Si vous écumez les couloirs du métro parisien, vous êtes certainement familiers de cette affiche qui sévit depuis quelques semaines. Ce visage et ces yeux bleus Ben Mazué n’est pas qu’un faciès placardé sur des posters promotionnels, c’est d’abord la trouvaille la plus fraîche du label Columbia en 2011. Son titre « Confessions d’un rap addict » m’avait autant ébouriffé que sa tignasse. Le reste de son premier album m’a tour à tour étonné, troublé puis enchanté. En plus du rap, le mec aime beaucoup de choses, même le foot. Définitivement un type à rencontrer.
SURL : On commence avec une brève présentation pour les lecteurs qui ne te connaîtraient pas ?
Ben Mazué : Ecoute, je te propose de le faire (sourires)
C’est plus dur, je dois poser les questions normalement ! Je dirais, Ben Mazué, la trentaine …
La trentaine ouais …
Chanteur, écrivain …
Ouais voilà …
Musicien, des instruments en particuliers ?
Plutôt la voix, plutôt chanteur.
Et un très bon artiste, qui a notamment percé avec deux excellents titres, « Mes Monuments », précédé de « Confessions d’un rap addict ». J’ai oublié des éléments ?
Non, c’est bien, super !
Ce qui m’a frappé à l’écoute de ton premier album, c’est que je l’ai trouvé très éclectique, une véritable prise de risque. Ce mélange des genres, ça vient au feeling ou c’était un vrai parti pris lors de la conception de l’album ?
J’ai fait un album après avoir fait de la scène. C’est un parcours particuliers, même si tous les parcours le sont. J’ai fait de la scène pendant deux ans et je jouais la plupart des morceaux que tu peux écouter dans l’album. Une fois que tu arrives à l’album, quand tu as fait de la scène avant, la question de la cohérence tu ne te la poses pas. Ca représente un recueil de ton travail jusqu’à aujourd’hui. Le premier album c’est souvent ça, un condensé de tout ce que tu as fait jusqu’à aujourd’hui et tu prends le meilleur. C’est souvent assez éclectique en vérité. En l’occurrence, moi c’est très éclectique, mais pour d’autres aussi. Après, pour les projets suivants, tu as moins de temps, donc tu reste plus cohérent y compris dans ton propos et peut-être dans ton style musical. C’est plus difficile d’aller faire un recueil aussi large en terme de style musical quand tu n’as que deux ans pour le faire. Finalement, c’est une certaine richesse, même si comme tu dis c’est assez risqué, puisque c’est compliqué de l’étiqueter.
Justement, c’est une question de journaliste, mais comme définirais-tu ton étiquette musicale ?
Je fais de la chanson française. Mon style musical s’arrête là. Sur cet album, il y a de la soul en anglais, du rap, plein de choses … Mais toujours coordonné autour d’un texte et d’un souci qui me rapproche de la chanson. Puis il y a cette mise à nu, ce qui est très chanson.
En parlant de mise à nu, on trouve beaucoup d’éléments autobiographiques dans cet album. Tu as notamment pas mal voyagé dans ton enfance et les années qui ont suivi. De quelle manière cela a-t-il pu influencer ta musique ?
Oui, ça a influencé dans la mesure où quand tu voyages, tu dois faire preuve d’ouverture d’esprit, de curiosité, tu dois aller vers les gens. Après, cette ouverture d’esprit, tu peux le faire dans ta propre ville, dans ta propre vie. C’est plutôt le fait d’aller vers les gens qui constitue un élément moteur dans ma vie musicale. Globalement, le fait d’avoir vécu plusieurs aventures professionnelles, amoureuses, de vie, ça permet aussi d’avoir des atomes crochus avec beaucoup de gens. Je veux dire par là que j’aime bien parler de plein de choses qui ne me concernent pas directement. J’écoute énormément les infos, la radio, j’adore parler avec des journalistes de sujets dont je ne suis absolument pas expert, mais qui me plaisent.
Justement, tu te sens plus à l’aise quand tu parles de toi dans l’album, de ton vécu ou quand tu parles des autres, plutôt dans le storytelling ?
J’ai vraiment l’impression de parler beaucoup de moi, de choses vécues en tout cas. Après j’aime bien rendre hommage. Cet album est cohérent en ça, il rend hommage systématiquement : soit à la musique, soit aux gens modestes, aux histoires d’amour courtes, … Ca me plaît de rendre hommage à un moment d’émotion, à quelque chose qui m’a ému assez pour que j’ai envie d’écrire dessus. C’est surtout ça. Après, « Case Départ » c’était plus un exercice, « tiens si je racontais ma vie d’un coup ».
Une autre particularité : tu alternes entre français et anglais. Qu’est ce que t’apportes de plus la langue de Shakespeare que le français ?
Déjà quand j’écris en français, c’est tellement laborieux, ça me prend du temps, c’est pour moi quelque chose de précis et difficile. Ca m’ennuie qu’on ne comprenne pas : j’ai envie qu’on s’intéresse au fond de ce que je raconte, au fond des mots. Du coup ça ne donne pas forcément envie de hocher la tête ou de danser, quand tu dois être au fond du texte. Quand je pars sur des instrus très dansantes, parce que la musique c’est aussi danser ou bouger et pas seulement écouter quelqu’un te raconter sa vie, je n’ai pas envie de parasiter ma musique avec un message qu’on devrait comprendre. J’aime mieux qu’on ressente. L’anglais c’est très bien pour ça : on a pas besoin de le comprendre, c’est une langue extrêmement « essentielle », dans le sens de « essence », dans la musique d’aujourd’hui : toutes les musiques qu’on fait nous aujourd’hui viennent de pays anglophones. Forcément, ça marche bien, c’est super pratique. J’ai aussi grandi avec une influence américaine très forte, comme nous tous d’ailleurs. J’ai passé beaucoup de temps là-bas et comprendre cette langue, ça donne envie de chanter en anglais. Après, il y a le cas des mecs qui chantent en français et dont le fond du message n’a pas d’intérêt particulier, du coup tu vas l’écouter comme si tu écoutais de l’anglais.
Confessions d’un rap addict : quel album hip-hop emmènerais-tu sur une île déserte, celui qui t’as le plus marqué ?
J’ai énormément aimé toute l’époque, durant laquelle le haut du pavé était tenu par Time Bomb, Oxmo Puccino, Pit Baccardi, Lunatic, X-Men… Pour moi il n’y a pas de meilleurs rappeurs.
Le rap c’était mieux avant ?
Non, non, c’est toujours bien et en plus ça revient. Mais nous les « vieux », j’ai 30 ans tu vois, forcément quand on écoute ça il y a un pincement, quelque chose de cardiaque, qui te rappelle ta jeunesse et comment tu l’as écouté, l’effet extraordinaire que ça procurait à l’époque. Les jeunes aujourd’hui, quand ils écoutent les trucs actuels, ils doivent sûrement ressentir les mêmes sensations. Par exemple, une sorte de freestyle les réunit tous, « Les bidons veulent le guidon ». Je pense que je partirai avec ce titre. (il sort son iPhone et me fait écouter le morceau, puis me passe du Xzibit). Lui aussi je l’aime bien.
Et les trucs actuels, tu écoutes ?
Pas trop trop, un peu moins. J’écoute beaucoup Camille, l’album qui vient de sortir. Génial, absolument génial, sur toute la ligne. Il y a cette fraîcheur, cette spontanéité, elle arrive à restituer de l’émotion. C’est comme s’il n’y avait pas de technique, comme si on pouvait tous faire ce qu’elle fait.
Les choses les meilleures sont celles qui paraissent les plus simples
Exactement, ça paraît d’une simplicité la musique pour elle … On a l’impression qu’elle fait son album en se baladant dans la rue, en ayant des airs qui lui viennent et ça suffit. La réalité est certainement complexe, mais on s’en fout ! Au final, ce qui est génial c’est cette fraîcheur. Je suis très touché par sa musique.
Si tu avais pu collaborer avec un artiste, passé ou présent ?
Je tenterais bien un truc avec Quincy Jones, Bill Laswell, … Plutôt des producteurs. Des gens qui font les instrus, des mecs mythiques.
Au niveau des instrus, j’ai personnellement trouvé que beaucoup de chaleur s’en dégage. Quelle était la ligne directrice ?
Ouais, il y avait une ligne directrice. Après, tu sais tu donnes une ligne directrice pour donner une ligne directrice, histoire de t’accrocher à quelque chose. Mais on s’en est vraiment très éloigné. Ca ferait un peu prétentieux de dire qu’on est resté cohérent, puisque à l’origine l’idée consistait à faire un truc entre Aloe Blacc, Vampire Weekend et Janelle Monae. Très ambitieux, mais on est parti de là. Sur le choix des instruments, il y a eu de tout. Je voulais qu’on reste très agricole : beaucoup de bois, de voix. Après, il y a des morceaux tu peux pas : t’es obligé d’envoyer, pour le bien du morceau. Comme « Feelin’ High », il faut que ça tabasse un peu.
Pour sortir un peu de la musique : une dernière expo, film, série, ou sortie qui t’as marqué ?
C’est une bonne question (il réfléchit…). En ce moment je mate une série que j’aime bien, ça s’appelle Shameless. Une sorte de Simpson, une famille complètement déjantée avec un père taré à la Homer. Pas mal, mais ça ne suffit pas à placer en référence… J’ai vu Drive, mais comme tout le monde j’ai envie de te dire […]. Un resto sinon, c’est bien un resto ! « La taverne de Zao », rue des Vinaigriers à Paris. C’est rare, les restos chinois. La plupart du temps c’est vietnamien, thaïlandais, … Là, c’est vraiment chinois, magnifique, pas cher. Enfin, le guitariste avec qui je joue est parti en Islande avec le photographe de la pochette de mon album. Ils vont présenter une expo à la fois sonore et visuelle, qui va s’appeler « Loupe ». Je pense que ça va vraiment être splendide.
Toi qui viens de la scène, tu as une anecdote croustillante ou émouvante ?
Je cherche … Je vais t’en donner plusieurs, tu pourras choisir. La première fois que j’ai fait une première partie d’Hocus Pocus, c’était à La Cigale. J’ai joué « Lâcher Prise », qui n’est pas hyper simple rythmiquement et qui comporte un passage très vague. D’habitude les gens ne réagissent pas. Sauf que la, toute la Cigale tapait en rythme sur le « 2-4 », ce qui est très rare en France, puisque les gens tapent sur le « 1-3 » (il frappe dans les mains), c’est insupportable ! (rires). Ca devait être notre millième concert, c’était inattendu : là je me suis dit, « ok, le public d’Hocus Pocus est très mélomane, très très mélomane ». Un petit détail qui en dit long sur le public, la qualité des mecs. L’autre anecdote, c’est que quand je présente mon ingé son, je dis toujours qu’il est natif de la région dans laquelle on joue, même s’il ne l’est pas. Il est de Massy-Palaiseau ! Une fois, en Corse, j’ai donc annoncé au public qu’il était corse, comme d’hab. Du coup, à la sortie du concert, les mecs de la technique l’ont tous invité à manger avec lui à table, ils lui ont filé deux bouteilles de vin, de la charcuterie, … C’était assez rigolo. Il a très vite dit qu’il n’était pas corse, mes ses hôtes ont eu la gentillesse de lui laisser les offrandes. Ah oui, quand ça se passe pas bien avec mon ingé son, je dis que c’est son anniversaire, comme ça le public chante et ça le gêne (rires).
Côté mode, est-ce que tu suis un peu, as-tu des marques favorites ?
Je te disais tout à l’heure que je suis assez curieux de plein de choses dont je ne suis absolument pas expert, la mode en est une. Je ne connais pas trop de trucs, mais je m’y intéresse un peu. Plus dans les pompes : la je porte les chaussures d’un mec qui s’appelle Julien Simon, un jeune créateur de baskets. Sinon, j’aime bien COS.
Dernière question : si ta musique était un plat, quelle serait la recette et les ingrédients ?
Ecoute, des achards de citrons : c’est du citron confit, ça vient du côté du Madagascar. Un riz avec plein de trucs dedans, un plat du dimanche soir, avec ce qui reste de toute la semaine. Probablement des saucisses laotiennes, des lardons, de la coriandre, du curcuma. J’aime bien ce genre d’épices. Quelque chose de très français dans la manière de présenter mais de très exotique dans le goût. Du coca pour boire avec, quelque chose d’un peu dégueulasse (rires) parce qu’on ne boit pas du vin un dimanche soir avec un plat comme ça !
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Un grand merci à Ben Mazué et Cédrick Lohou pour leur accueil et leur disponibilité. On conclut cet entretien en musique avec le clip tout neuf du monsieur, le touchant « C’est léger », en duo avec Pauline Croze.