« J’ai écouté Kaaris : c’est un mec qui va faire du boucan, encore plus qu’il n’en fait déjà actuellement. Il s’est ouvert une porte et est capable de la franchir sans aucun souci. Il a le vent en poupe et, s’il ne fait pas le con, ça devrait le porter très loin. » – Escobar Macson (mai 2013)
À ce qu’il se dit, les hommes mentent mais pas les chiffres. Voici donc Gnakouri, alias Kaaris, 30 ans et des poussières au compteur, 50 cm de tour de bras, 2.7.0 pour le code postal et des millions de vues sur Youtube. Lundi prochain sort Or Noir, son premier album et sans nul doute le projet français les plus attendu de l’an de grâce 2013. Dernier coup de rétroviseur avant l’entrée sur le ring du plus grand puncher du game.
BACK TO THE FUTURE
Si Kaaris pèse aujourd’hui plus de 200 000 fans sur Facebook, collectionne les hits sur Youtube et s’accapare l’attention du public au Canal Street Live, l’écrasante majorité du public rap ignorait jusqu’à son existence il y a à peine un an. Fait singulier puisque la carrière de Gnakouri a commencé plus de dix piges en arrière, bien longtemps avant que son gros orteil passe à une postérité bien méritée. Vu que Wikipédia ne s’est pas encore décidé à consacrer une page à Monsieur Double Rotor, c’est bibi qui se coltine la bio.
À l’aube du nouveau millé-millénaire, le Sevranais fraîchement revenu de vacances à New York s’essaie au rap au sein du collectif Niroshima. Ses influences de l’époque s’appellent Nas ou Rakim. Fresh, comme il se fait appeler à l’époque, fait ses premières armes en freestylant à Châtelet et pose sur quelques compilations de Cutkiller et Poska. Néanmoins, son nom demeure confidentiel. En 2003, il quitte la France pour la Côte d’Ivoire avec la ferme intention d’y faire fructifier une affaire d’importation de pneus. C’est sans compter sur la guerre qui ne tarde pas à éclater entre l’État de Gbagbo et les forces rebelles, ensanglantant tout le pays. Comme une galère n’arrive jamais seule, Kaa chope le paludisme et perd 20 kilos. Une véritable armée de soucis. Tant bien que mal, il rallie à ieps le camp des forces françaises ,le fameux 43e BIMa, puis est rapatrié en France.
TROP SALE POUR COQUATRIX
En dépit de ces multiples revers de fortune, Gnakouri ne se laisse pas abattre. Le vague à l’âme, pas le genre du bonhomme. Au contraire, redoublant d’ardeur, il sort la mixtape 43e BIMa en 2007, laisse courir une barbe de spartiate sur son menton et enchaîne les featurings : Alkpote, Mac Kregor, Dosseh et Despo Rutti partageront entre autres joyeux lurons le micro avec lui le temps d’une piste. Fin 2011, ces efforts finissent par payer: Dj Medi Med remarque Kaaris et fait écouter ses morceaux à Booba qui l’invite dans la foulée à poser sur Autopsie 4. Conscient que cette apparition sur la mixtape du météore peut constituer un tournant sans précédent dans sa carrière, Kaa entend bien ne pas laisser ce coup d’éclat orphelin. Dès lors, il s’applique à donner du grain à moudre au public rap en publiant freestyles et extraits de son projet Z.E.R.O sorti six mois plus tard.
La suite, ceux qui ont pas séché les douze derniers mois d’actu rapologique la connaisse. D’une efficacité ravageuse, le tandem Booba-Kaaris sur « Kalash » s’impose comme la pièce maîtresse de Futur. Kaa jouit alors d’une exposition décuplée. En bon stratège, il va une fois encore profiter de ce tremplin pour atteindre une envergure nouvelle en 2013. Ainsi, il entame dare-dare la promotion de son premier album et égrène les clips à échéance régulière tout au long de l’année.
Cette percée fulgurante est une surprise tant le rap de Kaaris est dur et sans concession, aussi bien au regard de la couleur musicale résolument sombre que du contenu textuel explicite. PEGI 18 sur la jaquette. Ce n’est pas un scoop, peu de rappeurs hardcore font recette dans l’hexagone. Prétendre à une carrière tout en déféquant allègrement sur la bienséance revient ni plus ni moins à se tirer une balle chemisée métal dans le (gros doigt de) pied. Sans singles calibrés pour les grandes rotations, mélodies édulcorées ou rimes conscientes pavées de bonnes intentions, difficile de se faire une place au soleil. Pourtant, les faits sont là: en pleine explosion, Kaaris est bel et bien déterminé à rallier le cercle très fermé du rap qu’on paie sans pour autant baisser le peau de pêche. « Franchement, c’est sale. Il n’y a pas de bal musette. C’est sale du début la fin, pas de compromis. Les compromis, ça n’existe pas » lâche-t-il sans équivoque à propos d’Or Noir à l’Abcdr. Restez underground, très peu pour lui.
CONGLOMÉRAT DE GROS BRAS
« 170 kilos au DC / Torse taillé dans la roche style haussmanien »
Il fût un temps, un certain malotru à barbichette reprochait pernicieusement à Booba de ne pas mettre en lumière de nouveaux talents – faire croquer les petits frères en quelque sorte – eu égard à sa position de Monsieur Loyal du rap français… Le malaise est dissipé depuis qu’il a joué un rôle déterminant dans la carrière du Sevranais. Alors Kaaris, protégé de l’ourson? Pas vraiment. Il tient même à clarifier les choses: « Je ne suis pas le petit de Booba et je pense que même Booba ne me considère pas comme son petit. Il ne pense pas comme ça. Il sait très bien que, dans une cité, tout le monde est grand maintenant. Maintenant, c’est clair que les gens me perçoivent comme affilié à Booba. » (source : encore l’Abcdr). Le fait qu’il porte régulièrement du Unküt n’arrange rien à ce micmac.
Si l’intéressé réfute sans surprise et à juste titre le parrainage artistique, les deux rappeurs ont tout de même beaucoup en commun (j’entends outre une propension évidente à se laisser pousser les biceps), à commencer par leur entourage: De Chris Macari à Therapy en passant par Dj Medi Med (qui a mixé Z.E.R.O), la galaxie Booba est depuis leur première collaboration partie prenante de l’univers de Gnakouri. Ce dernier est même l’unique signature de Therapy Music, structure créée sur mesure pour lui et rattaché à AZ (le label de Kopp). Élie a également eu un rôle de conseiller sur l’album Or Noir et en sera par ailleurs l’unique invité.
Similitude encore au niveau de l’écriture: tous deux ont tendance à bouder la notion de thème vue comme trop restrictive, ringarde et scolaire, lui préférant un enchevêtrement insoluble de formules glaciales… Ce fameux « puzzle de mots et de pensées ». De plus, le célèbre concept de métagore que Thomas Ravier avait avancé pour caractérisé le style rétinien et ultraviolent du météore épouse très bien les saillies de Kaaris. Des exemples? Y a qu’à demander: « Mon cœur est sombre comme un soleil froid, l’Afrique c’est un milliard de Jésus sur des croix » ou bien « Accouché par le goudron, je grignote mon cordon dans le hall » (qu’il est tentant de rapprocher de cette fameuse « enfance insalubre, comme un foetus avec un calibre » évoquée par la moitié de Lunatic) ou encore « Marianne j’t’écoute plus, tu me saoules tu vois bien que je coule et tu me demandes si l’eau est bonne sale conne ». De quoi repondre un essai dans la NRF, non?
En ce qui concerne la sensibilité musicale, encore une fois les deux larrons tombent d’accord. Ils ont l’un comme l’autre les oreilles tournées vers le Nouveau Monde, y puisant leurs influences principales. Auditeur averti du Brick Squad fondé par Gucci et de Chief Keef notamment, Kaaris peut être considéré comme la figure de proue de la Trap Music en France. Booba n’est pas en reste et pose dernièrement sur un beat de Young Chop. Therapy étant le producteur privilégié (voire exclusif pour Kaaris sur Or Noir) de chacun des deux MCs, il n’est pas surprenant que les deux univers se recoupent.
« Chemin de croix, mon skeud rentre chez toi comme le cheval de Troie, objet de l’effroi mes proies je les broie »
Enfin, à l’instar d’Élie, Gnakouri cultive un personnage « bigger than life » et est nanti d’un féroce instinct de compétiteur. Selon eux, le rap n’est pas un genre musical lambda mais une véritable arène de gladiateurs. Pour s’imposer dans la fosse aux lions, une seule échappatoire: être le meilleur et le faire savoir, peu importe s’il faut briser pour briller. Avec un physique de puncheur, une voix grave comme un cancer généralisé et une agressivité inégalée, l’outsider a plus que quiconque les moyens de ses ambitions.
Rendez-vous lundi pour retrouver tes rappeurs préférés englués dans la marée noire.
Crédits photos : Valentin le Cron