« Qui c’est ce gars ? D’où il sort avec sa tronche de geek ? » C’est la première réflexion que l’on a en dévisageant de haut en bas puis de bas en haut Jonwayne. Non seulement il n’est pas déguisé en vieux cowboy, mais il n’a pas du tout la tête de l’emploi, parce que son métier, c’est : ‘artiste hip-hop indépendant’. Et pourtant, sachez que ce monsieur-tout-le-monde-là vient de sortir probablement l’album rap le plus intéressant de ce premier trimestre. Qui l’eut cru ?
A première vue, difficile à croire que ce type nommé Jonwayne, comme feu la célèbre vedette de cinéma ait déjà sorti un premier album de rap, très basiquement intitulé Rap Album One, chez Stones Throw. Ah ! Vraiment ? Il est vrai que le joufflu bonhomme s’éloigne des stéréotypes du rappeur west coast ou du cowboy hollywoodien pour se rapprocher d’avantage du vendeur d’informatique dégommant des Snickers en scred quand les clients disparaissent derrière les rayons. Sauf qu’en 2017, on le sait désormais, le rap est plus que jamais pluriel comme le dirait ton cousin programmateur de SMAC. Pour autant, si physiquement Jonwayne s’éloigne des sentiers battus du rap, c’est pour mieux y sauter à pieds joints au niveau de son vécu. Marqué à blanc par les aléas de sa carrière, le californien semble avoir traversé une descente aux enfers dantesque qu’il met en scène de façon brillante dans cette suite logiquement intitulée Rap Album Two. Au point que le terme de « retour » sonne plus que mérité à l’écoute de cet album aux airs de rédemption salvatrice pour son auteur.
Jon Wayne, de son vrai nom (l’acteur hollywoodien s’étant inspiré de son ancêtre Anthony Wayne, révolutionnaire de son état, pour composer son pseudonyme), revient de loin. Alcoolisme chronique, névroses, dépendance à l’autre, autant de troubles comportementaux ayant causé son éviction du label Stones Throw et autres problèmes relationnels avec son entourage. Des problèmes qu’il a choisi d’aborder avec franchise et honnêteté, en se servant de toutes les turpitudes de la vie d’artiste comme point de départ cathartique. Au détour d’une confession en forme d’une lettre poignante, écrite après une période de dépression, on comprend comment la souffrance a servi de tremplin à la création de cet album. Et celui ci, comme le précédent écrit après la mort de ses grands-parents en 48h d’intervalle, questionne une problématique existentielle où la cause de ses névroses est aussi la seule réponse à leur apporter : la musique, le rap en l’occurence. Ou comment un type tout à fait ordinaire endosse une étiquette de rappeur autodidacte et atypique qui fait dans l’autodérision et dans l’auto-psychanalyse.
Sur Rap Album Two, on peut lire les pensées du bonhomme comme dans un livre ouvert. Le premier extrait « Out of Sight » raconte justement son combat contre la dépression et l’alcool, alors qu’il s’enfonçait dans les tréfonds de bouteilles, au point qu’il en a eu la sensation de mourir, impression glaçante qu’il décrit aussi sur « Blue Green ». Sans parler de sa prise en charge médicale sur « Human Condition ». Rap Album Two raconte en gros, en long et en extra-large ce qu’il a enduré. « Ce n’est pas du rap lyrical, mais du rap factuel » a-t-il déclaré sur Twitter, et cet autre tweet où il explique que « cet album traite des aspects psychologiques des attentes d’un musicien moderne ». Un titre qui fait écho à ce propose, « Afraid of Us » qui évoque l’importance d’avoir un cercle de proches autour de soi, que ce soit la famille ou des amis, car comme il le dit si bien, « look at these peoples that been counting on me more than I’m counting on myself ».
Cet album ‘deux’ ne serait pas aussi attachant sans de bons instrumentaux, à l’image de son auteur : atypiques. Ceux-ci paraissent moins ‘home-made’ que sur Rap Album One qui pêchait par son côté bricolage du dimanche, astucieux et fantasque mais limité. Jonwayne s’est professionnalisé, et se révèle pleinement, comme avec ce très beau sample de violon sur « Human Condition », à la fois extrêmement chaleureux et mélancolique. Comme un soleil froid d’hiver, les sonorités glitchées apparaissent par touches ici et là… Attention, ça ne veut pas dire que certains sons sont devenus plus accessibles, on pense à l’électro torturée de « Hills », pratiquement un instrumental. Le jazzy « These Words Are Everything » produit par Debiase, conclut en ces mots un album ‘audio-biographique’. Les mots ont leur importance et la manière dont ils sortent de sa bouche coulent de source.
Simplement : Jonwayne est fort. Parce qu’il a plus de choses à prouver que ses confrères, il est très exigeant avec lui-même, ce qui est d’autant plus difficile pour une personne qui se bat sans cesse contre elle-même pour garder confiance en soi. Dans le très ironique « The Single », on l’entend en pleine session en train de recommencer trois fois son couplet parce que pas satisfait, jusqu’à abandonner et nous laisser dans la frustration. Autre concept, celui de « TED Talk », reprenant à son compte les fameuses conférences sous forme d’un egotrip turbulent ouvrant le disque. Quand on sait qu’en réalité Jonwayne a fait la promotion de son album dans des salles de cinéma, on se dit qu’il aime mettre en pratique ses idées.
Au bout du compte, l’écoute de ce disque nous laisse comme ce gars dans l’interlude « Live From The Fuck You » qui découvre, éberlué, à quoi ressemble le rappeur Jonwayne et l’étendue de ses skills. En jouant sur la dualité floue entretenue entre la cause de ses maux et leur remède, Jonwayne réussit ce que peu d’artistes arrivent encore à faire a l’heure actuelle : transformer le nombrilisme en une danse du ventre universelle et hypnotique dans laquelle chacun peut se retrouver. Le rappeur le plus ‘normal’ du game est donc, paradoxalement, une parfaite anomalie qui donne avec Rap Album Two une vraie leçon de vie et d’espoir. Welcome back, Mr Wayne.