Il y a quelques conditions requises pour que votre sextape fassent du bruit sur la toile, de la même manière qu’il y a certaines cases qu’il faut cocher pour que votre mixtape passent dans les enceintes les endroits les plus hip du globe. Il y a eu les balades sur le yacht de ce petit filou de Barclay, les soirées privés avec Oprah… Oubliez tout ça. Si vous voulez que votre jolie minois devienne une icône pour la génération de branleurs à venir, c’est assurément vers le studio de ce gros dégueulasse de Terry Richardson qu’il faut se diriger. Une question se pose : est-ce acceptable d’apprécier et de cautionner le travail d’un agresseur sexuel présumé ?
Pourtant, le personnage ne fut pas exactement façonné pour devenir le passage obligé de toute la scène pop actuelle. Il est né dans les faubourgs d’Hollywood, en Californie, dans un archétype de ce que l’on appelle l’Amérique « White Trash ». Son père, également photographe, avait surtout une légère tendance à abuser de la bouteille et des calmants, ce qui n’a étrangement pas eu comme effet d’améliorer sa schizophrénie latente. Donc, afin de se détacher de cette figure paternelle tyrannique, le petit Terry va s’atteler à deux choses : la musique et la photo. La Californie étant un des berceaux du punk et un bon moyen d’exprimer son refus de l’autorité, il sera bassiste dans le groupe « The Invisible Government » pendant six années durant. Puis, au lycée, la photographie va vite devenir le point central de son existence. Il dira lui-même que le huitième art lui permet d’expier ses démons. Les expier, ça veut dire sortir sa (gigantesque) bite en plein shooting ?
Avant de développer ce style si particulier, Terry a réalisé un paquet de campagnes pour les marques les plus iconiques, du streetwear aux grands couturiers. C’est ainsi qu’il va collaborer aussi bien avec Supreme et Aldo qu’avec Tom Ford et Marc Jacobs. L’homme va également travailler sur des séries pour Vogue, Vanity Fair ou encore VICE. Sa signature commence donc à se déposer à travers tous les grands tirages de la mode et via les annonceurs les plus influents du pret-à-porter. Mais ce qui va principalement aider Terry à avoir cet impact qu’on lui connait sur le monde de la photographie et du fashion business, c’est la mise en scène de son image et de sa propre vie. Alors, certes, l’autoportrait n’est pas une nouveauté – allez d’ailleurs jeter un oeil sur les travaux de Vivan Maier – mais le travail de Terry Richardson est résolument novateur. Il bouscule les codes de la relation entre le photographe et son travail, se positionne à la fois comme symbole, acteur et déclencheur de sa propre photographie.
Mais jusqu’où a-t-il le droit de pousser ce rôle d’acteur ? Terry Richardson, c’est un peu Belladonna avec une paire de couilles. Sauf que là où l’une est une actrice porno dont le job est de jouer avec les parties intimes de ses partenaires, Terry est un photographe qui abuse de son pouvoir pour assouvir ses pulsions. C’est évident, et indéniable : on n’a pas attendu les accusations de Rie Rasmussen ou la pétition appelant au boycott du photographe, signée par 20 000 personnes, pour le savoir. Si vous avez le bouquin « Terryworld » à côté de vous, jetez y un rapide coup d’oeil pour vous remémorer le côté tordu du mec. Oui, Terry Richardson est un pervers sexuel. Mais l’a-t-il déjà caché ? Soyons franc, tout amateur lambda de photo a déjà vu sa teub errer dans une bouche. Entrer dans son studio, c’est se préparer à l’expérience d’un shooting (très) borderline. Là où ça pose problème, c’est quand, naïvement, des agences y envoient des jeunes mannequins à peine majeures en quête de reconnaissance dans le milieu. Là, Terry enfile – la phrase pourrait s’arrêter là – son masque de loup et sort les crocs. On n’a pas de preuve à part celle de Jamie Peck, mais on aurait tendance à la croire sur parole.
Blâmons donc l’homme, un sacré connard détraqué, mais aussi ces agences qui ne devraient y envoyer que des meufs avec le carafon de Nicki Minaj et pas des minettes prêtes à tout pour avoir leur silhouette sur un négatif. Pour elles, Richardson c’est ce mec qui a shooté les plus grand(e)s, de Kate Moss à Obama. Et pourquoi ces superstars – il a accumulé 58 millions de dollars en 2013, quand même – vont chez lui pour se faire tirer le portrait ? Parce qu’il est doué, tout simplement, et qu’il maitrise son art. On peut percevoir deux genres distincts dans son travail artistique pur : les prises de vue de l’Amérique dans ce qu’elle à de plus sale et délabrée, et ses séries en studio. Pour ce qui est de la captation du déclin de « l’American dream », ces sujets sont pluriels. Des devantures de magasins délabrés, des rues sans vie. On retrouve également des sujets beaucoup plus personnels, notamment une série qui a pas mal porté à controverse avec la mère de Terry sur son lit de mort. On y voit une figure maternelle frêle, noyée sous un appareillage médicale, comme menottée par les entrelacements de tubes. C’est cette vision de la réalité qui permet au travail photographique « hors-studio » de Terry Richardson de ne pas être anecdotique. Il transcende une vérité sociale crue sans jamais lui appliquer un vernis opaque.
Son travail en studio est quant à lui révélateur d’une autre réalité. On pourra passer des heures à argumenter sur les intentions photographiques de l’artiste, mais le lien avec la mise en scène de sa propre personne et l’avancé de l’individualisation au sein de la société est à peu près indéniable. Barack Obama, le Pape, ta petite soeur et leurs selfies ne viendront pas réfuter cela en tout cas. Les séries ont tendances à toutes se ressembler, les ingrédients sont simples : un modèle à demi-nu ou complètement nu (et connu de préférence) + une lumière crue + les lunettes de Terry Richardson + Terry Richardson. Voila comment le photographe opère une appropriation de son monde et de ses modèles, il s’insère entre l’objectif et l’objet pour former un tout qui lui ressemble. Parfois, quand l’envie lui prend, il s’insère même tout court.
Alors le sujet ici n’est pas de mettre en exergue l’hypothétique narcissisme de l’artiste. Bien que Freud aurait aimé échanger avec lui, on n’en a pas grand chose à foutre. Terry Richardson est un personnage à part entière qui a su imposer ses codes. Afin de rester l’icône qu’il est, pour certains, actuellement, il va devoir désormais opérer une vrai évolution dans ses travaux afin de ne pas tomber dans les méandres de la répétition et, accessoirement, pour ne pas être traité de pervers à chaque série de lookbook. Reste à chacun de cautionner, ou non, ses activités extra-photographiques.