« I swear to God me and scooter the last real authentic street niggas left ». Au milieu d’une série de tweets mémorables, entre des confession d’un threesome avec Nicki Minaj et attaques directes à Rozay, Young Jeezy ou Waka Flocka, un Gucci Mane sous l’emprise de substances diverses lâche un hommage sincère à « scooter ». Dieu pris à témoin. Scooter, c’est évidemment Young Scooter, rien à voir avec le Muppet Show. Bros before hoes.
Young Scooter, encore un talent brut d’Atlanta sorti de l’ombre par le seigneur Guwop, dont tu n’avais certainement jamais entendu parler avant janvier dernier, sauf à traîner sur des sites de gourous, type PBS. Sauf qu’un an plus tard, des milliers de fanatiques priaient la naissance de 2014 pour une seule raison, et pas se taper une vague de sms de bonne année aussi nazes qu’impersonnels : le 1er janvier 2014 correspond au déferlement de Street Lottery 2. Pourquoi un tel engouement ? Entre temps, Young Scooter donnait des envies de moonwalker à Rozay, sur le remix d’un single fat que le boule de Dayami Padron.
« Colombia », un voyage au coeur de l’industrie poudrière d’Amérique latine, là où les commandes s’évaluent en metric ton. Un hit absolu qui inonde les playlists, emportant toute la mixtape Street Lottery avec, explosant rapidement les 100 000 téléchargements. De pilier local, Scoot devient rapidement un rappeur All-American, pas pour déplaire à ses bandanas stars & stripes préférés. Par contre, plutôt qu’un Star-Spangled Banner, lui donne plutôt dans l’hymne à l’oseille : les résistants ne protègent plus le Fort McHenry mais leur butin accumulé sur le trottoir, sa terre de liberté devient pavée de billets verts. Sa count music, comme il l’expliquait récemment à Noisey, « tourne autour de l’argent, du trafic, du deal, et de toutes ces activités de rue. » Un terme assez marketing pour apporter un peu d’originalité à ce qui reste de la musique trap, preuve d’un instinct business assez affirmé.
« Plutôt qu’un Star-Spangled Banner, Young Scooter donne plutôt dans l’hymne à l’oseille. »
En véritable ouvrier de l’économie souterraine, Young Scooter met du coeur à l’ouvrage. Poursuivi pour trafic de drogues en 2008 d’après sa bio, puis enfermé 6 mois en cellule après avoir dérapé pendant sa mise à l’épreuve : il conduisait avec un permis suspendu. Une carrière d’entrepreneur qui ne l’a convaincu de s’investir à fond dans le rap qu’assez tardivement, tout en restant maître de son porte-monnaie. « Street money nigga i don’t got any record deal » (« My Boys »). Décidé à tout donner à ses auditeurs, Scoot’ n’a pas oublié de leur adresser une lettre lors de son détour par la case prison, accompagnée d’un morceau enregistré sur place. Une attention toute particulière pour un public qui lui a renvoyé l’ascenseur, à travers un mouvement #FREESCOOTER qui a régulièrement ébranlé les trending topics de Twitter et plus largement des Internets. Au point de ringardiser un hashtag similaire et antécédent, lors de l’arrestation de Scooter Braun, manager d’un certain Justin Bieber.
Un parcours aussi spontané que ses lyrics, souvent improvisés lors de ses sessions studios. Du coup, les linguistes adeptes des rimes fouillées ou d’un vocabulaire aussi indigeste qu’une tribune de BHL traceront sagement leur route. Ici, le champ lexical réduit et la technicité relative s’assument totalement : « la profondeur, ce n’est pas mon truc. Il s’agit juste de parler de moi, de faire de l’argent. Je ne suis pas là pour faire des rimes et balancer de gros lyrics […] Je ne vois personne qui fait de la musique à textes. Je n’en entends nulle part. Dans mon quartier, personne ne fait ce genre de musique. » Cordialement.
Digne rejeton de Radric Davis et de Future, autre ami et mentor dont il prit la succession sur le second volet du projet Free Bricks, Young Scooter impose désormais son style et son Black Migo Gang dans la sphère rapologique. Un style adouci par les mélodies du génial Zaytoven, pas étranger à son éclosion, comme très bien raconté ici : « Comme le bleu mélangé au jaune qui devient vert, c’est l’addition de l’attitude faussement maladroite de Scooter et des productions douces de Zaytoven qui laisse cette rosée mélancolique sur leurs collaborations. » Difficile de mieux résumer.
Street Lottery 2 s’attaque à des mélodies plus grandiloquentes, surtout quand le seigneur « Cam’Ron » pose sa black card pour illuminer « Over Wit » de sa grâce. Idem sur l’hymne collectif « My Boys », dopé par le refrain d’un Young Thug toujours plus étonnant. On plonge aussi dans des ambiances plus sombres. D’un Chief Keef toujours plus inquiétant et éloigné de toute lumière salvatrice (« Chances »), à un « Straight Been » parsemé de coups de feu et références à un passif assez lourd. Sans oublier « 100 Real Niggas », dont le chorus ne te donne pas trop envie de blaguer avec sa bande, ou « Been Threw So Much », qui alterne références élogieuses à sa mère, stress du trafic et importance de rester concentrer sur ses affaires. Mais dans l’ensemble, ça reste du bon son dédié à ces putains de deniers, de manière lascive et entêtée (« Money »), ou plus embrumée et déconnectée (« Running Outta Money »). Dommage de ne pas trouver trace des crédits de cette tape, pour mieux décortiquer ces faiseurs d’or.
Entre cette mixtape et son album Jugg House prévu plus tard dans l’année, Young Scooter devrait enfin choper le gros lot, tout en restant un des rappeurs les plus crédibles et désintéressés par tout le gras, ce gratin showbiz qui engraisse et rabaisse le rap. « Young Scooter is more real and true to himself than most of us, and he doesn’t care what we think about him », le confirmait une bloggeuse US. Une sacrée prouesse à notre époque.