SURL offre chaque mois une carte blanche à des plumes, rappeurs, photographes, écrivains, cinéastes ou journalistes. Une aire de repos sur l’autoroute de l’information, histoire de prendre le temps de déchiffrer le bruit du monde extérieur. Ce mois-ci, on a demandé Sidi Sid de Butter Bullets – avec qui l’on avait passé un étrange dimanche – de nous donner son avis sur le traitement du rap par les grands médias français, une dizaine de jours après l’épisode Yann Moix/Nekfeu chez Laurent Ruquier.
J’ai souvent un peu honte de faire du rap, honte car aujourd’hui pour n’importe qui de plus de 40 ans qui paye sa redevance télé je ne suis qu’une mauvaise parodie d’une mauvaise parodie de Laurent Gerra, je porte une casquette sur le côté, je n’ai certainement pas réussi à lire « Le petit prince » jusqu’au bout, ma culture cinématographique s’arrête à La Haine et 8 Mile, j’ai adoré « Le film sur la vie de Dr Dre », je ne travaille pas, ne respecte pas les femmes, suis homophobe, je fume du shit toute la journée, je ne vote pas (ça c’est vrai), j’utilise le verlan, je suis agressif, mon cursus scolaire est chaotique, je n’aime pas mon pays, je dois forcément dénoncer un truc car c’est ça le rap, et j’en passe des vertes et des pas mûres, pas mûr comme moi, ce rappeur immature qui ne sait rien faire d’autre que dire « yo » et autres « wesh ».
De toutes façons c’est peut être pas plus mal, le rap n’est pas une musique faite pour la télé, ou alors seulement les versions instrumentales en fond sonore de Téléfoot ou de reportages sur la banlieue. Et pourquoi donc ? Tout simplement car nous sommes trop cons, la preuve, nous faisons du rap et il faut être vraiment très con pour faire du rap, mieux vaut encore faire des chaussures ou avoir un BEP chaudronnerie comme disait l’autre, cet autre que les médias adorent seulement quand il ne fait plus de rap.
Sérieusement, si on t’invite pour ta pseudo promo c’est que tu es blanc, que tu vends des disques aux ados boutonneux et aux gamines qui te trouvent beau gosse et que tu as passé ton temps à dire en interview que tu lisais des livres, ou alors que tu es un quelconque mec de banlieue qui vend plus que le dernier album d’Alizée mais que tu n’as rien à dire, alors on te parle de clash et on te demande de justifier une énième fois une rime sortie de son contexte, ou tu disais pd et autres putes, toi l’infâme homophobe, celui là même qui ne respecte pas les femmes dans ses chansons.
Donc tu arrives sur France 2 ou Canal +, tu ne retires pas ta casquette histoire de faire perdurer un peu plus le cliché que tu es, et là c’est la merde, tu es seul au monde, même les invités qui n’ont que quelques années de plus que toi ne comprennent rien alors imagine le présentateur ou encore ses chroniqueurs pour qui, leur seule ouverture sur la musique urbaine est un journaliste de 53 ans qui lui même ne comprend plus rien depuis « Demain c’est loin »… C’était pas si loin que ça demain, finalement.
Tu étais hyper stressé avant de venir alors t’as fumé un peu de shit histoire de et ça ne t’aide pas à avoir l’air plus intelligent, t’en as gros sur la patate t’es bouillant, t’as un peu la nausée t’as peur tu transpires, c’est certainement ta première télé et peut être aussi la dernière mais attention car face à toi eux en ont plein la patate, c’est bien connu, de toutes façons à la télé il n’y a que des pédés et des camés, c’est pas moi qui le dis hein c’est le cliché, et il n’épargnera personne le coquin.
Tu as face à toi un grand écrivain à succès et un « jeune incroyable prodige, une future légende et accessoirement fils de… » du cinéma français. Donc toi le rappeur, que tu sois cultivé comme personne, que tu sois con comme un balais, que tu sois noir, blanc, gris, jaune, toi ce jeune qui fait de la musique urbaine pour les jeunes et bien tu es seul comme jamais et tu n’as rien à dire, et c’est là qu’est le problème car tu es invité pour dire des choses, pour dénoncer, pour disizlapester sur tout un tas de trucs dont tu te tapes royalement. Toi tu voulais juste te taper des meufs.
Tu n’as pas le droit de n’avoir rien à dire sur un plateau comme dans ta musique (là je te suis pas : pourquoi venir sur les plateaux si le mec a rien à dire ?) , tu dois chialer et te plaindre pour que la France t’aime, tu te dois de revendiquer gros putain, c’est ça le rap t’as oublié ? C’est un mouvement contestataire qui danse sur la tête et gribouille sur les murs, un truc fort qui se bat, t’as pas le droit de te taire, t’as pas le droit d’oublier Sydney et HIP HOP sur TF1 en 1984.
1984 ? Bordel j’ai du mal à croire que nous sommes en 2015.
– Sidi Sid