Il suffit de penser « Rae Sremmurd » pour que les satanés ritournelles de « No Type », « No Flex Zone » ou encore « This Could Be Us » tournent en boucle dans notre boîte crânienne. Les deux frères nous avaient habitué à des bangers qui tapent fraîchement sur le système comme s’ils avaient fait irruption chez toi la veille pour transformer ta soirée popcorn en Project X, avec deux X en plus. Quand tu as appris que leur nouvel opus Sremmlife 2 était arrivé, tu t’es dit « rebelote » ? La suite va te surprendre.
Quand le premier album de Swae Lee et Slim Jxmmi, SremmLife, a débuté en fanfare l’année 2015, certains s’étaient dit que ce duo à l’allure d’adolescents, au point de se méprendre sur leur âge réel (« nouveaux Kriss Kross » pouvait-on lire par endroits), allait être rangé en tant que simple épiphénomène trap. En partant de cet a priori de détracteur, on pouvait émettre l’hypothèse que SremmLife 2 allait être une copie-carbone du premier en grossissant le trait, comme c’est bien souvent le cas dans ce genre d’histoire. Spoiler : sachez que le fourvoiement est total. Là tout de suite, ça rigole moins, et les Rae Sremmurd ont réussi à montrer un beau pied de nez à ceux qui les prenaient pour deux party-starters superficiels.
Cela dit, à l’écoute de leur pelletée de singles (« By Chance » ou « Look Alive »), les Rae Sremmurd ne sont pas devenus sages pour autant. Ni plus gogols, au contraire. Le jeu a franchi un checkpoint. C’est un peu comme passer de soirées lycéennes chez un(e) ami(e) dont les parents sont partis en week-end en laissant à disposition quelques bouteilles de spiritueux, à des baignades dévergondées dans des rivières d’alcool bulleux hors de prix. En gros. C’est cette image d’une impétueuse jeunesse avide de soirées à la tenue incorrecte exigée (nudité souhaitée même) qu’offre SremmLife 2. À deux poils de pubis d’être orgiaque et ambiance bre-som au possible, deux pistes sur trois sont des invitations potentielles à tous les excès d’opioïdes, d’éthanol et Delatex pour une durée déterminée d’une nuit, forfait renouvelable à volonté. En témoigne « Start A Party », gros banger d’ouverture qui montre qu’une fête digne de ce nom ne s’organise pas sans un carton d’invitation à l’attention de Swae Lee et Slim Jxmmi. La preuve sur scène.
À l’image de « Black Beatles » avec Gucci Mane – hé oui, ça se compare aux Beatles, deal with it – les beats de Mike Will sont globalement plus spleenesques qu’attendu. Le producteur star, favori du grand public, confirme ici qu’il joue dans une compétition hors catégorie. Producteur exécutif de l’album au côté des deux vingtenaires, il dévoile une nouvelle fois sa capacité à assurer des tubes immédiats sont sombrer dans le grotesque. Rae Sremmurd est son laboratoire, et il fait tout pour que l’expérience soit concluante. Les prods de SremmLife 2 ne sont pas juste des instrus aléatoires sur lesquelles les deux lascars ont posé : ce sont des prods taillées sur mesure. De ce fait se dégage encore une fois une impression de propreté impeccable des ambiances. De l’instru paranoïaque de « Real Chill » avec Kodak Black, et ses sirènes à la limite de l’enlèvement par des extraterrestres, au très posé et intriguant « Do Yoga », Mike Will s’est entouré d’une équipe à la hauteur de la tâche pour mettre le jeune duo à l’aise.
Et celui-ci rend honneur au travail de son producteur exécutif. Les refrains sont moins entêtants : ils perdent en percussion ce qu’ils gagnent en mélodie, et se révèlent tout aussi franchement mémorables. Ça tombe bien, ça évite l’effet gueule de bois. Les deux garçons rappent comme s’ils n’avaient pas tout à fait récupéré de la nuit dernière, malgré un pack de Red Bull dans le gosier. Il arrive tout de même des sursauts comme sur l’uptempo « Shake It Fast », un dérivé de bounce music qui transforme ton salon en stripclub. Le vétéran Juicy J joue à merveille son rôle de consultant en la matière : il nous convaincrait presque d’investir dans une dizaine de barres de poledance. Le fêtard professionnel Lil Jon n’a rien perdu de sa folie depuis ses années Crunk sur « Roof On Fire », où le toucher de DJ Mustard se reconnaît entre mille (copieur-copié, arroseur arrosé). On peut voir à travers la musique piégeuse des Rae Sremmurd, garnie d’ad-libs et d’inserts d’autotune, une réminiscence du 2Live Crew.
Les surprises ne s’arrêtent pas là. En voyant le monde à l’envers, nos deux crevettes seraient pris en flagrant délit de bienséance et sérieux sur le très prenant « Came A Long Way« . Les deux rappeurs font preuve de nouvelles aptitudes sur cet album et livrent un beau témoignage en faveur de leur potentiel certain. Ils ont annoncé avoir préparé des albums solo, sans que cela signifie la dissolution du duo. On ne peut que se réjouir de cette alchimie. Même si, comme sur le premier volume, une moitié du duo se démarque plus que l’autre. Swae Lee a fait des progrès à tout les niveaux, y compris en chant. La preuve sur le très bon « Now That I Know » au refrain jeremihesque, ou sur « Take It or Leave It« , sur lesquels il tient la dragée haute aux chanteurs R&B à la mode. Il est ainsi responsable de l’impressionnante fournée de refrains ultra-qualitatifs de cet opus, dont la musicalité est un vrai atout pour le groupe, à l’image de celui de « Look Alive ». Sa tessiture garantit même la couverture vers l’extrême des aigus sur le raplapla « Swang« (en bonus track). En parlant de bonus, il est conseillé d’écouter la version Deluxe de SremmLife 2, ou plutôt de sa version « longue », terme plus approprié. « Over Here » et « Just Like Us » valent le détour et n’altèrent en rien la cohésion de l’album.
Swae Lee et Slim Jxmmi sont des petits malins loin d’être malicieux. Et ils ont bien cloué le bec à ceux qui ont commis l’erreur de ne pas les avoir pris au sérieux. SremmLife 2, c’est un rap festif mais mature sur lequel l’on peut se lâcher sans honte, et de manière suffisamment sophistiquée pour ne pas le regretter le lendemain.