Célébrée pour la qualité de son cinéma, de son art littéraire, voire de ses meubles, la Suède profite aussi d’une culture musicale hyper forte. Par contre, côté hip-hop, elle ne profite pas d’un passé aussi glorieux et se retrouve moins bien identifiée. Mais tout retard se rattrape. Depuis plusieurs années, une génération de rappeurs talentueux, souvent anglophones à l’image d’Adam Tensta, perce les frontières scandinaves et se forge une identité particulière. L’influence des icônes électro locales y joue un rôle non négligeable.
Dans un autre registre, l’arrivée de Yung Lean et ses compères, qui forment le label « Sad Boys », a asséné un grand coup. Le genre millions de vues sur Youtube. Tout le monde en a parlé en 2013, mais on a attendu que le soufflé retombe un peu pour s’y atteler. Focus sur un minot de 17 ans façonné par Tumblr, qui parvient, sans rien inventer, à bouleverser les codes, jusqu’à se ramener à la table des grands. Si tu n’y crois pas, tape son blaze sur Twitter, tu seras bien surpris.
Quand on écoute ses divers titres pour la première fois, la similarité avec Lil B est assez frappante, même s’il n’y a qu’un seul et unique BASED GOD. Un flow nonchalant presque parlé, une attitude déjantée et psychédélique, et une tendance à s’appuyer sur des instrus nuageuses, clairement inspirées d’un Clams Casino. En plus triste par contre, une fragilité « sad » qui peut irriter à force. Une nouvelle étape marquée dans la rap internet – Kitty Pryde we see you -, qui assume complètement son personnage brassé par des années de gavage aux contenus web. A l’entendre, il dispose déjà d’un réseau de prostitué, a déjà touché à de multiples cocktails de drogues et on en passe. Presque parodique, il accumule les tenues et poses cartoonesques, à en faire presque rougir un Based God ou un Riff Raff. Un phénomène qui fascine l’audience, mais aussi les blogs et médias alternatifs, on va pas se le cacher.
Yung Lean s’ennuie en Suède et envie clairement ce qu’on appelle « l’american way of life ». Dans une interview donnée pour VICE, il s’est confié sur son avenir et ses ambitions : « Je n’irai pas à la fac. Je ne veux rien faire. Je veux juste twerker toute ma vie. J’aimerai vivre dans une maison à Miami pour faire de la musique. » Pour atteindre son but, il se lance dans la musique avec ses potes Yung Sherman ou encore Yung Gud. Ce dernier compose les productions pour Lean. C’est en parti grâce à Gud qu’il peut exister aujourd’hui avec ses beats sirupeux, qui collent parfaitement à la mouvance actuelle. Parce qu’il faut se rendre à l’évidence, même si ça peut faire mal de l’admettre : les sons de Yung Lean n’ont rien d’une parodie, il y a même un certain niveau de qualité.
Yung Lean s’inspire grandement de ce qui se fait dans le hip-hop actuellement. Il ingurgite tout ce qu’il écoute : il passe en revue les dernières pistes de Robb Bank$, Future et consorts. Son premier projet sortait il y a un an, Unknow Death 2002, un EP mis en ligne gratuitement qui a suscité un intérêt fort. Les titres mis en vidéo se veulent de véritables ovnis, à commencer par « Hurt » où on se croit dans un jeu de Nintendo 64. Yung Lean s’inspire de la culture pop qui l’entoure au quotidien, il parle de ce qu’il aime faire, boire, manger. Il se sert de la musique pour faire partager ses envies, des plus simples comme le surréaliste « Oreomilkshake » aux plus nauséabondes.
Malgré tout le scepticisme qu’on peut porter à ce genre de folklore, ce premier EP gère dans son ensemble. Des titres comme « Lightsaber//Saviour » ou encore « Gatorade » n’ont rien a envier à pas mal de hits ricains. On rentre sans accroc dans ce monde psychédélique, à la fois barré et mélancolique, même si on y trouve pas grand chose de novateur. Yung Lean cultive les sujets, sexe et argent, exprimés de manière aussi crue et radicale que ses confrères. Le tout saupoudré d’une grosse dose de fébrilité et nostalgie qu’il n’a jamais trop connu : ça peut surprendre pour quelqu’un qui fêtera ses 18 bougies l’année prochaine et ne respire pas complètement la crédibilité dans ce qu’il raconte. Ce qu’il a de plus, hormis de très bonnes prods ? C’est la manière dont il nous rend addict à son univers, par son omniprésence sur les réseaux sociaux, ses posts délirants et sa musique codéinée. Le suédois intrigue, donne envie de se moquer, mais force est de constater qu’il en veut pour atteindre son but : quitter l’Europe avant que son buzz ne s’essouffle, puis collaborer avec les artistes qui lui ont donné envie de se lancer dans le bain.
Il a récemment sorti le premier extrait de son nouveau projet, « Kyoto », en référence à l’univers japonais qui l’inspire fortement. Avec des fans qui le rejoignent en masse, une tournée européenne avec sa troupe « Sad Boys », plus un album en préparation, Yung Lean est prêt a conquérir LE MONDE.
À noter que toute la fine équipe de Sad Boys (Yung Sherman, Yung Gud et consort) se produira au Batofar à Paris, le 25 mars. Chope vite ta place, au risque de passer à côté d’une soirée déjantée. On lui laisse le mot de la fin, une déclaration pleine de bon sens et de poésie.
« Je n’irai pas à la fac. Je ne veux rien faire. Je veux juste twerker toute ma vie. J’aimerai vivre dans une maison à Miami pour faire de la musique. »