Un incroyable vécu. Le passage à Lyon de Gilles Peterson était l’occasion rêvée d’interroger le légendaire touche à tout de la BBC sur son rapport au rap, la faveur que lui doit DJ Premier et son travail avec MC Solaar. Et parce qu’on est beaux joueurs, on le laissera même filer avec notre exemplaire de « Bad Boys de Marseille » d’Akhenaton.
Quand on met un collectionneur de disques en face d’un bac de vinyles, il a deux façons de réagir. Soit son addiction le confine au mutisme le plus profond, provoquant au passage sueurs froides et tremblements, soit il en résulte une discussion à bâtons rompus. Connaissant Gilles Peterson, l’un des tastemakers les plus réputés de sa génération, on savait déjà sur quel pied danser. À l’occasion de son passage au festival Les Invites de Villeurbanne avec la complicité de Black Atlantic Club, on a ramené quelques cartouches discographiques en bandoulière.
Qu’on le retrouve derrière le micro de la BBC ou à la tête des festivals Worldwide à Sète ou Singapour, le nom de Gilles Peterson est progressivement devenu synonyme de sono mondiale. C’est oublier que si ce dénicheur de talents a su jouer les chaînons manquants entre différents genres musicaux, il a tout bonnement été aussi l’instigateur d’un des courants forts de la musique britannique, l’acid-jazz.
Quand au début des années 90, le hip-hop commence à frayer avec son cousin le jazz, les puristes crient à l’hérésie. Lorsque Gilles Peterson, jeune londonien de filiation franco-suisse, décide de fonder le label Acid Jazz Records, les plus réactionnaires jazzmen firent sans doute des backflips dans leurs tombes. Le nom, à la fois doux oxymore et clin d’oeil malin à la vague Acid House, allait pourtant donner ses lettres de noblesse à nombre de musiciens britanniques. Jamiroquai, Corduroy, Urban Species ou encore The Brand New Heavies héritent de cette étiquette, alors que leur musique, sorte de soul-funk contemporaine travaillée au corps par des vibrations modernes et urbaines, finit de s’attirer les faveurs de certains producteurs. Parmi eux, un certain Guru, travaillant à cette époque à ficeler le premier volume de Jazzmatazz, une compilation qui allait définir les contours de la vague rap-jazz pour les vingt années suivantes.
25 ans plus tard, Gilles Peterson aura vu mourir ses deux premiers labels, Acid Jazz Records et Talking Loud, émerger la drum and bass et la scène rap UK, tout en vivant l’arrivée du rap français au Royaume-Uni. De quoi se reposer sur ses lauriers et choper la grosse tête.
Pourtant, la première fois qu’on rencontre Gilles, on oublie presque qu’on a affaire à l’une des plus légendaires chevilles ouvrières de l’industrie de la musique. C’est avec une certaine coolitude qu’il s’avance vers nous et nous adresse un « on dit 20 minutes ? » dans un français impeccable. Un naturel flegmatique qui disparaitra aussitôt qu’on lui mettra dans les pattes une vingtaine de disques. Sourire aux lèvres, Gilles Peterson redevient ce qu’il a toujours été : un passionné de musique intarissable.
Après tout, un homme capable d’enchainer « Excursions » de A Tribe Called Quest avec un morceau jazz d’Eric Dolphy d’un quart d’heure – pour pouvoir piquer une tête dans les eaux turquoises de Turquie – méritait bien qu’on passe un moment avec lui les mains plongées dans un bac de vinyles. Savoureux.
Vidéo réalisée par Jonathan Morel