Interview – Evidence : « Je ne veux pas revenir en arrière »

jeudi 5 décembre 2013, par Laura Aronica.

Qu’on l’appelle The Weatherman, Mr. Slow Flow ou Evidence, Michael Perretta reste depuis plus de vingt ans le même emcee emblématique : « Unsigned death threats written in typewriters / Poetic, I’m that type of writer » (« Mr. Slow Flow », 2007). En concert à Paris ce dimanche 17 novembre sous l’étendard de Dilated Peoples, avec Brother Ali en « very special guest », nous avons pu le rencontrer seul, juste avant qu’il monte sur la scène du Trabendo. D’Instagram à Rhymesayers, le Californien nous en dit un peu plus sur lui et notamment sur sa passion pour la photo. Nous l’avions d’ailleurs déjà interviewé il y a deux ans pour la sortie de son deuxième album solo, Cats & Dogs. Toujours un plaisir.

 

SURL : La photographie est très présente dans ta vie : le prochain album de Dilated Peoples s’appelle Directors of Photography, ta mère était photographe, tu es aussi très actif sur Instagram [ndlr, @mrEvidence]. Comment fais-tu le lien entre photo et musique ?
Evidence : Le logo des Dilated est un œil. Notre truc, ça a toujours tourné autour de la vision, de la vue, de l’oeil. Notre dernier album s’appelle 20/20, ce qui signifie chez nous « vision parfaite ». La pochette de l’album, c’était un objectif optique autour du logo, l’oeil. On a toujours plus ou moins vu la photographie comme on voit la musique. Ma mère était une grande photographe, elle était très célèbre. Toute ma vie, j’ai regardé des photos. Elle me disait tous les jours : « Tu préfères laquelle ? Celle-là ou celle-ci ? ». J’ai toujours été là-dedans. Aux Etats-Unis, la personne qui tourne des vidéos est appelée « Director of Photography ». DP, comme les initiales de Dilated Peoples. C’est l’idée : on regarde le monde, on vous regarde à travers notre objectif. Quand ma mère est morte, je m’y suis vraiment intéressé parce que je savais qu’elle aurait voulu que je le fasse. Mais quand elle était vivante, je ne voulais pas le faire : les enfants ne veulent jamais faire ce que leurs parents leur disent de faire. Maintenant qu’elle est partie, je m’y suis mis à fond. J’avais juste fait un an d’études visuelles à l’université avant ça, en 1997 ou 1998.

Tu as donc commencé la photo très jeune au final ?
Oui, je l’ai fait pour elle, mais je ne suis pas allé jusqu’au bout. Je savais juste cadrer et je connaissais la technique. Après mon année d’études, j’ai mis tout ça de côté. Et puis l’iPhone est arrivé. L’iPhone 3G. [Il s’arrête] Oh tu l’as encore ! Jesus Christ ! Ouah, t’as vraiment l’iPhone 3G. Ben voilà, c’est celui-là, je l’avais aussi. J’avais installé Hipstamatic dessus. J’aimais beaucoup cette application, du coup j’ai commencé à prendre pas mal de photos et à les poster sur Myspace et les réseaux sociaux de l’époque. Instagram n’existait pas. Plus tard, il y a trois ans, Babu m’a montré Instagram et j’ai commencé à prendre encore plus de photos. Mais je n’avais pas envie de me prendre en photo : les selfies, ça ne m’intéresse pas. J’avais envie de faire de la vraie photographie, que les gens ne sachent pas que j’étais un rappeur. Petit à petit je suis devenu « populaire », pas mal de gens m’ont suivi. Maintenant, tout le monde prend des photos sur Instagram ; je ne dis pas que j’étais le précurseur, mais j’étais clairement l’un des premiers.

 

« Pour mon travail solo j’ai préféré être plus Michael qu’Evidence »

 

T’es un hispter d’Instagram quoi, tu l’as fait avant que ce soit cool.
Haha, presque ! Non, c’est juste qu’à l’époque tout le monde prenait des photos de soi-même. Je me suis dit : « Je ne vais pas me montrer, je vais plutôt prendre des photos de paysages, de ce que je vois. » Avant que ce soit cool, oui.

Et Directors of Photography, donc.
Dans mon travail solo, j’ai pas mal parlé de choses personnelles, comme la mort de ma mère ou mes problèmes financiers. C’est plus ouvert. Au début, avec Dilated, on était comme les autres. Il n’y avait pas encore Atmosphere, Eminem, les Pharcydes… C’était super emo ! Personne ne parlait de sa mère, personne ne souriait sur les photos. Pour mon travail solo j’ai préféré être plus Michael qu’Evidence. En recommençant à travailler avec Dilated Peoples, je me suis dit : « Comment j’vais faire ? J’ai tellement évolué en tant qu’artiste solo, je ne veux pas revenir en arrière. » J’ai décidé que je serai moi-même, et ça a marché. Sur Directors of Photography, je fais ce que je veux, je parle de ma mère si je veux, de photo si je veux, on fait les trucs ensemble, sans calculer. On ne réfléchit pas trop à toutes ces histoires en fait. On ne se dit pas « tiens, ce son va s’appeler « Overexposed », l’autre « Light », et le troisième « Focus » [rires]. Non, ça marche pas comme ça ! ». On met pas mal de références dans nos sons, ça c’est sûr. Mais on ne se dit pas qu’on va faire un truc en particulier ou parler de photo. C’est juste un genre de fil directeur, mais un peu involontaire.

Et ton projet avec Alchemist (notre interview du bonhomme) ?
Il s’appelle Lord Steppington et sort en janvier. On avait dit le 14 novembre mais ça a été décalé parce que le packaging de l’album est spécial : c’est de la fourrure. Si t’as froid, tu pourras le frotter contre ta joue. Ou tu peux en acheter 20 et te faire une veste ! Il a fallu que les gens qui s’occupent de ça coupent tout ce velours et le mettent sur le packaging. C’était dur, donc ils ont proposé de le mettre sur iTunes en novembre et de le sortir en janvier dans les bacs. Fuck that. On a attendu trop longtemps, on voulait que tout sorte le même jour.

Comment as-tu rencontré Rhymesayers ?
Par Slug, d’Atmosphere. Ils ont ce hip hop store, 5th Element, dans le Minnesota. Leurs locaux sont au-dessus. A chaque fois qu’on était en tournée on passait par là et on faisait un concert. Pendant deux ans, on a vu ce qu’ils faisaient et on aimait beaucoup, du coup on a commencé à bien les connaître. J’ai fait mon dernier projet solo sur Rhymesayers. Après ça, je me suis rendu compte que je les aimais beaucoup. Du coup je fais tout avec eux. Step Brothers, le prochain Dilated Peoples… tout est sur Rhymesayers maintenant.

Aesop Rock, Slug… Tu multiplies les collaborations avec les artistes du label. A quand une collaboration avec Brother Ali ?
Je n’ai pas encore le bon morceau avec lui. Mais quand je l’aurai, je le ferai. C’est ce qui est bien avec Rhymesayers, tu ne te sens pas obligé de bosser avec les artistes du label, tu le fais quand tu en as envie. Rhymesayers c’est un label, mais c’est surtout un crew. Def Jam, par exemple, c’est pas ça, il n’y a pas de « Def Jam crew ». Avec Rhymesayers, je ne ne me sens obligé de rien.

Un nouveau projet solo en prévision ?
Oui, mais ce sera pour plus tard. Step Brothers, Dilated, un nouveau solo, c’est déjà des projets pour trois ans. Je ne peux pas voir plus loin que les trois prochaines années de ma vie.

 

Merci à Cécile de MPC Prod pour le hook up !

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