Acte 5 : 18 avril 2017
2017, une année de tubes
Le 18 avril de cette année, Future sort le tube « Mask Off » et Internet devient fou. Mais d’abord, qu’est-ce qu’un tube ? Peut-on réellement le définir en 2017 au même titre qu’en 2007 ? Cette année nous aura définitivement prouvé qu’un tube ne répond plus forcément à des critères bien définis par l’industrie musicale. Si certains ingrédients sont favorables voire nécessaires, ils n’en garantissent pas pour autant son succès.
Penchons-nous sur des exemples concrets. D’après Spotify, les trois premiers albums les plus écoutés en France cette années sont issus d’artistes rap : on retrouve en effet Damso, PNL et Niska sur le podium. Tous les trois ont un style bien différent, que ce soit en termes de musicalité ou de stratégie commerciale et marketing. Chacun d’eux a pourtant réussi à leur manière à capter une partie des auditeurs. Damso a vu sa popularité croître après sa collaboration avec Booba sur « Pinocchio ». Il y a véritablement eu un avant et un après Nero Nemesis pour le belge, qui a su s’imposer malgré la prestance de B2O grâce à un univers sombre, une identité vocale et un flow remarquable et inimitable parmi ses concurrents. Après le succès de son premier album Batterie faible, 9 titres sur 14 d’Ipséité se classaient en tête des charts dès le lendemain de la sortie de l’album. Les Essonniens de PNL ont réussi à se démarquer par une communication et une stratégie marketing brillamment étudiée, qui leur a valu le qualificatif de « fils de pub du futur » par le plus célèbre des publicitaires, Jacques Séguéla. Quant à Niska, c’est l’aspect mélodique sur lequel il construit son écriture et ses quelques gimmicks (à l’instar du fameux « pouloulou » de « Réseaux ») qui font la recette de son succès.
En 2017, le succès de certains morceaux a cependant créé la surprise, défiant la définition de ce que pourrait être un tube. C’est par exemple le cas de Lil Uzi Vert avec « XO Tour Llif3 » qui aborde sa relation sentimentale tourmentée sur fond de substances illicites ainsi que sa dépression. Si certains voient en cette confession et en ce mal-être un exutoire artistique, d’autres se reconnaissent dans les paroles de ces rappeurs mentalement perturbés. Au point parfois d’en développer une fascination. Xxxtentacion bénéficie malheureusement de cet attrait malsain : dépressif, accusé de violences sur sa compagne alors enceinte, son morceau « Look At Me! » ne reste pas moins l’un des tubes rap US marquant cette année 2017. Si la fragilité peut fasciner voire obséder, la proximité que peut créer ces textes plus que personnels entre un rappeur et son auditoire est indiscutable. C’est ainsi qu’Orelsan a réussi à captiver au-delà du public rap avec La fête est finie, bilan de vie d’un presque trentenaire et de sa vie de jeune adulte.
Il n’y a aujourd’hui que très peu de codes, très peu de règles qui définissent un tube : désormais le public s’en affranchit et ce n’est plus l’industrie qui les lui imposent. Signe révélateur : la viralité constitue une part indéniable dans le succès d’un morceau, parfois détourné (on ne compte plus les memes dont « Mask Off » de Future a fait l’objet), parfois parodié (« Man’s Not Hot » de Big Shaq qui sample « Let’s Lurk » de 67 et Giggs), parfois mis en avant des mois après leur sortie (« I Fall Apart » de Post Malone). Autre point : le changement des modes de consommation de la musique, d’une logique active à passive. Les playlists remplacent les compilations et sont mises à jour régulièrement par les éditeurs des plateformes de streamings, à la recherche de la perle qui fera augmenter le taux d’écoute. Mehdi Maizi, responsable éditorial hip-hop pour Deezer, avaient par exemple intégré « Sanji » d’Haristone ou « Noichi » de Brulux à la playlist La nouvelle école du rap français. Ces deux morceaux ont bénéficié d’une très belle exposition par la suite. Ce fut également le cas pour « Ouloulou » de Dabs. Meriem Nassiri, en charge de l’éditorial chez Spotify, confirme dans une interview pour Clique : « Il a été ajouté aux playlists suite à un coup de coeur éditorial au sein de notre équipe. Il n’était pas connu du grand public en décembre 2016. On a poussé le morceau sur un coup de coeur et les datas ont confirmé notre intuition. » L’ensemble des datas des utilisateurs est étudié précisément par les plateformes de streaming qui identifient alors les coups de cœur populaires.
Cette année plus que jamais, c’est le public qui fait les tubes par sa sensibilité, les réseaux sociaux, les services de streaming, YouTube, SoundCloud… Les moyens à disposition ne manquent pas et font du rap le genre le plus écouté en France aujourd’hui, obligeant les artistes et les labels à redoubler d’imagination pour se démarquer. 2018, on va s’amuser.
Les tubes rap de 2017 sont à retrouver dans la playlist 2017’s best rap de Mehdi Maizi sur Deezer.