Le Bon Nob, je crois que j’aurais pu le croiser sans le remarquer. D’ailleurs je dois bien l’avouer, j’avais croisé son rap sans trop le remarquer, invité sur un morceau de Rezinsky, « W.A.S.P. », aux côtés de ELI MC et de Pand’or. Le Bon Nob n’est pas du genre à catalyser l’attention par son flow ou par la punchline la plus tonitruante. J’avais apprécié une prestation techniquement correcte, des lyrics au diapason, mais rien qui ne m’avait emporté plus que ça. Aussi, en lançant son album P’tit Con, je n’avais pas d’a priori. J’étais ni pour ni contre, en gros. Dans « L’Ego », première piste du disque, il prévient pourtant : « Tu commences à comprendre mon style, c’est du feu qui brûle doucement, pendant que tu cailles. »
Arrivé à la troisième piste, c’est un « P’tit Con » puant de sincérité qui rafle la mise : le Bon Nob a du fond, et il donne envie de prendre le temps de l’écouter. Ce track éponyme envoie un texte du genre infalsifiable, dont l’écoute peut émouvoir, en contrebande, eaaasy. Du genre plein de pudeur, de pleins et de déliés, à tel point qu’on peut tomber dedans sans y prendre garde. Il y a de la poésie qui fait tripper et réveille les tripes, animée par une flamme. Bref, heureusement, ça sonne plus Souchon que Delerm. Disons que ça ne se regarde pas trop le nombril, tout en transpirant un vague à l’âme bien de chez nous. On ne sait pas si Le Bon Nob a le temps pour les regrets, mais il a le temps de dérouler une sincérité touchante, qui se fout à poil, entre examen de conscience et aspiration à s’élever.
« C’est l’oeuvre d’une vie entière, de transformer un timide en fier« , rappe t-il avec élégance sur un son aérien produit par DJ Elite (qui a aussi assuré le mix de ce premier album enregistré au Dojo de la 75ème session). Le emcee a le souci que « le petit con et l’adulte puissent être de connivence« . Le défi d’une vie pour chacun. Bah oui, ton âme d’enfant, c’est pas rien, quand même . Comme en quête de retour aux sensations de base, il rappe « je mets l’air dans les poumons et je m’élève« , et si tu te surprends à fredonner, laisse, tu t’es fait avoir. Il y parle de prise de recul, quasiment jusqu’au silence radio. Des propos de type qui a gambergé dans son coin, pour en ressortir plus léger. Au final, « P’tit Con » n’est ni triste ni vraiment joyeux, mais avec pudeur, il témoigne d’un itinéraire. Un rap qui parlera à toute personne regardant dans le rétro les passages à vide dont elle s’est sortie.
Sur « Ton Feu », Le Bon Nob aborde le thème de l’addiction dans ses profondeurs : carburant qui donne des étincelles mais peut finir par consumer son consommateur, qui navigue entre sécheresse et illusion, sans cesse recommencée. « Chez toi y avait du feu, fais ce qu’il faut pour le raviver, quand on change y a toujours des choses à virer. » L’image qui s’imprime est celle d’un être en mutation, aux prises avec une obsession. Le Bon Nob y est percutant, sur un beat aux sonorités froides concocté par Clem Beat’z, rythmé par un « elle est où ta flamme ? » dépitché en guise de refrain entêtant. De mémoire, on a rarement entendu rapper sur nos pauvres joints avec autant de subtilité et de justesse. On n’est ni dans la célébration festive d’un « Pass Pass Le Oinj » d’NTM, ni dans la condamnation en bloc aux accents tragiques qu’il y avait dans « Un Nuage De Fumée » d’Idéal J. Juste du réel et sa complexité.
Si l’on songe qu’avec une des politiques les plus répressives en la matière, nous sommes les champions d’Europe de la consommation de cannabis, on se dit qu’un tel morceau pourrait remplacer plus d’une campagne de prévention foireuse. Vous savez, celles qui, pleines de bons sentiments, ont souvent le tort de ressembler à ça.
La tension redescend un peu avec « Gênes Et Rations », qui gamberge sur la transmission. « Exhibo » relance son flow avec plus d’énergie, soutenu par un sample de saxophone. Dans « Des Mensonges », il retrouve le lyrisme qui lui permet de sortir ses meilleurs morceaux : on devine un travail important sur le sens et les sonorités qui a le mérite de ne pas se voir. « Ca sent la souffrance de l’âme qui s’ouvre à ton jugement / Si je mens, c’est que je suis arrivé à l’épuisement« , rappe Le Bon Nob sur des boucles de piano et de violon que n’auraient pas reniées la Fonky Family des beaux jours. On doit la production musicale à quatre beatmakers : ClemBeatz, Chess, Slone et Hamza. Le tout a été réarrangé par DJ Elite, qui a également réalisé trois sons.
Le Bon Nob ne brille pas par un flow particulièrement technique. Plutôt sobre, celui-ci emporte l’auditeur grâce aux sonorités des mots, mais aussi grâce à une interprétation cohérente avec le fond. Comme le disait Fuzati dans une interview, il y a des thèmes qu’on peut difficilement rapper avec le flow de Busta Rhymes. Certes, pas la peine d’aller jusque là pour trouver un phrasé plus punchy que le Bon Nob, mais ça dit bien les choses. Le lien entre le fond et la forme, c’est peut-être ce qu’il y a de plus mystérieux dans cette foutue musique, et qui fait que la sauce prend ou non. L’émo-rap du Bon Nob a une réelle identité, une sincère cohérence qui mérite que l’on se pose pour l’écouter. Pas du son bon pour s’ambiancer, mais plutôt pour chiller avec ses pensées. Une écriture ciselée, du multisyllabique de mec qui se fout à poil, tout en réussissant à éviter les confessions gênantes, du genre pathos en carton.
C’est son air de conteur qui donne au Bon Nob ses lettres de noblesse, une capacité à se poser en contemplatif. Là où d’autres s’emmêleraient les pinceaux, il sait se faire naturaliste, un peu comme rimait Fabe, dont on est pas surpris d’entendre une référence dans « Découpe Les », avec Neyg et Lazare en featuring. Avec « Chez Moi » qui clôt magnifiquement l’album, il est pleinement dans ce registre. Il y rappe notamment ces rimes qui restent en tête : « La rue, chacun la sent à sa façon, le regard de l’architecte n’est pas celui du maçon. »
Une manière de rappeler que chaque point de vue est situé. Et peut-être aussi de suggérer qu’il y a dix mille manières possibles de dialoguer avec son petit con intérieur.