Deen Burbigo fait partie des principaux visages de L’Entourage, ceux qui gravitent légèrement au-dessus des autres et dont les sorties suscitent toujours un émoi particulier. Outre le fait qu’il rappe comme personne, le plus sudiste des rappeurs parisiens se différencie via une attitude propre, celle d’un gars sûr de lui et de ses atouts, celle qu’il a démontrée lors des Rap Contenders et qu’il continue de développer à travers chaque nouveau morceau. Entretien.
En 2014, L’Entourage veut revenir très fort au premier plan du rap jeu hexagonal. Avec les sorties des projets d’Alpha Wann (Alph Lauren), de Deen Burbigo (Fin d’après minuit), et l’arrivée prochaine de l’album du collectif, les Parisiens frappent dans la lucarne dès le coup d’envoi de la saison. Un mois et demi après la sortie de son EP et une semaine avant son concert à Lyon, dans le cadre de L’Original Festival, le Toulonnais d’origine a une nouvelle fois répondu à nos questions. De l’Ardèche à l’Âge d’or, d’Aubenas à la Big Apple et de Soulkast à Kaaris, tout y passe.
SURL : Tu rentres juste de New-York à ce que j’ai cru comprendre ?
Deen Burbigo : Exactement.
T’as été y faire quoi ?
Je suis parti une semaine avec Valentin Petit pour y tourner un clip.
Celui d’« Âge d’or », c’est ça ?
Yes.
C’est pas la première fois que tu visites la grosse pomme j’imagine ?
C’est la deuxième fois que j’y vais, ouais.
Donc pour toi, l’Âge d’or du rap a forcément eu New York comme théâtre ?
C’est un clin d’œil à une ville qui m’a beaucoup, beaucoup influencé. Moi je suis rentré dans le rap via l’école new-yorkaise. Aujourd’hui je cherche plus forcément ça, mais c’est vrai que les plus grands classiques, les débuts ça vient de là bas. Donc ouais, c’était un petit clin d’œil. Après, le morceau tu l’as entendu : l’idée c’est de dire que l’Âge d’or, c’est quand toi tu commences et tu fais ton truc. En gros.
Quand tu parles de classiques, tu parles de quoi ? De Bambaataa ? De Chuck D ? Ou plutôt de ce qui a pu se faire dans les années 90 à Queensbridge et à Brooklyn ?
Afrika Bambaataa tout ça, c’est dans les livres, c’est bien. C’est pas un truc que je vais dénigrer mais c’est pas des trucs qui moi m’ont fait rêver en tant que jeune. Moi j’étais beaucoup plus dans Boot Camp Clik, Mobb Deep, Nas, Jay Z que dans Afrika Bambaataa. Le Queens, c’est un des trucs qui m’a beaucoup parlé mais c’est New-York dans son ensemble. Boot Camp c’est Brooklyn, Dipset c’est Harlem, Big Pun c’est le Bronx. J’ai été influencé par les quatre coins de New-York je pense.
Quand tu fais le déplacement là bas, j’imagine que tu fais plus que tourner un clip. T’en as profité pour faire des rencontres, des connexions pour un projet futur ?
Pas cette fois-ci, en tout cas pas que je veuille parler pour l’instant. En fait, moi sur place j’ai mes gars, mais j’ai pas encore de… Disons que pour l’instant, les connexions ne sont pas assez solides pour que j’en parle.
Mais il y a bien eu des connexions ? Juste pour spéculer un peu.
Il se peut. (rire)
Collaborer avec un américain, c’est pas encore quelque chose que tu as abordé ?
Sur « Inception » il y avait Mr. Probz qui avait fait un refrain. Il est Hollandais et chante en anglais. C’est vrai que c’est le seul. Je ne suis pas contre, au contraire, je trouve qu’il y a des collaborations qui se sont faites qui étaient très chaudes. Je me rappelle notamment, quand j’étais plus jeune, du Ol Kainry/Raekwon qui m’avait beaucoup marqué. Mais je suis pas du genre à courir après les gens. Les artistes américains qui me feraient rêver, faudrait soit que je lâche 20 000€, soit c’est des mecs qui me regarderaient un peu de haut. Ce que je peux comprendre hein, je suis qu’un petit français à leurs yeux et ils ne me connaissent pas. Avec un artiste français, ça va être plus facile parce qu’il va savoir qui je suis et va vite comprendre ce que je fais. C’est plus facile de faire un truc avec quelqu’un qui se pose d’égal à égal avec toi qu’avec quelqu’un qui va être moins intéressé par ce que tu fais, tout simplement.
Il y avait ce rappeur français, Soulkast, qui avait fait des trucs avec Onyx, M.O.P., des artistes comme ça. Ça avait donné une fausse impression à plein de gens, comme si ces collaborations étaient à portée de main. C’est quoi la réalité financière de ce genre de connexions ?
Ça dépend de qui tu veux avoir mais honnêtement, je ne peux pas parler chiffres parce que je n’ai pas contacté assez de personnes ni celles avec qui lui a travaillé. Tu sais, aux États-Unis, ils ont beaucoup moins de complexes avec l’argent que ce qu’ont peut avoir en France. En France, le public veut que tu sois un vrai du hip hop et que tu fasses de la musique pour manger des cailloux. Aux États Unis, on n’a aucun problème à faire son billet avec la musique. C’est si tu cherches à avoir quelqu’un sans le payer qu’il va te regarder comme si tu étais un extraterrestre.
« Je suis plus confortable avec l’idée d’avoir plusieurs atouts dans ma manche »
Ça t’est déjà arrivé, en France, de payer pour une collaboration ?
Non, non. Jamais. En soi, je ne fais déjà pas beaucoup de collaborations. J’ai pas invité grand monde, et le peu de gens que j’ai invité, c’était vraiment la famille. Et c’est pour ça aussi d’ailleurs que je préfère rester en famille à l’heure actuelle. Après, en France, le système ne marche pas exactement comme ça. J’ai jamais demandé un billet pour un featuring. Après, peut-être plus tard. Je ne dis pas que je suis contre le concept parce que quelque part, tu viens, tu ramènes toutes tes années de travail, ta cote, ton nom, ça te prend du temps… Quelque part c’est logique que tu prennes un billet. Aujourd’hui moi je suis encore dans l’optique de monter ma propre cote et je ne suis pas chaud pour aller poser des couplets à droite à gauche. Je suis plus concentré sur mon truc et j’essaie vraiment de le développer à fond plutôt que de m’éparpiller. Je l’ai déjà fait, notamment il y a deux-trois ans quand on allait partout et qu’on posait partout où on pouvait poser. Là, maintenant, je pense que je me suis assez baladé.
Tu parles de la famille : L’Entourage je présume. Au niveau de votre album commun, comment ça se passe ? Vous êtes dix emcees : qui gère les arrangements ? Qui décide ?
Les trois quarts des sons ont été faits en Ardèche. On est partis deux semaines dans un petite village au dessus d’Aubenas avec du matos d’enregistrement dans, une villa. On était sur les hauteurs d’une colline où il y avait rien, mais quand je te dis qu’il n’y avait rien, c’est même pas un supermarché à moins de dix minutes de voiture. En gros, on était en mode jacuzzi/piscine et non-stop, 24h/24, il y avait toujours des gens en studio. Soit en train d’écrire, soit en train d’enregistrer. On a fait un truc très simple : tout le monde a ramené les instrus qu’il avait mises de côté, on a fait un tour de table en les écoutant toutes et chacun levait la main quand il était intéressé. C’était très organisé. On a essayé de se placer les uns les autres et de faire des combos qui étaient intéressants.
Historiquement, les groupes avec beaucoup de membres ont toujours eu un leader qui menait le truc d’une main de fer. Je pense notamment au Wu-Tang, bien sûr, avec RZA. Chez vous, qui gère ?
On n’a pas de RZA. Après, par intermittence on a des têtes qui vont pousser tout le monde. Disons que là, sur cet album, je pense la tête qui a fait le plus bouger les choses, ça a été Eff Gee. Dans le crew on était tous plus ou moins pris par nos projets respectifs, et Eff Gee, sur la fin, c’est clairement lui qui a pris sur ses épaules le côté organisationnel. C’est le côté un peu rébarbatif mais sans lequel rien ne se fait.
On avait tendance à croire, via notamment les visuels et la communication du collectif, que c’était plutôt Nekfeu (notre interview) qui avait le brassard de capitaine. Pas du tout ?
Non, pas du tout. Nekfeu, c’est celui qui à l’heure actuelle a le plus de retour public et qui a la base fan la plus solide. C’est aussi celui qui a le plus d’attente autour de lui et qui a le plus de pression sur les épaules. Il ne peut pas organiser tout pour tout le monde. Avec le S-Crew , il a déjà monté un label via lequel ils ont sortis leur album, Seine Zoo, donc il peut pas tout faire.
On parlait du producteur et de son rôle central dans les groupes avec de multiple emcees. C’est lui qui rend le tout homogène et cohérent. Lo est le seul beatmaler de L’Entourage, mais il n’a pas vraiment ce rôle-là ?
Non, il n’y en a pas d’autres. On aime vraiment à aller chercher les beatmakers à droite à gauche. Sur le truc de L’Entourage, on a cherché à s’amuser le plus possible et on a essayé d’être un peu éclectique. C’est vrai qu’on est dix et on n’a pas forcément tous les mêmes envies, les mêmes goûts. On a essayé de faire un truc qui contente un peu tout le monde et ça s’est fait plus ou moins naturellement. Comme je t’ai dis, on votait à main levée au fur et à mesure voilà. En gros, j’ai un noyau dur de mecs avec qui j’ai l’habitude de bosser et qui donnent une couleur. Des mecs qui étaient là sur mon premier projet, qui sont là sur le deuxième et qui seront là sur l’album.
Justement, aujourd’hui, plein de rappeurs explosent parce qu’ils ont trouvé le producteur qui sublime leurs qualités comme personne : YG-DJ Mustard, Drake-Noah 40, Kaaris-Therapy et j’en passe. Tu n’aimerais pas trouver le tien ?
Dans l’idée, le fait que les beatmakers recommencent à prendre de la place médiatiquement, je trouve ça très sain. On fait de la musique et c’est qui apportent la partie musicale ! C’est un non-sens pour moi de lire des interviews de rappeurs qui ne parlent jamais de leurs beatmakers. C’est juste aberrant. Aujourd’hui, je suis plus à l’aise avec une palette de producteurs qui me proposent des ambiances différentes. Je ne cherche pas encore à développer un truc avec un seul d’entre eux, bien que ça puisse être intéressant. Mais je pense que ça s’impose à toi. Quand Némir (notre interview) a rencontré En’zoo, ils se sont juste mis à travailler et se sont rendus compte que ça ne marchait pas pareil quand ils n’étaient pas ensemble. Du coup ils bossent uniquement tous les deux. Jusqu’ici, j’ai eu des beatmakers avec qui vraiment il y a eu une grosse accroche, je pense notamment à Dance ou à Ikaz, mais je suis plus confortable avec l’idée d’avoir plusieurs atouts dans ma manche.
« Air de playboy, des belles gosses nous frottent le bre-chi » ; « Les plus économes passent sur les mêmes meufs, un dépistage pour trois ». Sur Fin d’après minuit, t’es plus cru qu’auparavant. Tu sens que c’est une tendance qui revient dans le rap français ? Peut-être avec le raz-de-marée Kaaris (notre interview) ?
Moi je trouve que ça a toujours été le cas. Honnêtement, Kaaris, il est très bon mais il surfe sur un truc qu’il n’a pas inventé. Enfin, il n’a pas inventé la vulgarité. Et je ne pense pas que même lui cherche à s’accaparer ou à s’approprier ce créneau la. Je trouve même que ça s’est calmé dans le rap français ces derniers temps.
« Si on ne faisait que se branler sur ce que les gens faisaient avant, on ne ferait rien »
Bien sûr que des mecs comme Alkpote ont toujours été là, que la culture de la métaphore dégueulasse qui te reste en tête et qui te fait rire, c’est pas nouveau. Mais c’était moins populaire qu’aujourd’hui. Tu ne sens pas que ça s’est démocratisé, notamment pendant la période qui sépare tes deux EP ?
Honnêtement, j’ai fait ces deux EPs là tellement au feeling que j’ai du mal à te parler de l’évolution des thèmes que j’aborde. Je pense que les mêmes thématiques se retrouvent dans les deux. Après, dans le deuxième, elles sont peut être abordées différemment parce que je grandis, je muris, tout simplement. Mais c’est vrai que dans le premier EP il y avait un côté plus intéressant à l’écoute. Le deuxième projet, je trouve que tu peux le mettre dans ta gova, en soirée, comme ambiance ou même en concert où je le trouve bien plus adapté. Il n’y a rien d’inventé, je parle toujours de ma vie, mais j’ai essayé de plus m’amuser et je pense que ça s’entend. En tout cas, moi je m’amuse plus maintenant à faire ce genre de morceaux. Après, dans le premier EP aussi il y avait pas mal de phases qui parlaient de meufs, qui parlaient de cul et de pas mal de trucs dans le style. Peut-être que c’est plus évident sur le deuxième.
Dans ton interview avec l’Abcdrduson, tu disais avoir grandement été influencé par Veust. Sur « L’oseille à la bouche », tu as invité quelqu’un qui bosse pas mal avec lui : Infinit. C’est quelqu’un que toi aussi tu veux mettre en avant ?
Ouais, clairement. C’est quelqu’un avec qui, humainement, je suis proche, déjà. C’est la famille. Ensuite, en terme de musique, si demain je pouvais appuyer sur un bouton pour qu’un artiste pète, il ferait clairement partie de ceux que j’aimerais voir exploser en France.
Du coup, si tu devais faire ta promo francophone des XXL Freshmen de 2014, j’imagine qu’il y figurerait. Avec qui d’autres ?
Ben Kaaris, clairement. Et puis Joke aussi, avant Infinit, parce qu’il a une accroche public déjà très développé. Kaaris et Joke, c’est deux mecs dont j’apprécie le travail et qui viennent vraiment d’arriver ?
Tu considères Kaaris comme un rookie ?
Ben oui ! Il est là depuis très longtemps mais on ne va pas se mentir, personne le calculait avant. Dans la sélection des Freshmen, il s’agit pas de savoir qui vient de commencer le rap et qui est bon : il s’agit de savoir qui vient de rentrer dans le game, que ça fasse trois ans ou quinze ans. Et là, Kaaris il vient d’y faire une entrée fracassante.
Pour conclure : dire « c’est maintenant que débute l’Âge d’or », c’est pas, au final, aussi obtus que de critiquer ceux qui clament que c’était mieux avant ?
C’est plus de l’arrogance pour faire réagir que du discours fermé. Si on ne faisait que se branler sur ce que les gens faisaient avant, on ne ferait rien. Avant, 90% des artistes étaient obligés de signer en major s’ils voulaient faire quelque chose. Avant, il y avait une pléiade de dix, vingt artistes qui se partageaient le gâteau et qui laissaient très peu de place pour les autres, notamment pour les gens de province. Aujourd’hui, avec 400 euros d’investissement tu peux acheter du matos pour enregistrer chez toi, tu peux le mettre directement sur le net et tu peux te faire connaître et lancer une carrière. En ça, je trouve quand même qu’on a un côté Âge d’or. Aussi, avant il y avait une couleur prédominante dans le rap. Maintenant, il y a des milliards de trucs différents. Avant, ce qui était intéressant c’était de défricher parce que rien n’existait, maintenant il y a tellement de trucs qui existent que je trouve ça intéressant de voir ce qu’on arrive à développer alors que certains pensent que tout a déjà été fait. »