ACTE 4 : 14 AVRIL 2017
KENDRICK LAMAR – DAMN.
Que n’a-t-on pas encore écrit sur Kendrick Lamar ? Ambassadeur de l’une des banlieues les plus brûlantes du monde tout en étant adoubé “rappeur Télérama”, porte-parole invétéré des luttes raciales contemporaines mais souvent enclin à les adapter aux prises de parole commerciales de Reebok, Nike et autres Beats by Dre… Le 14 avril 2017, alors que la France est à un cheveu d’élire à sa tête une présidente d’extrême-droite et que s’entame entre les Etats-Unis et la Corée du Nord un périlleux duel, Kendrick Lamar réussit à faire oublier ce contexte pour le moins tendu et cloue le bec aux commentateurs en pagaille avec la sortie de son quatrième album DAMN.. Ponctué des coups d’éclat rapidement célébrés que sont les clips « DNA. » et « HUMBLE.« , DAMN. se révèle bien plus profond et épuré dans ses thèmes que ne laissent entendre ces deux tubes en puissance. Tubes qui vont très vite se faire oublier puisque ce sont les 14 morceaux de l’album sans exception qui se glisseront dans le Billboard Hot 100. Une prouesse exceptionnelle de la part d’un artiste qui a décidément tout d’une pop star (le classement américain réunit des titres de toutes catégories musicales confondues), mais qui réussit néanmoins à mettre en musique une pensée toujours aussi lucide et réfléchie. DAMN. se veut pour son interprète un discours sur l’essentiel : la religion, l’amour, la famille et la condition d’un jeune noir propulsé superstar mondiale alors que certains de ses concitoyens de Compton survivent encore la peur au ventre.
Et à album de superstar, featurings en or massif : Kdot a invité Rihanna et, plus surprenant, le groupe de rock irlandais U2 à briller sur DAMN. Bien loin d’offrir coup de pouce de pacotille, ils subliment de leur patte les mélodies de “LOYALTY.” et “XXX.”. Mais le véritable moment de grâce est porté par le jeune chanteur Zacari qui, sur “LOVE.”, mêle sa voix au débit ralenti de Kendrick, le tout au service d’une chanson d’amour comme on n’en fait plus. Loin de s’enfermer dans le rôle de leader d’un combat Black Lives Matter auquel il semblait promis au lendemain de To Pimp A Butterfly, Kendrick se recentre sur lui-même et prend son public à contrepied. Tué en début d’album par une vieille dame aveugle, obsédé par son rapport à ses proches et la place de Dieu dans sa vie (« Ain’t nobody prayin’ for me« , répété comme un gimmick dans l’album), le rappeur est décidément l’un des artistes les plus marquants de sa génération – sans parler d’une aisance technique insolente qui le rend accessible au plus grand nombre. En avril 2017, après l’écoute de cet album puissant et perturbé, on a eu un instant la sensation que nous n’étions plus les seuls à douter.