Siboy : ‘Depuis le début, je me dis que personne ne va comprendre’

vendredi 30 juin 2017, par Ken Fernandez. .

Les femmes et les enfants d’abord. Tous aux abris ! Siboy débarque aujourd’hui avec son premier album, Special. Une machette à la main, un projet surprenant et abouti dans le sac à dos, le rappeur de Mulhouse est bien décidé à découper la concurrence avec férocité. Membre du 92i, l’homme à la cagoule est déterminé à poser sa patte sur le rap musculeux. On a tout fait pour comprendre ce qu’il y avait dans le crâne de ce super-vilain. « Au revoir, merci ! »

Vous l’avez peut-être découvert en 2014 sur Daymolition. Cagoules, trap, violence : Siboy débarque avec la panoplie complète du méchant de film de super-héros. Repéré par la réalisatrice de Divines, puis par le label de Booba, cet ancien beatmaker, natif au Congo, a mis le temps pour sortir son premier album. Pendant deux ans, Siboy a peaufiné dans l’anonymat qui lui est cher l’obus lâché en ce jour, éveillant au fil des sorties de clips virils et esthétiques l’attente. Derrière le masque, le rappeur au rire aussi communicatif que sa rage, cache un artiste méticuleux et complexe. Doutes, violence et notoriété : rencontre sur un tas de gravas avec le déterminé Siboy.

SIBOY-ANTOINE LAURENT DR

Es-tu frustré aujourd’hui ?
Non. Pourquoi ?

On sent que tu as constamment envie d’exploser et que tu es contraint de te freiner. Ça se sent dans le rythme fluctuant de la promo de Special, on a l’impression que tu as dû te contenir, respecter des règles et que le projet aurait pu sortir plus tôt, à un moment où tu avais un certain momentum en ta faveur… C’est ça de travailler avec un label ?
Oui, je crois ce que tu veux dire mais je ne suis pas frustré. C’est une nouvelle approche, une nouvelle manière de travailler.

Quand tu as signé avec le 92i, est-ce que tu pensais « être arrivé » ? Que tu n’avais plus qu’à te laisser guider et que tout se passerait comme prévu ?
Non, car j’étais encore un artiste en développement quand j’ai signé. Le message était clair. Et je suis toujours en développement aujourd’hui.

À quel moment tu estimeras ne plus être un artiste en développement ?
Franchement, je vis au jour le jour. À la base, je ne devais pas être rappeur. Je suis déjà content d’être arrivé jusque-là, de sortir un album. Tout ce qu’il y a de plus, je suis content. Je ne me voyais pas devenir ce que je suis devenu. Pour l’instant, j’estime que je ne me suis pas fait de film. Avant, je me disais : « Si ça marche tant mieux, sinon tant pis. » Je ne me pose pas trop de questions.

C’était quoi ton plan B si jamais le rap n’avait pas marché ?
J’aurais fait mes affaires ! (rires)

Quelle voie professionnelle « légale » tu aurais pu envisager ? Bucheron ? Pour couper des arbres à la machette comme dans le clip de « Au revoir, merci » ?
Ou dans une boucherie au calme ! Sérieusement, je ne me pose pas trop de questions à ce sujet. Si ça ne marche pas, je trouverai autre chose.

Ça fait deux ans que tu as signé chez 92i. Tu as été assez discret depuis. Comment tu as vécu ces deux dernières années dans l’ombre ?
Je travaillais. Avant, je n’étais pas prêt à faire ce que je fais aujourd’hui. Il y a plusieurs facettes dans mon album. Si j’avais sorti un projet plus tôt, il aurait été linéaire. Je n’aurai pas pris autant de risques que maintenant. Quand je compare mes projets de maintenant à ceux d’avant, je trouve le résultat beaucoup plus abouti. J’estime avoir évolué, tenté des nouvelles choses ; même le public ne le voyait pas. À la sortie de l’album, les gens seront peut-être surpris, peut-être même déçus. Mais j’ai pris la direction artistique que je kiffe.

Est-ce que tu as été dans le doute à certains moments ?
C’est clair que j’ai alterné les phases de doute et de confiance, mais tous les artistes doutent. Même quand tu es numéro un.

Comment fait-on pour gagner de la confiance, sans les retours de son public ?
Il faut déjà que j’apprécie ce que je fais. Ça me donne de la confiance, je m’écoute beaucoup.

Booba a-t-il toujours été derrière toi pendant cette période pour valider et avoir un esprit critique sur ton travail ?
De temps en temps ouais, mais pas toujours.

Est-ce que la trajectoire de Damso, qui a été hyper productif en marge de sa signature au sein du label, a été un exemple pour toi ?
J’ai toujours été productif mais ça ne se voyait pas car je n’ai rien sorti. J’ai testé beaucoup de choses, j’arrête pas de produire, je ne manque pas d’inspiration. Arès, c’est toujours bon de s’inspirer de ce qui fonctionne. Ce que Damso fait, si j’avais fait pareil, peut-être que ça n’aurait pas marché. Quand je me suis fait repérer, j’avais beaucoup plus de contenus visuels que lui à l’époque. Mais c’est vrai que la pause de deux ans n’a pas aidé à rester dans la tête des gens.

Pendant deux ans tu as bossé depuis chez toi, à Mulhouse ?
Ouais. J’ai un petit studio bas de gamme. C’est comme ça que j’ai fait « Au revoir, merci » et plein d’autres morceaux. Il y a quand même eu quelques sessions en studio d’enregistrement. En ce qui concerne l’écriture, c’est assez variable. Sur certains morceaux je passe beaucoup plus de temps que d’autres.

Tu penses être quelqu’un de méchant ?
Non, je ne pense pas. Je suis juste lunatique. Certains jours je peux être méchants, d’autres je peux être gentil.

Au premier abord, ton personnage semble très sombre, mais on sent aussi qu’il a beaucoup de dérision. Pourquoi tu as construit ton personnage autour de la violence ?
J’ai fait ce que j’aimais en fait. J’aime bien la violence, ce décalage, cette dérision, le fait de ne pas tout prendre au sérieux.

 

« Je n’ai plus vraiment peur »

 

Est-ce que tu es adepte des films d’horreur ?
Ouais, je kiffe, même si je n’en regarde plus trop.

Pourquoi ?
Parce que je n’ai plus vraiment peur.

C’est quoi le dernier film qui t’a vraiment fait peur ?
Amityville. C’est le premier film qui m’a fait peur en fait. La scène quand le crâne explose avec des bêtes qui sortent…  J’aime tout ce qui touche au spirituel dans les films d’horreur.

Le rôle de méchant dans un film de super-héros t’irait à merveille. C’est ce que tu incarnes. Si tu devais en être un existant, tu serais lequel ?
Le Joker. Pour son côté imprévisible, les rires placés à un moment ou tu ne dois pas rire, il a un truc. Je me reconnais plus dans le méchant, plus dans Joker que dans Batman, clairement. Après, il y aussi des héros qui me font kiffer comme Wolverine. Il peut exploser à tout moment.

Si tu étais justement un super-vilain, quel serait ton objectif ? La destruction totale ? La domination ?
Tout détruire. (rires)

Et tu te plairais dans un monde où tout est détruit ?
Je ne sais pas, il faut tester. Je n’ai pas encore tout détruit. Je ne le souhaite pas. Mais si on se projette, dans de la fiction, j’aimerais tout détruire, que les gens ferment leurs gueules et voir ce que ça fait. Ensuite, j’irai m’asseoir sur un tas de gravas pour contempler le monde détruit et regarder mes pompes en buvant un verre. Fin, générique. Au revoir, merci.

Quel super-héros tu aimerais affronter avoir contre toi ?
Superman. Il s’appelle « Superman » déjà, il fait chier. On le tape ! J’aurais pris de la kryptonite et je l’aurais boxé avec. Je ne suis pas très fan de son costume. Avec ses slips, il a un style bizarre quand même. Il ne donne pas envie d’être lui, contrairement à Batman. Lui, tu l’assumes.

Dans La Sauce, au mois de janvier, tu disais que tu écoutais Xxxtentacion. Lui, plutôt inconnu il y a six mois, a complètement explosé et se construit artistement aussi autour d’une certaine violence. Est ce que ça te rassure sur ton potentiel artistique ?
On n’est pas en Amérique. Je ne sais pas si le public français, ou même moi peut-être, on est prêt à accepter complètement ce délire là. Il y a des codes en France, des codes difficiles à bouger. Ce n’est pas une critique, mais il y a des codes « de cité » à respecter dans le rap. Ce sont des codes que je kiffe utiliser, mais rares sont ceux qui font autre chose, qui vont beaucoup plus loin dans le délire. En vérité, si ça explose, c’est juste que j’ai assez travaillé. Sinon non.

Est ce que parfois, tu te dis que les gens ne vont pas comprendre ce que tu crées ?
Depuis le début, je me dis que personne ne va comprendre. Aujourd’hui encore, je me dis « ils vont croire que je suis cinglé ». Je me le dis à chaque fois. Pour moi, c’est pas grave, je tente.

Le clip « Eliminé » ne correspond pas forcément à ces codes dont tu parles. C’est toi qui choisis d’en faire un film d’horreur ?
Je reçois beaucoup de synopsis, ensuite je rajoute mes idées sur ceux que je trouve bons. « Téléphone », par exemple, on me l’a envoyé, j’ai trouvé ça très bon. L’eau sur ma gueule quand je rappe par exemple, ça s’est fait au dernier moment, mais ça m’a fait rire.

Il y a des trucs sur lesquels tu dis « non » ?
J’aime toujours bien tester. Si je ne kiffe pas, je regarde les images et je les fais retirer. Sinon on garde. À chaque fois, c’est des défis pour moi, comme les marécages dans « Au revoir, merci », je voulais vraiment le faire.

Justement, dans ce clip, tu arrives surblingué, tu te délestes de tout ça et tu finis torse nu dans le marécage, à l’état sauvage. Qu’est-ce que cela symbolise ?
Là aussi, j’ai aimé le synopsis et j’y ai apporté des retouches. J’avais déjà des recommandations, avant même de recevoir des propositions : je voulais partir d’une voiture totalement pétée et relativement bien habillé. Et à la fin, rentrer dans le marécage. Il a fallu construire autours de ça. À la base, je vois l’image dans ma tête et je m’y retrouve. Il n’y a rien d’autre derrière. On peut ressentir de l’extérieur que c’est moi qui arrive, veux m’adapter au monde du rap et retourne avec ma machette dans les marécages, là ou je suis le meilleur. Mais à la base, je voyais juste des images qui me faisaient marrer. Il n’y a pas vraiment de symbole.

 

 « Je ne sais pas si je suis prêt à assumer le regard des gens »

 

Pour revenir à Xxxtentacion : dans son cas, la violence dépasse le personnage étant donné qu’il a été condamné pour violences conjugales. Ne penses-tu pas que l’on perçoive la musique violente d’une manière différente lorsque son auteur est quelqu’un de réellement violent ? N’est-ce pas cautionner ses déboires ? On pourrait dire la même chose de Kodak Black.
J’en ai rien à foutre. Lorsque l’on me disait que Rick Ross était un menteur, je m’en foutais [Rick Ross a un passé de maton qu’il ne met pas trop en avant, ndlr]. Je me focalise uniquement sur le côté musical. Ensuite, bien sur, il y a des vidéos de Xxx qui me choquent, mais c’est la vie, il fait ce qu’il veut. J’arrive à faire abstraction. Quand la musique est bonne, tu oublies tout. Alors je m’en fous et je repars écouter Kodak Black et les autres.

Sans transition, tu as combien de cagoules en stock ?
J’en ai beaucoup ! (rires)

Pourquoi est-ce si important l’anonymat aujourd’hui ?
Un jour peut-être que je me ferai démasquer. Mais tant que je peux préserver le secret et continuer à vivre tranquillement, je garderai la cagoule. Je ne sais pas si je suis prêt à assumer le regard des gens. Déjà que je suis parano de base et que j’ai l’impression que même quand on me regarde pas, on me regarde, je ne sais pas si je suis capable d’assumer la notoriété.

Est ce que ce n’est pas aussi pour créer une frontière entre la fiction, à savoir l’artiste, et le réel… le père ?
De ouf. Des fois je me dis que je n’aurais jamais dû dire que j’étais papa. Après, je me rassure en me disant que des papas noirs, il y en a quand même un paquet. (rires) Mais j’ai dévoilé quelque chose qui n’appartient pas à Siboy. Le rap, c’est un travail. Dans la vie perso, je n’ai pas envie qu’on vienne me parler de rap, qu’on me demande des photos ou autre. J’aime bien passer à autre chose.

SIBOY-ANTOINE LAURENT DR

Est ce que tu as peur que ton rap devienne un jour vraiment ton exutoire, et que tu mélanges le personnage et ce que tu es vraiment ?
Je ne veux pas imaginer ce scénario.

Quel scénario tu as envie d’imaginer dans ce cas ?
Si tout se passe bien, on ne découvre jamais mon visage et je réussis dans le rap. Il faut que j’arrive à mettre une grosse frontière de ouf, avec des douaniers solides que personne n’arrive à tromper. Il faut que je préserve ma vie intime. Je n’aime pas cette vie en faite, à découvert. Je pense que certains artistes regrettent cette intimité et se disent « j’aimais bien comme j’étais avant », quand je pouvais aller avec mes potes faire un foot, sortir sans qu’on te prenne en photo ou qu’on parle de toi. C’est chiant. Ce côté starification, je ne l’aime pas. Je me vois dans un scénario où je suis au sommet de ma tonne de gravas, dans un monde détruit.

Et là tu enlèves la cagoule ?
Comme jamais.

Article recommandés

Kalash, le nouvel éternel
La consécration. Mardi 1er novembre, Kalash a rempli L’Olympia et a donné un show que peu d’artistes en France peuvent se targuer d’égaler. En même temps, cette soirée était, pour…
Damso, entre ombre et lumière
Débrouillard à jamais, car hustler depuis toujours. Quelques jours avant la sortie de l’album Batterie Faible, nous allions à la rencontre de Damso pour percer le mystère de la dernière…

les plus populaires