Comment survivre quand on est seul ? Une question que le festival L’Original, à Lyon, se pose chaque année, au fur et à mesure que les obstacles s’accumulent. Entretien avec Jean-Marc Mougeot, ‘JM’ pour les intimes, l’homme qui depuis dix ans se bat contre vents et mairies pour faire vivre le hip-hop en France.
Jeudi pluvieux sur la capitale. JM travaille, comme souvent en ce moment, dans un espace de coworking d’entrepreneurs culturels, station Strasbourg-Saint-Denis. Il faut dire que le directeur et créateur d’un des plus importants événements de hip-hop en France n’est pas des plus faciles à capter. Pas une minute à lui. C’est donc là dans une salle de réunion qu’il nous reçoit. Et si pour certains, le temps c’est de l’argent, pour le quarantenaire c’est surtout des projets, toujours tournés vers son premier amour : le hip-hop. « 10 000 personnes sur la plus grande place de Lyon [place des Terreaux, le 5 avril 2010, ndlr] pour assister à un concert de De La Soul en plein après-midi. En terme de satisfaction personnelle c’est énorme. C’est ce qui te permet de te dire que toutes les galères, toutes les fois où tu as failli abandonner, tu as bien fait de te battre. C’est beau le hip-hop. »
C’est à 500 kilomètres de son Lyon natal que Jean-Marc Mougeot, aka ‘JM’, continue aujourd’hui sa croisade pour le hip-hop. Direction la capitale et un nouveau défi pour le boss de L’Original, festival numéro un en France dans son domaine. C’est agnès b. et la ville de Paris qui ont mis le grappin sur cet activiste du achipé achopé et qui lui ont demandé de gérer, à partir de décembre, le premier centre en France dédié au mouvement sous toutes ses formes. « La Place », situé aux Halles, est un espace de 1400 m2 destiné à promouvoir cette culture, au sens large du terme. « Un travail énorme » qui a pour objectif la création « d’un écosystème hip-hop ». Mais que les amoureux de L’Original se rassurent, celui que tout le monde appelle JM ne peut pas lâcher son bébé. Un bébé qui a grandi au rythme des difficultés, coupé d’aides publiques et dont peu ont cru en la survie. Si, comme JM, nul n’est prophète en son pays, le directeur-créateur du festival n’en est que plus fier, à quelques jours de souffler les douzièmes bougies de L’Original : « On s’est tellement battu, on a sauvé ce festival, c’est impossible de l’abandonner. »
Break en banlieue lyonnaise
La rencontre de JM avec le hip-hop se fait dans les années 80, à Rilleux-la-Pape, banlieue de Lyon. D’origine Guadeloupéenne, l’homme se prend très tôt de passion pour la danse. À 8 ans, il commence avec son premier groupe d’amis, « Be Street », à imiter et reproduire les gestes de cette nouvelle génération de danseurs venus d’outre-Atlantique. Des heures passées dans la rue à essayer d’inventer les figures les plus folles inspirées par Sidney dans son émission « Hip Hop », diffusée dans les années 80 sur TF1. Peu à peu, le local de la MJC mis à disposition, les b-boys en herbe commencent à prendre au sérieux le breaking et au risque « de passer pour des dingues », ils enchaînent les fêtes d’école, les entraînements et les battles devant l’Opéra de Lyon (là ou débuteront plus tard Lilou et le Pockemon Crew). Une passion qui « évite de faire autre chose » aux quatre garnements qui composent « B-Boys Breakers». L’occasion aussi de côtoyer les graffiteurs et autres rappeurs qui gravitent comme lui dans ce qui constitue l’émergence du hip-hop. Mais en touche à tout curieux, JM découvre également le milieu du spectacle. Autodidacte, il gère pour le groupe l’organisation des dates et devient intermittent pour vivre de son art. « B-Boys Breaker » deviendra en 1989 l’une des principales compagnies de danse hip-hop de l’agglomération, et l’une des premières à passer de la rue aux scènes de théâtre avec des spectacles joués dans toute l’Europe.
Un pied dans le milieu, la trajectoire de JM change. « Une découverte de perspectives et d’opportunités » qui emmènent le danseur de Rilleux à lancer un fanzine régional sur le hip-hop, « Version 69 ». Une Révolution en 1996. Réalisé avec les moyens du bord, JM en appelle déjà à son réseau : avec l’aide d’une copine des Beaux-Arts, il essaie de sortir tous les trimestres – quand le temps et l’argent le permettent – son nouveau jouet qu’il diffuse en Rhône-Alpes. « Un kif » qui lui ouvre les ondes de Sun Radio. Son émission, «Zik Direkt», est lancée et entre 2000 et 2002, danseurs, graffeurs et rappeurs se réunissent entre 18 et 20h pour parler de leur art. Malgré l’arrêt de l’antenne, le magazine et l’émission lui permettent de se faire un nom. Contacté par le Studio 1 (devenu le « Petit Salon » de nos jours), il y organise une fois par semaine des soirées hip-hop. « Un truc de fou à cette époque » où le rap souffre de sa réputation sulfureuse. À la fois organisateur et DJ, Jean-Marc prend des galons au fil de ses expériences. Devant le succès de ces soirées, il réalise que Lyon et le hip-hop ont un avenir commun. L’idée d’un festival est amorcée.
L’Original malgré Snoop Dogg
1999, « Up Session » voit le jour. Embryon de L’Original, le festival se déroule sur une journée, déjà au Transbordeur, en coproduction avec le label La Lyonnaise des Flows. Et pour la première édition, le plateau est relevé : Ideal-J, Fabe et la Scred Connexion pour une soirée « restée dans les mémoires ». Un exploit au vu des réticences des pouvoirs publics échaudés par « le bordel foutu » lors d’un concert de Snoop Dogg quelques mois auparavant. Une bagarre dans le public pas des plus bienvenues pour redorer l’image du rap. « À l’époque, les partenaires pensaient que c’était une folie de le faire. » Deux ans plus tard, au prix de nombreux efforts, le Ninkasi Kao accueille Triptik pour la seconde édition du festival. Devant la réussite des deux événements, l’idée est maintenant de passer un cap en structurant le festival. En 2003, à l’heure de la 3ème édition, la petite équipe part à la recherche d’autres partenaires afin « d’augmenter l’offre artistique et la durée du festival ». La ville de Lyon décide d’allouer des subventions. L’Original voit le jour, la « fête du hip-hop » est née.
2004, première édition et premières émotions : Raekwon, Triptik, Ol’Kainry et Oxmo Puccino sont réunis pour faire bouger les gones. Mais L’Original ne serait pas L’Original si sa définition du hip-hop se limitait au rap : d’un côté, une rencontre graff avec plus d’une centaine participants de France et d’Europe réunit près de 4000 curieux, de l’autre et pour la première fois en France, un battle international de break à l’Astroballe, antre mythique de l’ASVEL. « C’était fou, il y avait des Russes, des gars de Chicago et bien sûr le Pokemon Crew tout juste sacré champion du monde. 10 000 personnes sur le week-end. Oui, ça peut être ça le hip-hop. » Un baptême réussit. Douze éditions plus tard, L’Original « a mis Lyon sur la carte du hip-hop ». Ice Cube, Method Man, Public Enemy, Onyx, MOP, Mobb Deep ou encore Dj Premier : autant de légendes du hip-hop qui ont biflé le mic sur les scènes lyonnaises. « Quand tu sais combien sont chers les artistes ricains, c’est énorme. » La principale fierté de JM : avoir su créer « une culture festival » et « pouvoir mélanger les genres » pour faire découvrir de nouveaux artistes à son public. « Pour nous, l’esprit hip-hop, c’est ça. » Une immense satisfaction, et l’âge de maturité pour un événement devenu « une kermesse du hip-hop ». Pour autant, là où les autres festivals se développent et se sont installés confortablement, L’Original et son équipe 100% bénévoles continuent de galérer depuis 2004.
« Débrouillardise et galères »
Malgré le succès populaire, les politiques restent sceptiques sur l’utilité de donner de l’argent à un événement rap. En 2005, les organisateurs connaissent un premier coup dur avec une baisse de 40% des 50 000 euros de subventions allouées. L’aide devient « ridicule » et l’équipe d’organisateurs hésite. Mais pour JM, « la débrouillardise » sera la solution. Le leitmotiv reste le même : rassembler le plus de gens autour du hip-hop. « Même si c’est inconscient, il faut qu’on continue. » C’est donc presque seule aux manettes que la petite team de bénévoles se démène chaque année pour les programmations. Aujourd’hui, le Street Day – qui avait rassemblé 10 000 personnes au cœur de Lyon en 2010 pour le concert de De La Soul – a disparu, en raison de son coût et de son organisation. Mais pour tous, « il hors de question que le festival s’arrête ». L’an dernier, en 2014, le festival est sur le point de mettre la clef sous la porte. « Mais avec la rage, on s’est dit qu’on allait le faire. » Comment ? « Il faut passer des dizaines et des dizaines de coups de fil à tous les tourneurs du réseau. On ne choisit plus vraiment nos affiches, mais on fait en fonction des artistes. C’est comme ça qu’on a quand même réussi à avoir Schoolboy Q l’an dernier. » Une prouesse au vu des cachets demandés par les artistes US. « J’ai vu qu’il était en Europe, j’ai appelé le tourneur : soit je te le prends lundi avec nos petits moyens, soit tu n’as rien. Et s’occuper d’un rappeur américain quand il n’a rien, cela peut coûter cher. Et c’est comme ça qu’on réussit à faire un très beau festival. » Un système D permanent devenu la marque de fabrique du festival. « Quand tu n’as pas d’oseille, il faut t’adapter. »
Pour la 12e édition du festival qui débute ce vendredi 28 mai, il a donc fallu anticiper le coup. Une habitude. De retour au format week-end, la cité des Gaules accueillera cette année la jeune pépite de Brooklyn, Joey Bada$$. À ses côtés, Gradur, Lino, Vald, Apollo Brown, Ras Kass, Big Pooh, Dosseh, Little Simz, Everydayz et le gagnant du Buzz Booster Rhône-Alpes, J.p.G. Un plateau éclectique. « L’Original a encore de beaux jours devant lui. On sera à jamais le numéro un symbolique des festivals de hip-hop en France. »