Synthés-guitares, claps, looks engagés et gimmicks fiévreux : les derniers clips de Kendrick Lamar, Snoop Dogg ou Mark Ronson & Bruno Mars confirment une tendance outre atlantique à mettre de côté les grosses basses et les sons synthétiques pour une vibration beaucoup plus funky. Signe annonciateur d’un retour au groove salvateur, ou simple hommage aux musiques fondatrices du hip-hop ?
Déjà amorcé dans l’electro par le dernier album des Daft Punk qui comportait des invités tels que Nile Rodgers, qui a notamment composé « Le Freak c’est chic ! », le retour du funk fait de plus en plus de bruit. Ce n’est pas le succès d’« Uptown Funk » le hit planétaire à l’esthétique 80’s de Bruno Mars et Mark Ronson qui viendra contredire cette tendance. Le producteur anglais n’est d’ailleurs pas étranger à ce revival, puisque sur le dernier album d’Amy Winehouse déja, il avait eu l’occasion de travailler avec les Dap-Kings, le supercombo officiant derrière Sharon Jones, chanteuse ayant plus oeuvré pour la nu-funk que Booba ne l’a fait pour la légalisation de l’auto-tune dans le rap. « Je les ai découvert en travaillant avec eux sur mon deuxième album, ils sont venus au studio un jour et m’ont fait écouter une reprise de « Signed, Sealed, Delivered » de Stevie Wonder, j’étais époustouflé par le son qu’ils avaient. C’était exactement comme ça que je voulais sonner « , confiait dernièrement Mark Ronson au sujet des Dap-Kings.
À l’instar d’un Mark Ronson ou d’un Martin Scorcese invitant Sharon Jones & les Dap-Kings à jouer dans une scène du Loup de Wall Street, il y’a un autre artiste fasciné par le son vintage et indéboulonnable du funk : Calvin Broadus, aka Snoop Dogg. Ces derniers temps, Snoop s’était un peu perdu à tester plusieurs fillons musicaux : une période reggae pas catastrophique mais qui ne restera pas dans nos esprits, et des featurings un peu sombres avec des artistes improbables comme PSY ou Jean Roch. Heureusement, le Californien semble avoir retrouvé un semblant de dignité en revenant finalement à une formule plus classique qui fit le succès de ses premiers albums. Dans « Peaches-n-Cream », morceau qui annonce son album qui sortira le 12 mai, il retrouve Pharrell et Charlie Wilson déjà présents sur les morceaux « Beautiful » et « Signs ». En tendant l’oreille, on y entend le gimmick « Feet don’t fail me now » lancé par George Clinton, grand wizard du son P-Funk avec ses groupes Parliament et Funkadelic, sorte de carambolage génial entre le jazz spatial de Sun-Ra et le groove extatique de James Brown.
Peu étonnant de retrouver le funk 70’s cité aussi comme influence principale de l’album To Pimp a Butterfly de Kendrick Lamar que son propre label a fait leaker pour notre plus grand plaisir, le 16 mars dernier. George Clinton himself apparaît sur le morceau qui ouvre l’album, « Wesley’s Theory ». D’autres morceaux, « King Kunta » en tête de liste, ne cachent pas non plus leur source d’inspiration funk, reprenant les lyrics de Funkadelic – encore – et clamant sans vergogne « We want the funk ».
L’héritage du son
Le funk qui teinte les morceaux hip-hop, ça n’est pas nouveau. On connait le pillage sampling d’artistes comme George Clinton ou James Brown pour ne citer qu’eux, qui a fleuri au début des années 90 sur la côte Est. C’est aussi l’origine de tout un courant des 90s qui a fait l’âge d’or des rappeurs de la west coast : le g-funk, le pendant mélodique du gangsta rap. On attribue l’invention de ce courant à Above the Law et NWA mais le fameux album qui l’a indéniablement popularisé est The Chronic de Dr. Dre en solo. Le g-funk ainsi démocratisé, s’en est suivi multitude d’autres classiques, et même tout un mouvement caractéristique de cette période. Le style g-funk, c’est principalement des samples de funk et de soul adjoints à des sons de synthétiseurs reconnaissables entre mille. Des sons plutôt aigus, lents et étirés, qu’un puissante rythmique fige, aidée en cela par une ligne de basse plus ou moins complexe et efficace. Elle est répétitive, reste en tête et donne envie de groover. Le flow des rappeurs s’adapte donc à ce tempo généralement plus lent. Autre élément caractéristique du genre, des voix robotisées, souvent sous l’effet d’un talk-box ou vocodeur rendu célèbre par Roger Troutman. Le refrain est très fréquemment chanté et se retient ainsi plus facilement. Parfois même, il est directement piqué dans les archives de la musique soul et funk, ou réinterprété par une chanteuse (rappelez-vous de « What’s my name » de Snoop Dogg). Les clips reflètent l’esprit festif et détente de cette mouvance. On y met en avant le côté insouciant, amoral de la vie du gang affichant ainsi clairement son opposition au rap east coast, plus sérieux, plus sombre aussi.
Si l’on ne peut plus réellement parler de g-funk aujourd’hui, le funk continue néanmoins d’inspirer les rappeurs, sans qu’ils copient pour autant le son nineties. On s’aperçoit ainsi chez la nouvelle génération de rappeurs West Coast que l’utilisation de samples joyeux et dansants n’implique pas un flow forcément léger, il est parfois même carrément dur. C’est ce mélange singulier de sonorités qui créé le contraste. Ainsi, Kendrick Lamar dans To Pimp a Butterfly se permet l’utilisation de ce genre de samples pour appuyer son réquisitoire contre les bavures policières survenues aux Etats-Unis, comme pouvait le faire Da Lynch Mob ou le rappeur Paris, se servant du g-funk pour servir un message militant.
Aujourd’hui, les gangsta rappeurs s’enjaillent sur des prods trap, le faisant généralement uniquement pour encenser le combo money-pussy-weed. Les lyrics sont volontairement peu profonds et servent surtout à mettre en valeur la prod qui est là pour créer une excitation ponctuelle, une ambiance propice à l’ego trip plutôt distrayante, mais assez éphémère. Cette tendance homogénéise le rap ; la gangstérisation grandissante est d’ailleurs moyennement crédible, notamment en rap français. A contrario, les samples travaillés et groovy du funk donnent un défi aux rappeurs qui doivent trouver une rythmique à leur flow afin de ne pas dénaturer le son. On se réjouit donc du retour du funk, pour stimuler le flow des rappeurs, pour innover via le prisme de cet héritage musical. Et aussi, plus égoïstement, pour bouger son booty l’été arrivant. Pour la multitude de bijoux musicaux que ce mélange d’influence peut offrir, et simplement parce que faire la fête ça ne se refuse pas, on ne cessera de le dire : funk’s not dead.
Auteur : Cathy Hamad
Éditeur : Olivier Cheravola