A moins d’avoir été enfermé dans une cave pendant près de dix piges comme Natasha Kampush, il est impossible que vous ne connaissiez pas la drill music. Ce courant made in Chicago, dérivé de la trap, est populaire au point que l’ensemble de la scène musicale de la Windy City y soit associé. Clairement, pour l’inconscient collectif, tous les rappeurs de Chicago font de la drill. Fuck the rest.
Il y a pire comme stéréotype, mais certains MCs ne veulent pas se voir coller cette étiquette et vont même jusqu’à créer leur propre branche pour s’en détacher, à l’image de MC Tree et de sa soultrap, « mélange à la fois harmonieux et brut ». Un pari gagnant puisque son croisement entre la soul et la trap n’est déjà pas désagréable à l’oreille et, en outre, peut se targuer d’être totalement novateur. Un mouvement qui, petit à petit, commence à trouver son public.
On l’annonce : une nouvelle race d’être humain va bientôt voir le jour, les soultrapers, tous unis derrière un seul homme et son art, le rappeur chicagoan MC Tree. Cela ne serait que justice pour Tree, rappeur de l’année à Chicago en 2012, dont le travail commence enfin à payer après plus de dix ans de carrière et une dizaine de projets au compteur. Si ses supporteurs(trices) sont bien moins nombreux que ceux d’autres artistes de l’Illinois, il n’en demeure pas moins qu’ils sont beaucoup, beaucoup à apprécier la musique de Tree. Peut-être parce qu’il fait partie de ceux qui essayent d’apporter du neuf à ce rap jeu.
Pas vraiment séduit par ce qu’il entend à la radio, Tree décide de se lancer dans la musique alors qu’il n’a même pas encore un pauvre poil de barbe. Déjà sûr de ses idées alors qu’il se trouve dans cette période sombre qu’est l’adolescence, il veut à tout prix s’éloigner du circuit mainstream pour développer un son qui sera sien. Après moult expérimentations, des succès et des échecs, il finit par tomber fou amoureux de sa musique. Entre ses premiers pas dans le son et la sortie de son premier projet, il s’écoule dix ans, le temps pour lui de peaufiner ce qu’il appellera la soultrap. Sa soultrap.
Vous l’aurez compris, le genre crée par Tree est un savant mélange des sonorités mélodieuses de la soul et des grosses basses de la trap. Il fallait bien que ça arrive un jour. La soul a tellement été tricotée pendant des années par les chantres du rap et du R&B qu’elle a failli perdre son charme et ses coutures. Et la trap, au départ signal de ralliement des banlieues chaudes, a déjà été mélangé à pas mal de styles, dont l’électro. Alors pourquoi pas la soul ? Tree a fait bien plus que fusionner ces deux styles musicaux, il leur a donné un second souffle, pour un résultat des plus séduisant et quelques peu déroutant pour ceux qui ne jurent que par la trap. Exit les bruits de flingues et de cloches mortuaires qui se retrouvent dans la grande majorité des morceaux du genre, on retrouve à la place, sur les instrus de Tree, des voix soulful et des sonorités tout droit sorties d’une église.
L’influence religieuse est l’une des particularités de sa musique. Elle est constamment présente (voir son dernier EP) et s’étend jusqu’à son rap. Avec sa grosse voix effilée, on a l’impression d’avoir affaire à un vieux prêtre qui raconte à ses fidèles les aléas de la vie à Chi-Town. Le constat qu’il en fait est moins violent que celui de ses collègues : s’il reconnait qu’il est facile de tomber dans l’engrenage de la criminalité, il considère aussi que n’importe qui peut s’en sortir sans risquer tous les jours de voir son cul embarqué en prison – ou pire, à la morgue. Il est bien placé pour en parler, lui qui vendait de la dope sur un corner à 13 piges. Aujourd’hui, en vrai moraliste, il se veut optimiste et porteur d’un message d’espoir. « Je rêve de ne plus avoir à me promener avec un flingue et d’un monde en paix », se plait-il à dire. Manque plus que l’église et les grosses dondons qui chantent jusqu’à l’infarctus pour parfaire le tableau.
Quand on y pense, le succès rencontré par Tree n’est pas anodin. En mélangeant soul et trap, le rappeur a pu capter l’attention des nombreux auditeurs perchés entre ces deux styles musicaux, et pas seulement aux states. S’il avait déjà été plébiscité pour sa soultrap par de nombreux sites spécialisés dans le pays de l’Oncle Sam, le nom de Tree commence à être connu aussi en Europe, à la faveur de son Euro Tour débuté en mai dernier. Ses prestations en France, en Angleterre, en Belgique et aux Pays-Bas lui ont permis de donner un nouvel élan à sa carrière, et certainement de s’installer dans les iPods des petits Européens.
Il a fallu du temps à Tree pour faire partie du paysage musical de sa ville. Comme les autres rappeurs de Chicago, il a profité de l’explosion de la drill pour se faire un nom. Mais à la différence d’autres artistes de ce qu’on appelle vulgairement Chiraq, il a préféré imposer sa vision de la musique plutôt que de faire comme les autres. Un choix qui lui donne aujourd’hui raison puisqu’il est reconnu à la fois par les artistes et par le public et quand les uns lui demandent des prods soultrap ou sollicitent un projet commun, les autres vibrent les yeux fermés sur ses petites douceurs sonores.
A en croire ce dernier, ce petit manège devrait durer encore longtemps puisqu’il est loin d’en avoir terminé avec la musique. Son futur, il l’imagine dans un studio, à faire de la musique…ou carrément à la maison blanche. « Plus tard je veux me présenter aux élections présidentielles ! » Si ton programme est aussi bon que ta dernière mixtape, on votera pour toi.