SURL offre chaque mois une carte blanche à des artistes, qu’ils soient rappeurs, photographes, écrivains, cinéastes. Une aire de repos sur l’autoroute de l’information, histoire de prendre le temps de déchiffrer le bruit du monde extérieur. Ce mois ci, on a sollicité Madj, ex-manager du groupe Assassin et fondateur d’Assassin Productions, qui nous parle de transmission. Parce que le hip-hop est plus que jamais multiple, il méritait qu’on jette un petit coup d’oeil sur ses fondations oubliées. Pour que le présent se nourrisse du passé. Et que l’Odyssée suive son cours.
« La culture hip-hop est belle, puissante et universelle… Elle peut même s’avérer émancipatrice. C’est entre-autre pour toutes ces raisons que je l’aime… Que ce soit par le biais de la danse, du graffiti ou de la musique, elle a totalement redéfini un certain nombre de normes esthétiques et a su s’imposer comme l’un des courants artistiques majeurs de la fin du dernier millénaire.
Mais finalement, d’où vient le hip-hop ? Serait-il sorti de nulle part de manière complètement spontanée ou bien entretiendrait-il un « lien filiale » avec les tendances artistiques qui lui sont antérieures ? En France, bon nombre de soit-disant spécialistes authentiquement idiots ont déjà répondu à ces questions, étalant par la même occasion leur stupide ignorance, en nous expliquant que le hip-hop serait par essence opposable au rock. D’autres nous ont également expliqué que le rap serait hérité d’une tradition orale africaine ancestrale (la fameuse « théorie des griots »), etc, etc… Pour ma part, je pense que le hip-hop, dans sa globalité, est l’ultime étape et la plus aboutie de la longue histoire du folklore américain moderne. Il s’inscrit dans ce processus qui commence au début du 20ème siècle avec la naissance du blues moderne et se poursuit avec l’apparition de nombreux autres courants musicaux : rhythm’n’blues, rock’n’roll, soul , reggae, funk… L’extraire de cette dynamique reviendrait à lui ôter toute sa profondeur.
Sans se lancer dans des analyses musicologiques interminables , en ce qui concerne les racines du Rap, il nous suffirait de remonter la grande généalogie de la musique populaire américaine pour nous rendre compte qu’après avoir évoqué James Brown, George Clinton ou leur cousin jamaïcain, nous arriverons très vite à Bo Diddley, Little Richard, ou encore Big Joe Turner. Et si tout ça ce n’est pas du rock’n’roll, je n’y connais plus rien ! Un autre élément m’effleure l’esprit : Au temps de la genèse du B-Boying, en ces instants magiques où les premiers DJ’s cherchaient « le beat parfait » qui ferait se transcender les danseurs des block parties, les séquences de breakbeats trouvées dans certains disques de rock l’auraient été par le plus grand des hasards ? Bien évidemment que non. Ces DJ’s connaissaient et appréciaient ces disques de Led Zeppelin, des Stones, d’AC/DC ou de Kraftwerk qui, avec leur disques de funk ou de boogaloo, rythmaient leur bande-son.
De plus, on lie souvent les racines du hip-hop à la culture des gangs new-yorkais des années 70. Curieusement, les codes vestimentaires adoptés par les membres de ces gangs à ce moment étaient largement empruntés à la culture rock. Il en resta encore les traces chez certains musiciens de funk et parmi les premiers groupes de rap de la fin des 70’s / début 80’s. Beaucoup de ces codes ont finalement été largement repris et ré-actualisés pour devenir les cannons de la mode d’aujourd’hui, comme quoi ce rock’n’roll que certains ont cru moribond, a vraiment la dent dure. On peut également se souvenir qu’ au début des 80’s, une frange de la scène punk new-yorkaise contribua largement à ce que le hip-hop élargisse son audience en lui permettant d’exister dans certains clubs « downtown » de la Big Apple, étape indispensable dans son ascension progressive vers un rayonnement planétaire.
Alors pourquoi, après plus de trente ans de présence de cette culture dans notre pays, navigue-t-on encore au milieu d’ autant d’approximations quand à l’appréhension de son essence ? Pourquoi en France, le travail de transmission de cette charge sociale et historique n’a pas été bien fait ? Peut-être parce que la plupart des activistes, des « soldats », des B-Boys et des authentiques mélomanes non pas pu ou su s’organiser pour conserver la parole qui était la leur. Peut-être parce que qu’une partie de ce patrimoine s’est d’une certaine façon dilué dans la folle débandade du business du rap dans l’industrie musicale…
J’en place une pour tous ceux qui ont contribué et contribueront, à n’importe quel niveau, au développement de la culture hip-hop en sachant lui conserver l’ entière substance des fondements de son expression. Cette culture est « fresh », sociale et pluriculturelle… Elle peut même s’avérer idéaliste. C’est entre-autre pour toutes ces raisons que je l’aime ! »
— Madj