Griselda Blanco : la « veuve noire » oubliée du rap

mardi 3 novembre 2015, par Stéphane Rousset.

Quand Kevin Gates se voit en Luca Brasi ou John Gotti, Future et beaucoup, beaucoup d’autres rappeurs se rêvent en Tony Montana. Au moins autant s’imaginent en Tony Sosa, quand ce n’est pas en Pablo Escobar. Toujours les mêmes références. Comment expliquer que le nom de Griselda Blanco, cette trafiquante multimillionnaire colombienne aux dizaines de surnoms équivoques, ne soit pas davantage cité à l’heure où les rappeurs tournent en rond ?

Stringer Bell dans The Wire, Walter White dans Breaking Bad, George Yung dans Blow ou Frank Lucas dans American Gangster, la culture populaire célèbre à l’envie la figure du narcotrafiquant, qu’il soit fictif ou réel. Le buzz actuel autour de la série Narcos ne fait que confirmer la fascination qu’exercent les dealers en tout genre sur les masses. Loin de faire exception à la règle, les rappeurs se sont même fait une spécialité de porter aux nues les drug lords, jusqu’à reprendre leurs noms à leur compte. Biggie aimait se faire appeler le Black Frank White, quand Scarface choisit carrément son nom de scène en hommage à Tony Montana, le plus célèbre de tous.

Si ce dernier est sûrement le plus souvent cité, il est un trafiquant bien réel auquel le rap a réservé une place de choix : Pablo Escobar. Nas, Gucci Mane, Young Jeezy et même Soulja Boy ont tous pondu un morceau à la gloire du Colombien le plus célèbre de l’histoire récente. On pourrait multiplier les exemples de la récurrence du chef du cartel de Medellin au détour de rimes. En France, Escobar Macson a même repris son blaze.

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Moins célèbre, c’est pourtant une femme qui a ouvert la voie au jeune Pablo. Alors qu’il n’en était encore qu’à voler des voitures à Medellin, Griselda Blanco, originaire du même coin, bâtissait un empire de la drogue à New York. La légende veut que celle qui sera surnommée « la madrina » ait commencé sa carrière à 11 ans, en kidnappant un enfant d’un quartier aisé de la ville colombienne pour demander une rançon. Les parents du jeune garçon n’ayant pas payé, Griselda l’aurait abattu d’une balle dans la tête. Plus tard, c’est aux côtés de Carlos Trujillo, son premier mari, qu’elle apprend les bases du narcotrafic. Après leur divorce à la fin des années 60, elle le fera assassiner, comme 3 autres de ses futurs compagnons, ce qui lui vaudra d’hériter du surnom de « Veuve Noire ». Au début des 70’s, elle importe son trafic de cocaïne dans le Queens à New York, avec son deuxième mari, Alberto Bravo. Les dollars s’accumulent et les ennuis aussi : les voilà inculpés par les fédéraux. S’ils réussissent à regagner la Colombie avant leur procès, c’est sur le parking d’une boîte de nuit qu’elle abat Alberto et tous ses hommes de main. Elle, s’en tire avec une seule blessure par balle dont elle se remettra vite.

80 millions de dollars par mois

Son ambition la ramène au pays de l’oncle Sam à la fin de la décennie, direction Miami. C’est là, en Floride, qu’elle deviendra la « Godmother of cocaine », avec des procédés si violents et expéditifs que sous son règne, la ville est surnommée « capitale du crime » des Etats-Unis. Sa méthode préférée pour se débarrasser de ses ennemis est le drive-by à moto. Les corps s’amassent dans les morgues de la ville, et les billets dans les poches de Griselda. A son apogée, on estime que son chiffre d’affaire atteignait les 80 millions de dollars par mois. Un tel succès et une telle violence lui valent de nombreux ennemis, et comme Pacino dans Scarface, elle passe l’année 84 (date de sortie du film) cloîtrée dans sa villa, survivant à 6 tentatives de meurtre. Miami devenue trop risquée, Griselda s’envole pour la Californie où elle est finalement arrêtée. Elle passera 20 ans en prison, d’où elle tentera d’organiser l’enlèvement de JFK Jr en échange de sa libération, mais son plan sera découvert avant qu’elle ne puisse le mettre en œuvre.

A sa sortie de taule en 2004, elle retourne en Colombie et met fin à ses activités criminelles. Sa retraite est paisible, jusqu’en 2012, quand elle est abattue devant une boucherie alors qu’elle faisait ses courses. Ironie du sort, ce sont deux hommes à moto qui lui enlèvent la vie à l’âge de 69 ans. Aujourd’hui, elle repose dans le même cimetière que Pablo Escobar.

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Si Pablo Escobar est passé à la postérité, comment expliquer qu’une figure aussi emblématique du trafic de cocaïne demeure dans un relatif anonymat dans le rap jeu ? Parce qu’elle est une femme et que la plupart des rappeurs se réclamant des drug lords sont des hommes ? On peut le penser, mais ce n’est que partiellement vrai. Chief Keef lui a consacré un morceau, et Gucci Mane la cite dans quatre titres (dans l’intro de World War 3, sur les tracks « Fugitive » et « Jugg House« , et dans le bien nommé « Pablo« ). Soit deux des rappeurs les plus testostéronés qui soient. On peut également citer The Game et Meek Mill qui font référence à Griselda, respectivement sur « See No Evil » avec un featuring de Kendrick Lamar, et sur « Believe It » avec Rick Ross. Mieux : le label de WestsideGunn et Conway, intitulé Griselda Records, à l’origine de l’EP Griselda Ghost (merci Balibz), pousse l’hommage encore plus loin. En France, Dosseh y fait allusion au détour d’une rime dans le morceau « Promesse » — « J’ai promis à mes zincs du bled de venir les voir bientôt / J’me suis promis de trouver ma belle, ma Griselda Blanco » — et Sidi Sid la mentionne dans l’outro de Peplum.

« the only bitch with the keys in the city »

Il n’en reste pas moins qu’elle est beaucoup moins citée que ses compères masculins. Faut-il se tourner vers les rappeuses pour trouver des références à celle qui est allée jusqu’à nommer l’un de ses fils Michael Corleone, en hommage au parrain joué par Al Pacino dans le film éponyme ? Étrangement, non. Moins sujettes à s’identifier aux gangsters, quand elles le font, ces demoiselles préfèrent elles aussi les figures masculines, également plus connues du grand public. Sauf Lil Kim, qui s’est approprié le personnage pour clasher Nicki Minaj dans un freestyle, ou pour se proclamer « the only bitch with the keys in the city« … Il faut creuser dans les limbes d’Internet pour trouver une rappeuse rendre un véritable hommage à la « Viuda Negra » : Muffmommy, aka Muffy, lui accorde un morceau éponyme.

Reste Hollywood, qui ne s’est toujours pas emparé du phénomène, mais qui ne devrait pas tarder à nous pondre un biopic, tant la vie romanesque de la « godmother of cocaine » réunit tous les ingrédients du scénario parfait. D’ici là, on peut toujours se rabattre sur le documentaire de 2009 Cocaine cow boys 2 : hustling with the godmother, qui retrace le parcours de cette Scarface au féminin.

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