops quand il achetait ses vinyles à NYC… (rires). Pour finir, un Burger King, un Double Whooper. We Luv New York, c’est ça ! Après, tu peux te dire, si c’est l’upgrade IAM avec un peu plus de moyens, c’est gril japonais. Mais ça, par tête, ça douille un peu plus, il faut avoir vendu quelques disques ! Je t’ai cité deux plats, un quand je n’avais pas un rond et l’autre quand j’avais un peu plus de sous. Et les restos… Sérieusement, c’est vraiment la ville, si tu ne trouves pas le resto qui te scotche… J’ai fait des repas incroyables là-bas, ça m’a même réconcilié avec la nourriture mexicaine ! C’est dur, ça !
Pour terminer : Le champion, Lille ou l’OM ?
Faf : L’OM… L’OM.
AKH : Je pense que l’OM va être champion, mais je ne suis pas persuadé que la forme soit très belle.
Faf : C’est pas grave… Je pense que Lille ne font pas de soucis à se dire « oui, la manière, pas la manière,… »
AKH : Moi j’ai un petit complexe quand même, je veux qu’on gagne avec les plumes, le panache. Je suis un rital, je veux du spectacle !
Faf : Mais ils veulent tous qu’on perde. C’est ça le truc, c’est nous contre le reste du monde.
AKH : Mais c’est le football !
SURL remercie les deux artistes, mais aussi Brice d’Adidas.