Swift Guad : « Dans mon taf, je suis plus utile que dans mon rap »

Deux semaines après la sortie du projet Vice et Vertu 2, Swift Guad nous reçoit au studio Buzz Lab, où il se prépare à tourner le clip de « Fais bédave » issu de ce nouvel opus. Le moment idéal pour faire le point avec le rappeur de Montreuil.

SURL : Tu n’as pas eu une trajectoire artistique linéaire. Est-ce que tu peux nous parler des retours que t’as eu sur Vice et vertu 2 ? 

Swift Guad : J’ai eu des retours qui ont confirmé, comme tu disais, un virage artistique. Le premier Vice et vertu, ça a peut-être un peu dérangé mon ancien public, La Chute des corps, ça les a peut-être un peu rassuré, et Vice et vertu 2 , c’est la confirmation que je continuerai à faire mes conneries. Et mine de rien, il a été bien reçu, y compris même par les pseudo-puristes qui me jetaient des pierres y a un an ou deux en arrière ou qui changent vite de sens avec le vent, un peu « girouetteux ». Et ce qu’est aussi vrai, c’est ce que ça m’a permis aussi d’avoir un public plus varié. Donc t’as encore des anciens, disciples du boom bap à l’ancienne, qui ont pu me découvrir avec des artistes comme Saké, Scylla, Furax, avec Hugo Boss, tout ça, on nous mettait souvent dans le même panier. Et maintenant, je me suis ouvert, et j’ai un public plus varié. Et moi ça me fait plaisir, quand je fais des concerts, de voir de tout, quoi. De tous les âges, de tous les sexes. (rires)

On a  l’impression que sur ce projet, par rapport à La Chute des corps , il y a peut-être plus de compromis entre des styles différents, avec un retour à un son plus boom bap sur certains sons…

Le fait est que j’avais du mal à mélanger les deux sur un projet, et avec ce projet-là, j’ai réussi à trouver le bon juste milieu entre les beats boom bap et les beats un peu plus trap, comme on pourrait dire. C’est le premier où j’arrive à bien mêler les deux, mais je pense qu’il reste quand même en général sur une consonance un peu trap, faut dire ce qui est.

Dans une interview, tu disais que t’avais jamais fait le grand saut de savoir si tu pouvais réellement vivre de la musique, et que t’as toujours gardé sous le coude un boulot d’animateur, à la mairie de Montreuil…

C’est ça, encore aujourd’hui.

C’est un choix que t’as fait ?

Tu sais, je suis animateur depuis 99, depuis que j’ai 18 ans. Donc j’ai jamais cherché à arrêter, et en même temps, je pense que bosser avec les gamins, ça m’apporte un équilibre. Surtout quand t’es rappeur, avec tout l’ego que ça engendre. (rires) Maintenant je bosse à mi-temps, donc j’arrive à lier les deux. Chaque année, je dis « je vais arrêter, je vais arrêter, j’ai plus le temps, c’est compliqué », et au final je continue. Voilà, j’arrive à lier le taf avec les gamins et la musique, et pour l’instant, ça se passe bien.

Donc si t’arrêtais…

Si j’arrêtais, ce serait que j’arriverais à vivre de la musique, mais j’aime bien garder mon équilibre. Le rap, ça m’engrène pas à me lever le matin. (rires) Le rap c’est un petit plaisir, mais c’est pas la motivation qui te sort du lit.

Mais ça t’empêche de te coucher, peut-être, parfois?

Voilà, exactement, c’est plutôt ça.

Tu ne continues pas forcément pour des raisons financières?

Non, je continue pas pour des raisons financières, je continue parce que je crois que j’aime mon métier, tout simplement. Je ne travaille pas dans une usine avec des boîtes de conserve, j’ai la chance de travailler avec des enfants, et j’ai la chance d’être utile. Et des fois je trouve que dans mon taf, je suis beaucoup plus utile que dans mon rap.

Le rap, ce n’est pas un métier ?

Tu sais, y a des gens, pour eux le rap c’est important, ça guide leur vie, moi je suis pas dans ces considérations-là. Si je peux apprendre à un gamin à manger correctement et à pisser droit, c’est déjà cool, c’est déjà une avancée. (rires)

Et est-ce que tu dirais que ça te permet de garder plus de liberté artistique, ou c’est pas lié ? Le fait d’avoir un autre boulot, au cas où.

Si, parce que vis-à-vis des gamins, maintenant, je peux plus tout dire, je peux plus tout faire. J’ai ma liberté, mais j’ai surtout plus de responsabilité, tu vois. Je me sens plus responsable par le fait qu’on est aussi écouté… Mais les petits ils savent que je rappe, ils connaissent mon son. Et c’est vrai qu’aujourd’hui en 2015, le rap est écouté par un public de plus en plus jeune. Et voir des petits de 4 ou 5 ans qui écoutent du rap aujourd’hui, c’est possible.

Est-ce qu’il y a des moments où t’as pensé à arrêter le rap, en tout cas au niveau où tu le fais ?

Non, tant que ça reste un plaisir… Tu sais, c’est un plaisir, une passion, t’arrêtes jamais. Si ça devient trop important, que tu te prends trop au sérieux, là ouais peut-être qu’un jour tu peux être soulé. Je pense que le jour où ça sera trop sérieux, le jour où ça deviendra un vrai travail, peut-être que ça me soulera et que j’arrêterai. Mais bon, pour l’instant ça reste du plaisir, donc je me suis jamais posé la question.

Tu ne te projettes pas là-dessus ?

Si j’arrête le rap, ce sera pour faire une autre musique, en tout cas je continuerai à faire de la musique, ça c’est comme le vélo, ça s’oublie jamais. Et puis en plus, pour tout te dire, dans les prochains projets, je tends plus à aller vers quelque chose qui est plus pop, qui est plus chanson française, pour de vrai, hein.

Dans La Chute des corps, il y a des morceaux qui ne sont plus vraiment du rap d’ailleurs.

Et ça se verra encore plus dans les prochain projets, mais faut prendre le temps que ça mûrisse.

Ça t’avait pas préoccupé, la réaction du public, quand t’as évolué musicalement ?

Si, au début, ça fait un peu bizarre, parce que tu sais, les mecs se mettent à te jeter des pierres, et tu te rends compte que t’as un public limite un peu extrémiste, un peu nazi même des fois, tu vois. Et tu te dis : « Putain, c’est ça le public du rap français, ah merde… »

T’as une rime dans laquelle tu parles de rappeurs qui se comportent comme des fachos (dans « Fleur de lys »), c’est sur ce thème-là ?

C’est totalement lié. C’est qu’au début on se dit qu’on fait de la musique pour tout le monde, avec un pouvoir un peu social, et au final tu te rends compte que c’est devenu un délire d’élitistes un peu conservateurs. Moi ça me concerne pas, j’ai envie de faire la musique pour moi et pour tout le monde, je suis pas enfermé dans un délire. Je n’aime pas avoir une étiquette boom bap, rap à l’ancienne, j’aime pas les étiquettes.

Est-ce que t’as des regrets sur certaines choses que t’as faites dans ta carrière ? Si tu remontais dans le temps et que tu pouvais faire certains choix différents ?

Aucun regret, non. Peut-être des choix différents de certaines personnes avec qui j’ai bossé, peut-être dans l’organisation, mais pas dans le son en soi, j’aurais toujours fait la même chose.

Donc pour toi, il n’y a pas forcément de moment où on se dit « j’arrête le rap », le moteur c’est vraiment le plaisir, tant qu’il est là, y pas de raison d’arrêter ?

Non. En tout cas, j’arrête pas d’écrire, de composer. Après, le rap, c’est limite juste un mot sur le papier. J’ai envie de dire qu’on fait de la musique et pas du rap, quoi. T’as des gens ils font du rap, d’autres de la musique, et eux ils en font toute leur vie de la musique. Ceux qui font que du rap, un jour ils passeront à autre chose, parce que pour eux c’est juste une activité comme ça, qui les excite un temps, et après ils passeront à autre chose. Les valeurs hip hop, ça me parlait quand j’étais jeune, y avait une espèce de contestation derrière ça, y avait une affirmation, et puis y avait aussi une identité. Tu te construisais dans le hip hop, maintenant, je suis déjà dedans, donc j’ai plus besoin de le revendiquer. Quand t’es dedans, c’est un peu bizarre à dire, mais tu te sens moins concerné.

C’était peut-être une forme d’utopie aussi.

Le hip-hop, c’était intéressant quand ça dérangeait, mais maintenant, dire « nique ta mère », ça dérange plus personne, ça les excite, au contraire ils aiment ça. Ces valeurs hip hop, elles existent peut-être toujours, mais elles sont plus valables en 2015. Celles que j’ai connues dans les années 90, y avait vraiment un esprit de contestation. Aujourd’hui le hip hop, ce n’est que merchandising, commerce, tu le vois bien, biatchs, grosses voitures, muscles et sapes de marque.

Tu regrettes qu’elle soit moins présente, cette contestation?

Non, moi j’ai rien contre l’évolution du rap, mais si aujourd’hui les valeurs du hip-hop, c’est bling bling, grosses caisses, machin, on peut pas appeler ça des valeurs, en fait. A l’époque, y avait le mot valeurs, principes, état d’esprit, c’était tout un truc, tu vivais hip-hop. Tu te levais, tu mettais tes grosses baskets Charles Barkley, ton gros ensemble Maurice Malone, tout était hip hop, ta fringue, ta manière de vivre. Aujourd’hui, je vis comme tout le monde, et je fais du rap, c’est tout.

Dans « Peines perdues », tu dis « je n’ai pas changé du tout, je nique la famille Le Pen », et dans « Martin Luther », tu dis « tristement, y a plus personne ici pour fuck le FN ».

Bah voilà, ça illustre tout ce que je dis depuis tout à l’heure, c’est que le hip-hop il a perdu totalement ses valeurs de base. Bah oui, dans les années 90, 2000, c’était un combat qu’on menait aussi. Et aujourd’hui ce combat, les gens l’ont complètement oublié.

Il y a eu des morceaux comme « 11’30 contre les lois racistes », des trucs comme ça, qu’on voit plus vraiment aujourd’hui, ou de manière plus bordélique, peut-être aussi.

Exactement. Mais nous, notre génération a connu les déviances du FN avec Jean-Marie, mais les jeunes d’aujourd’hui, ils voient Marine Le Pen plus policée, il faut aussi peut-être les éduquer à ce qui s’est passé avant, et aujourd’hui les rappeurs ils le font plus, ils s’en foutent complètement. Après je suis pas pro-messages politiques dans le rap, mais je trouve que ça se perd un petit peu.

Ton univers thématique est assez sombre globalement. Avec des choses plus légères, peut-être maintenant ?

J’ai un côté plus léger, je peux parler de cul, je peux parler de drogue, je peux parler de fête, des choses dont je parlais beaucoup moins avant

Quand on voit la première partie du documentaire fait par La Trempe, on sent que t’es très attaché à la ville de Montreuil. C’est important l’attachement au Montreuil, et ce que tu fais depuis quelques années avec le Narvalow City show ?

Je suis attaché à ma ville, maintenant ma ville elle change aussi. Donc je suis peut-être moins en accord avec ma ville aujourd’hui que ce que j’ai pu l’être avant. C’est pour ça que je peux faire des sons comme « Paris mon amour », et ça a fait bizarre à plein de gens que je fasse pas « Montreuil mon amour », mais en même temps, moi je suis un parigot. Faut dire ce qui est, on est des Montreuillois, on est des parigots, faut pas avoir honte de ce qu’on est, et puis voilà. Je suis attaché à ma ville, mais si je devais habiter à Bordeaux ou à Toulouse demain, t’inquiètes pas que je partirais, y a aucun problème.

 Et pourquoi ça te plaît moins Montreuil ?

C’est pas que ça me plaît moins, c’est que j’ai moins d’enracinement qu’avant. Mais la grosse attache, ça reste Montreuil, parce que Montreuil voilà, y a cette culture de narvalo, y a une culture différente, un langage différent, je suis attaché à la culture montreuilloise. Géographiquement, je suis pas attaché, je suis quelqu’un qui voyage beaucoup, mais la culture de Montreuil, la mentalité, c’est quelque chose qui me tient à cœur et que j’ai envie d’exporter. (rires)

Tu es soutenu là-dessus par la mairie ?

Un petit peu mais pas des masses. Ça nous empêche pas de continuer, mais faut que les gens sachent que c’est difficile chaque année, c’est pas Byzance. C’est beaucoup de préparation pour pas beaucoup de bénéfices, beaucoup de travail, très peu de plaisir. (rires) C’est une concession qu’on fait, c’est pas encore une contrainte, mais on le fait pour les Montreuillois, pour les gens qui viennent et pour les artistes.

Le Narvalow city show ne rapporte rien aux organisateurs qui le font. Ça permet juste à l’association « Narvalow club » de pouvoir en organiser un autre l’année d’après. Mais on n’est pas les gros festivals, les grosses usines qu’on connaît, loin de là. Mais on est en voie de développement. Chaque année ça devient plus gros, on a entre 500 et 1000 personnes en plus. Cette année on était 3000, ce qui pour du rap indé est quand même énorme. Pour nous, en tant que rappeurs, ça nous fait vraiment plaisir de rapper devant 3000 personnes, quoi.

Puisqu’on parle de chiffres, sur les ventes, sur un nouveau projet comme ça, qu’est-ce que tu espères ?

Je fais partie des gens qui déclarent pas leurs ventes, c’est peut-être une pudeur par rapport à ça, mais j’aime pas trop parler des ventes, voilà. Après ça vend, bien. En indé, je fais partie des gens qui vendent bien. J’aime pas les gens qui donnent des chiffres, alors je le ferai pas moi-même. Surtout qu’en plus les chiffres qui sont déclarés sont souvent faux. (rires) Si je te disais mes ventes, en fait tu comprendrais que les autres sont des menteurs. (rires) Donc vaut mieux pas. En vrai, les indés vendent. Je pense que les indés qui vendent beaucoup, ils se comptent sur les doigts de deux mains, peut-être, et je pense que j’en fais partie : mais ce qu’il faut dire aussi au niveau des ventes, c’est que le numérique se développe grave. Et c’est vrai qu’avant, on comptabilisait essentiellement les ventes physiques. Alors que maintenant les artistes ne vivent pas que de ces ventes, ils vivent aussi du numérique, ils vivent de leur chaîne YouTube, de plus en plus.

Il y a les concerts, je fais quand même partie des mcs qui font beaucoup de concerts. Maintenant, si les mcs bougent leur cul, y a du taf. Ce que je peux dire, c’est que les ventes de disques physiques, en gros, ça me permet de rembourser mon investissement de base en studio, en mastering, en trucs comme ça. Tout le bonus, c’est le reste, le numérique, YouTube, les lives, c’est sur ça que les artistes vivent.

Entretien réalisé par Etienne Anthem.