Labels indépendants et major compagnies. Deux mondes décrits comme diamétralement opposés mais séparés par une mince frontière. Ces deux univers, tels deux aiguilleurs d’une même gare, ponctuent les trajets de nombreux artistes. Les changements de voie propulsent, accélèrent, ralentissent, reclassent… C’est le cas de Silvère Johnson alias Sly The Mic Buddah, dont le parcours artistique a été sujet aux fluctuations du temps et à une transition significative. L’ex-membre du Saïan Supa Crew a préféré prendre la correspondance pour Sly Johnson, en empruntant la langue de Shakespeare et une musique aux accents soul plus marqués.
Rencontre avec un artiste-baroudeur aux multiples facettes.
SURL : Comment s’est passée la transition entre major et label indépendant ?
Sly Johnson : C’était assez brutal de passer d’une major à un label indé. J’ai eu très peu de temps pour m’adapter. La transition s’est faite avec Heavenly Sweetness, un label initialement axé sur le jazz et la vieille soul et qui commence à s’ouvrir au hip-hop. Il a fallu m’adapter à une nouvelle manière de bosser mais qui au final me convient car j’ai plus de liberté artistique. On peut sortir des projets beaucoup plus rapidement. J’avais par exemple l’envie de sortir une mix-tape reprenant des morceaux de 74, mon premier album, mais dans des versions remixées. Grâce à Heavenly Sweetness j’ai mis trois semaines à créer et mettre en ligne cette tape. Et c’est ce genre de liberté que j’aime.
Il y a un contraste entre l’époque où ta musique était explicitement urbaine et ton évolution vers un répertoire plus varié.
Le fait de me retrouver dans un petit label, ça me force en tant qu’artiste à aller rencontrer les gens, qu’ils soient musiciens, beatmakers ou autre… Quand j’étais chez Virgin, j’étais dans une routine. Quand t’es chapeauté par une très grosse maison de disques, tu peux te la couler douce, tu te dis “c’est cool j’ai mon petit contrat, mes albums sont déjà pré-signés”, et en sortant de cette major tu te retrouves dans une urgence. Et moi, j’aime bien l’urgence. Je suis quelqu’un qui travaille relativement vite. C’est clair que ça a chamboulé énormément ma vie mais c’est pour le bien de ma musique, donc je suis ravi aujourd’hui de passer enfin en indé.
Comment s’est faite la transition musicale de Sly The Mic Buddah le rappeur/beatboxer à Sly Johnson le musicien qui chante en anglais ?
Ce changement s’est fait sur de très longues années. Il faut remonter à l’époque du Saïan, entre 2005 et 2007, quand je commençais à collaborer avec Camille. C’était l’un de mes premiers chocs artistiques. Une des révélations qui m’ont démontré que je pouvais aller me balader dans d’autres mondes que le mien, qui était strictly hip-hop, même si j’ai baigné dans différents univers musicaux depuis tout petit. J’ai toujours été touché par différents styles donc ça ne m’a pas dérangé de pouvoir évoluer dans d’autres contextes comme la musique traditionnelle malienne avec Rokia Traoré ou encore la chanson française avec Camille, mais dans un style hybride. C’est quelque chose qui me plaît et qui se reflète avec ma musique, que je considère toujours hip-hop mais ouverte.
Je jouis tout récemment de la liberté d’être moi-même et de pouvoir le retranscrire en musique. C’est quelque chose d’unique. Je ne me vois pas sacrifier cela sous prétexte que je viens d’un univers hip-hop. Au contraire, le hip-hop continue à me suivre, c’est présent dans ma musique, dans mon prochain album The Mic Buddah qui arrive prochainement et dans Ruff Draft, ma mixtape de l’année dernière où on peut retrouver Sean Price et DJ Revolution.
Je me suis retrouvé l’année dernière au championnat de France Human Beat box. J’ai pu y voir la nouvelle scène. Il y a des gens pour qui j’ai eu un crush, notamment Wawad Beatbox qui est pour moi l’un des meilleurs beatboxers du moment. J’ai également rencontré Alem qui est vraiment un ouf, avec qui j’aimerais bien faire quelque chose. Le beat box a évolué de manière incroyable. Je me sens un tout petit peu dépassé même si l’ancien que je suis a encore quelques tours dans sa poche !
Comment tu passes du statut de rappeur au succès national (avec le Saïan) à celui de beatboxer invité de Truffaz, ou musicien de Camille ? Ce sont des étapes distinctes ou des facettes qui cohabitent ?
Je pense que j’aurais été incapable de répondre il y a quelques années car j’étais en recherche artistique. Aujourd’hui je dirais que c’est la même personne derrière toutes ces entités, avec une autre que les gens découvriront plus tard. J’aime jouer avec ces identités mais c’est la même personne derrière.
Si tu devais résumer en une phrase ou quelques mots tes trois périodes artistiques (Simple Spirits, Saïan Supa Crew et le Sly Johnson du présent) ?
Simple Spirit : Éphémère ! Ça n’a duré que le temps d’un maxi auto produit qui s’appelle Saïan Supa Land. Il n’existe qu’un seul titre de Simple Spirits qui a vite laissé sa place au Saïan Supa Crew.
Saïan : Ohlalalala. (silence) Comment dire ça ? Cette question est très dure. Ça ne se résume pas en une phrase. C’était fou, magique, incroyable. On a fait en 10 ans des choses que des artistes ne feront pas en une vie.
Le Sly actuel : Le présent c’est le nouvel album qui arrive le 1er juin. Il s’appellera The Mic Buddah, non pas en référence au Saïan Supa Crew mais au fait que je fasse plein de trucs avec ma voix. J’ai décidé que le beatbox occuperait une grosse place dans cet album. L’album est varié et marqué par le voyage. Il y a également le dernier album du jazzman Jacky Terrasson où j’ai contribué sur quatre ou cinq morceaux. A venir encore aussi, une autre collaboration sur le prochain album de Raphaël, c’est vraiment très chanson française mais c’est chouette! Pour le reste, je vais continuer à mixer sur Paris à sortir des mixtapes, je compte collaborer avec plein de gens. Ceci est un appel à tous ceux qui penseraient à moi, n’hésitez pas je suis ouvert !