Cette fois-ci, la violence n’était pas que dans les textes. La cinquantaine de douilles retrouvées dans le studio est là pour en témoigner. Une violence que l’on a parfois tendance à ne plus voir, comme si elle faisait partie du folklore de la scène trap. Dire que la réalité rejoint la fiction serait se voiler la face : en matière de rap, la fiction a toujours cotoyé de (trop) près cette réalité. Les menaces, histoires de gangs et d’agression qu’on entend à longueur de morceaux, de trop nombreux rappeurs les ont vécu avant de les décrire. C’est bien cette violence qui aura eu la vie de Bankroll Fresh, rappeur dont l’oeuvre se conjuguera désormais au passé. Le piège s’est refermé sur lui.
Au micro, Bankroll, né Trentavious White, était un technicien. Le genre de mec plus occupé à construire le jeu qu’à transformer des occasions en action décisives. Ses flows rapides, saccadés et techniques en ont fait une étoile montante de la scène sudiste. Ses refrains étaient faits de répétitions hypnotisantes. C’est cette technicité et cette authenticité qui l’auront tenu éloigné des scènes mainstream, le rangeant au côté des artistes dans lesquels il faut se plonger pour saisir l’étendue de leur talent. Un rap de proximité, fait par un mec d’Atlanta pour les mecs d’Atlanta, comme le décrit l’hommage de PureBakingSoda. C’est ce jeune homme qu’on découvrait dans un épisode de la série Noisey Atlanta, ce même jeune homme que 2 Chainz intégrera par la suite dans son équipe rapprochée. Parce qu’il faut avoir suivi de près la musique d’ATL pour s’être frotté aux livraisons enflammées du rappeur, on a sélectionné cinq morceaux qui vous auraient peut être échappé. Cinq pépites sonores, en forme de testament musical, pour se remémorer la vie d’un Hot Boy comme on en fait peu.
« Drop ESPN they say that young nigga spazzin’ « . C’est vrai que c’est avec « ESPN » que Bankroll a mis tout le monde d’accord. Sorti sur sa première sélection Life Of A Hot Boy, ce son révèle aux yeux d’Atlanta un garçon pétri de talent avec un nouveau flow. Dérangeant à la première écoute, celui qui fait désormais partie de cette liste longue comme un jour sans fin de rappeurs prodigieux, se cale parfaitement sur les trompettes indémodables de D Rich. On est prêt à parier qu’il a même inspiré Juicy J sur certains de ses sons comme « Throw Dem Racks« . Bref ce son raconte l’histoire d’un mec parti de rien qui rêvait de flamber. La suite on la connaît : la Rue donne et reprend aussitôt.
Le passage inévitable de la discographie de Bankroll Fresh. Un des ses plus gros tubes, sur lequel il rend un hommage vibrant aux Hot Boys de Cash Money. Citant ses héros musicaux, Lil Wayne, Juvenile et Birdman en tête, Bankroll Fresh livre des flows impeccables sur une prod quasiment toute en basses, comme il les aime. C’est le morceau choc qui lui ouvrira les portes de tous les studios du côté Sud des USA. Un tel succès local que trois des Hot Boys d’origine, Weezy, Juvenile et Turk, lui feront l’honneur de poser sur un remix officiel. Pas de quoi effrayer un rappeur qui apparaissait déjà avec Future et Metro Boomin en 2013. Vrais reconnaissent vrais.
Argent vite gagné, grosse cylindrée, entourage aussi peu fréquentable qu’un cul de sac en sortie de boîte : autant de raisons qui ont pu causer la perte de Fresh. Mais revenons aux origines du mec qui portait le bandana au cou. Un son bien lourd, dur de se lasser de la voix cassée du jeune rappeur d’ATL Zone 3. Plus on remonte dans le temps, plus on regrette de ne pas avoir porté un œil plus attentif sur lui. Qui ne s’est pas dit à un moment « ce mec ça va être le prochain, mais j’écouterai son premier album, trop la flemme des mixtapes de 20 titres » ? Si c’était à refaire, tu ne louperais pas un seul de ses leaks. Tu paries ? Ah au fait, on trouve ici Strap de Travis Porter, avec qui il avait un projet commun Street R Us 2 sur le chemin des bacs. Mais bon, on laisse le marketing mortuaire aux ricains.
Avant de nous quitter, le fer de lance du label Street Money Worldwide a pu décrocher son ticket avec la 808 Mafia. Et c’est nous qui décrochons le gros lot avec ce son. Face à lui même dans le clip, Bankroll nous fait encore plus regretter un talent que trop peu exploité. Un festival de flow qui rend le rappeur et son style, on l’espère, intemporel. Le refrain quant à lui nous offre cinquante nuances de « Come Wit It ». A défaut d’avoir plus à se mettre dans les oreilles, on se souviendra donc de ces bonnes notes qu’il nous offrait. Le son est issu de la mixtape Life Of A Hot Boy et sa bagatelle de 27 titres (!), qui fait figure de carte de visite copieuse pour l’artiste qui s’apprêtait alors à croquer la scène underground.
Un beat sombre, un clip minimaliste, un flow sautillant et une voix éraillée : du Bankroll Fresh tout craché. Variant les intonations et étant parfois à la limite de parler, Bankroll ne fera pas de cadeau à la concurrence. « What you want a feature yeah I’m charging’ niggas ». Puisqu’un peu d’egotrip ne fait jamais de mal au moral, le rappeur s’y donne à fond. On apprend ici que Snoop Dogg, Drake, et même Marilyn Manson s’ambianceraient sur ses sons : si tu n’es pas conquis par sa livraison, c’est que le problème vient de toi. De son côté, ce morceau issu de Life Of A Hot Boy 2 fait le taf jusqu’au bout.