Les sept albums de la singulière épopée du Wu-Tang
jeudi 24 novembre 2016, par Sagittarius.
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Que les sceptiques du Wu-Tang Clan se rassurent, ceci n’est pas un énième article de fan à la gloire d’une des nébuleuses les plus prolifiques du rap. Carrières mal gérées, batailles d’égo, mauvais goût affirmé, on sait tous et toutes que le Wu post 2000 est plus que l’ombre de lui même – on vous déconseille sérieusement d’aller les voir sur scène. Mais parce que l’entité au W jaune a dépeint un tableau des années 90 aux dominantes noires, urbaines et crades, on se devait de prendre du recul sur cette fresque finalement inachevée. À l’aube de 20 ans de carrière, l’occasion de fouiller dans les premiers albums issus de la galaxie Wu-Tang.
Pour connaître l’étendue du Wu-Tang dans ce vaste territoire qu’est le hip-hop, il suffit de regarder partout où point l’étendard floqué d’un ‘W’ jaune sur fond noir. À l’origine, au début des années 90, trois cousins de Brooklyn, qui ne s’appelaient pas encore RZA, GZA et Ol’ Dirty Bastard, formant un trio nommé All In Together Now, allaient, de fil en aiguille, de connaissances en convergences, s’allier à des gaillards de Staten Island. Une connexion avec Ghostface Killah, qui connaissait Raekwon, et ainsi de suite se sont ameutés Method Man, Inspectah Deck, U-God et Masta Killa.
Plus qu’une saga ou qu’un culte, le Wu-Tang Clan est devenu une institution qui comptera de plus en plus de disciples et de fans à travers le monde. Pourtant, entre les deux premiers albums du Wu, Enter the Wu-Tang (36 Chambers) en 1993 et Wu-Tang Forever en 97, les aventures en solo des grands cadres ont failli mettre à mal la cohésion de ce cercle, mais ni les batailles d’égo, ni les tensions intestines et encore moins les critiques parfois dures dans la presse n’auront eu raison des liens qui lient chaque membre et de leur loyauté les uns envers les autres durant cette folle décennie. Cette série de sept rétrospectives chronologiques, ou peut-être plus, de ces œuvres essentielles estampillés Wu permettront de retracer, à partir du premier ouvrage du Wu-Tang Clan, l’évolution des membres les plus emblématiques. De ces aventures en solo, duo ou trio, naîtra la mythologie de ce clan, dont la cohésion finira par se désagréger inéluctablement…
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Enter the Wu-Tang (36 Chambers), an 0
9 Novembre 1993. Cette histoire, on la connaît tous, jusque sur le bout des ongles, comme chacun des refrains de ce monument sacré.
Enter The Wu-Tang (Loud Records) raconte les débuts de huit combattants légendaires venus de Brooklyn et Staten Island, rebaptisé Shaolin, et de leur abbé, ce maître à penser qui les guidera tels les pièces d’un échiquier dans leur conquête du rap new-yorkais, de tous les States, et enfin, du monde entier. Il n’y avait pas de hiérarchie pré-établie dans ce groupe soudé né dans les rues de deux ghettos new-yorkais. Si Raekwon avait l’attribut de chef, la tête pensante et producteur attitré RZA (anciennement Prince Rakeem) en était le leader naturel, le stratège, endossant le rôle d’architecte suprême tel qu’il se surnommait. Autrement, chacun portait un style d’art martial très street, était égal à l’autre et amenait sa pierre à cet édifice qui fera école.
Des chiffres. 36 Chambres divisé par 9 membres, cela fait 4 chambres par rappeur, et… on cherche encore une signification à cela. Toujours est-il que les 12 morceaux sont cultes et l’album se voit divisé en 2 parties (Shaolin et Wu-Tang), plus 2 pistes bonus. 0 featuring et 1 seul et unique producteur, RZA, qui ouvre le bal en gueulant « bring tha motherfucking ruckus » à plusieurs reprises avant que Ghostface tranche dans le vif du sujet. Voilà nos neuf têtes brûlées armés de lyrics tranchants et hardcore, portant en eux le feu et la fougue d’une jeunesse affamée, prêts à se jeter dans la bataille en fonctionnant par combinaisons, scandant à l’unisson des refrains fédérateurs, ces choeurs que l’on connaît par coeur (« Clan in da Front », « Wu-Tang Clan Ain’t Nuthin’ To Fuck Wit », « Shame on a Nigga », « Da Mystery of Chessboxin’ » etc.), ces phrases qui sont devenues des formules emblématiques (« cash rules everything around me CREAM / Get the money, dolla dolla bill yoooo »). Pour les plus férus adeptes pour qui 36 Chambers représentent leur bible, ils mémoriseront parfaitement les textes, avec les intonations s’il-vous-plaît.
Ce qui a contribué de concert à l’unicité du Wu-Tang est leur identité sonore, de là vient une partie du génie du concepteur RZA, à l’inverse de ses capacités de rappeurs dont le flow qui n’avait guère rien de bien convaincant. Utilisant des dialogues de films de Kung-Fu (avec Wu Tang vs Shaolin comme référence ultime), autres influences musicales asiatiques et soul seventies, forgés dans un alliage entre le béton de la rue et de métal des lames, ses instrumentaux sont avant tout malpropres, caverneux, sinistres, puant les vapeurs de bouches d’égout, et mystérieux. La boucle de Gladys Knight pour le standard « Can It Be All So Simple » est d’une mélancolie lugubre, tandis que les notes de piano de « C.R.E.A.M. » sont glaciales comme un hiver sans chauffage. Cet élève de Prince Paul féru de cinématographie chinoise est passé directement au rang de maître.
Il est intéressant de constater que les neuf membres ne se réunissent jamais tous ensemble. « Protect Ya Neck », plus qu’un slogan, un véritable principe de vie aujourd’hui, en rassemble huit tout de même, sauf Masta Killa dont la seule et unique apparition se produit sur « Da Mystery of Chessboxin’ ». Derrière nos mercenaires du micro se terrent toute une armée, dont l’effectif est révélé par le RZA sur l’intro de « Clan in da Front », citant True Master, 60 Seconds Assassin, Shyheim, 4th Disciple (qui réalise les scratches ici sur Enter The Wu-Tang), les Killa Beez… Ce duo avec le général cérébral GZA est une des grandes pièces de stratégie lyricale de cet opus. Art de la guérilla urbaine en Timberland et jeux d’échec sont des éléments clefs de la culture du Wu, comme vous avez pu le voir avec « Da Mystery of Chessboxin’ » notamment. Sur cette table d’échiquier, tous avons immédiatement identifié ODB comme le fou, sur « Shame on a Nigga », errant un peu partout avec son chant fantomatique de manière imprévisible. À l’égal de la complémentarité entre GZA et RZA , celle entre Raekwon et Ghostface paraît évidente, mais pour ce qui est des histoires de rue racontés la lame entre les dents et autres attaques coordonnées. Quant à U-God , il n’était pas encore considéré comme un simple pion qu’on envoie se sacrifier mais bien le gorille de service (« raaaaw I’mma give it to ya, with no trivia »). Meth décrit mieux que nous le rôle de chacun sur l’outro de « Can It Be All So Simple ».
Justement, le cas de Method Man. Plus jeune membre du clan, il est le seul à apparaître en solo sur le titre éponyme, morceau qui a eu droit également à un remix et un clip. Et c’est un excellent mouvement de la part de RZA d’avoir avancé son cheval de la sorte, Meth est rapidement devenu, par sa voix enrouée, sa technique, sa gestuelle aussi, le membre préféré pour bon nombre d’entre nous. Son charisme et son talent sautaient aux yeux. Il sera le premier a sortir son album solo, l’année d’après.
Personne n’était capable comme le Wu d’être à la fois aussi hardcore, intelligents et cultivés. En plus de contribuer à l’âge d’or du Hip Hop, Enter The Wu-Tang (36 Chambers) posait les fondations pour de multiples albums solos les quatre années suivantes pour cinq d’entre eux. Tous développeront leur singularités et leurs spécificités, sous le contrôle permanent de RZA. Autant d’individualités que le destin devra les réunir tôt ou tard…
Le Wu-Tang ne rugit plus. Entre Ghostface Killah qui clashe Action Bronson, l’album Once Upon a Time in Shaolin qui sortira dans 88 ans ou un RZA critiqué de toutes…