A croire que les mouvements frénétiques qui ont agité les spectateurs du festival Marsatac, le week-end précédant Garorock, se sont transformés en danse de la pluie. Dans la semaine qui s’est déroulée entre les deux rendez-vous, il a coulé plus d’eau que de codéine dans un morceau de Lil Wayne. Résultat : le terrain sur lequel l’événement pose ses baffles chaque année s’est vite transformé en un temple de boue. Les intégristes ne jurant que par les pass trois jours l’auront constaté dès le vendredi ; les plus belles sapes qu’ils avaient prévues n’avaient plus qu’à être roulées en boule pour servir d’oreiller dans le camping du festival, où les moments de calme se sont fait plus rares qu’une apparition de Jay Electronica.
Pas étonnant, donc, que le look des festivaliers ait rapidement pris des airs de salon de l’agriculture. Les faits ne trompent pas : dès le samedi, les bottes étaient en rupture de stock dans toutes les enseignes de la ville. Tout ça n’a pas empêché 105 000 personnes de franchir les portes de l’événement. Si le festival était à l’origine clairement orienté punk rock (son intitulé en témoigne), il affiche depuis une dizaine d’année des rappeurs à son tableau de chasse. Pour répondre aux attentes du public, certainement, mais sans doute aussi parce que le rap et son énergie débridée et insolente est un parfait parallèle de ce que représentait le rock pour les générations précédentes.
Ce ne sont pas les Flatbush Zombies qui nous feront penser le contraire. Programmés assez tôt dans la timetable, ils n’ont eu besoin que de quelques minutes pour décrotter les chaussures d’un public agité. En s’accordant un break à mi-concert sur les guitares grasses de « Smells Like Teen Spirit« , le groupe a montré qu’en 2017, les étiquettes ne sont faites que pour être décollées. La fournaise est déjà bien attisée lorsque Meechy Darko prend tout le monde par surprise – sécurité comprise – et court s’enliser avec le public le temps d’un couplet. Avant de conclure le live par un « Open. Your. Fucking. Minds! » qui prend tout son écho via la programmation éclectique du festival.
« Ouvrir vos putains d’esprits », c’est justement ce que proposent les deux américains de Ho99o9. Si l’on est de plus en plus convaincus que le rap est on ne peut plus punk, le duo a carrément mis à genoux la frontière entre ces deux genres. En résulte un Objet Musical Non Identifié à la Death Grips – en plus rock – qui perturbe et fascine à la fois. De ce que l’on a vu à Marseille, on est à peu près sûrs que la prestation de Tommy Cash la veille était du même acabit. M.I.A. entre en scène quelques minutes plus tard au son de « Borders« . L’anglaise assure un show bien rôdé (voire trop ?), mais parvient à capter l’attention d’une majeure partie du public à l’aide de sa scénographie audacieuse.
Le dimanche, c’est au tour de Panama Bende d’assurer la promotion du rap français sur le festival – nous avons loupé Georgio qui concourrait pour les faveurs du public le vendredi. Assumant ensemble les écarts en solo de chacun (notamment Aladin 135 et PLK), le crew a déroulé son rap polyvalent et taillé pour le live. Ormaz finit par descendre de scène pour aller foutre son bordel, au beau milieu d’un public qui n’attendait que ça pour se lancer dans des triple axel, option patinoire sur terre humide. Vint le vrai plat de résistance de la soirée, servi par Mac Miller en grande forme qui était attendu de pied ferme par un public de la première heure. L’occasion d’éprouver la saveur en live de ses derniers singles « Stay« , « Dang! » et « God Is Fair, Sexy Nasty« , les absences de Kendrick Lamar et Anderson .Paak étant compensées par l’atmosphère fiévreuse qui s’est emparée du festival pendant un peu plus d’une heure.
Trois jours durant, les artistes qui se sont succédé sur les trois scènes principales de Garorock ont réussi à insuffler un vrai souffle de vie en plein cœur du Sud-Ouest. A voir le public s’amoncelant devant chaque chapitre rap de la programmation, on n’a plus vraiment de doutes sur le fait que le genre soit devenu l’un des courants majeurs de la musique populaire, au sens noble du terme. Sans pour autant perdre de son énergie, ni de ce qui fait sa spécificité, pour le plus grand bonheur de ceux qui ont toujours supporté la culture hip-hop – et l’ont suivie dans ses multiples ramifications. La 21ème édition de Garorock l’aura prouvé : la bonne musique propage ses ondes à travers tous les milieux. Y compris la boue.