Dans le Top 5 des meilleurs rapports talent/scores de vente actuel, quelque part entre Kendrick Lamar et J.Cole, il y a cet ex-challenger binoclard signé chez Def Jam que personne n’a vu venir en 2014 : Logic. Deux succès critiques et commerciaux plus tard, sa fanbase a élevé ce très bon élève au rang de valeur sûre. Avec Everybody, le jeune MC originaire du Maryland risque d’accroître encore davantage son public par un album très humaniste.
On le savait déjà en lisant ça et là sur les sites d’infos rap, que ce troisième album studio de Logic aka Bobby Tarantino allait traiter de sujets sensibles qui nous concernent tous sans exception (oui toi aussi là-bas dans ta cambrousse). À l’origine, l’album était supposé s’appeler « Africaryan« , un terme métissé qui a fait couler beaucoup d’encre et réagir beaucoup de monde. Pas autant que pour Nas lorsqu’il voulait sortir Nigger en 2008, mais suffisamment pour souligner l’aspect délicat du thème et de la façon de l’aborder, particulièrement en ces temps très troublés par la (re-)montée de la xénophobie, de l’intégrisme, des actes et de la parole homophobes, islamophobes, antisémites, etc… Une petite voix intérieure nous disait cependant de faire confiance à ce garçon bigrement intelligent. Et elle avait raison.
Nos inquiétudes s’effacent aussitôt l’introduction « Hallelujah » entamée, avec cette musique qui exalte crescendo via ce rythme de drums emprunté à l’electro, ces mots « open your mind » qui font écho, afin de lancer cette grande messe à coup de paroles unificatrices débitées par un flow toujours incroyable. La religion a une place importante dans la vision que porte le rappeur, jusqu’à aller imaginer une rencontre avec Dieu à la fin du morceau.
Voici la situation : un quidam devient un ectoplasme après un accident de la route et se retrouve face à une voix chaleureuse, celle de Neil deGrasse Tyson, le célèbre astro-physicien qu’on voit beaucoup à la télé (cf la série Cosmos sur Netflix). Et cette voix, c’est celle de Dieu, prenant en charge cette âme qui a quitté la Terre brutalement. Et c’est là que ça devient tragicomique. Ce dialogue pose la question du concept de l’album, et la réponse n’est pas écrite à l’envers comme sur la devinette d’un emballage Carambar. Elle se situe huit pistes plus tard sur « Waiting Room ». En dehors des considérations paternalistes et bibliques – que l’on retrouve sur la pochette dans une version SF -, les révélations faites par « Dieu » dans ce dialogue de plus de quatre minutes sont renversantes (il est question d’une théorie assez dingue de la conception de l’âme humaine mais je n’en dirai pas plus car no spoiler) et vont permettre de comprendre le point central de Everybody : l’humanisme, le vivre-ensemble.
Union, égalité raciale, égalité des sexes, entre les personnes de différentes confessions ou athées, entre personnes d’orientations sexuelles différentes, voilà tout ce qu’embrasse Logic le long de l’album. Sur le morceau-titre « Everybody », il aborde par exemple le « white privilege » tout comme la « honte d’être noir ». « Take It Back » retrace l’expérience vécue par le rappeur biracial avec un second couplet autobiographique volontairement récité sur le ton de la narration, ce qui tranche avec sa célérité habituelle. On ne pourra pas forcément tous être d’accord avec ses idées (le courant « All Lives Matter ») et le résultat de sa réflexion. Libre à chacun d’avoir son avis. Logic, lui, n’a pas peur de se tromper.
Son niveau de rhétorique et sa démarche ne sont pas sans rappeler un certain Lupe Fiasco et comme lui, son côté intello et son style de premier de la casse qui peut ennuyer voire agacer. Toujours est-il qu’il est adoubé par des ténors du rap autrefois dit « conscient » et politique, comme Chuck D et Black Thought, tous deux présents sur un « America« où il qualifie Trump de W. Bush en pire – ce qu’on ne souhaiterait honnêtement pas à notre pire ennemi. Et Killer Mike vient prêcher sur « Confess », un autre titre dynamité par des influences gospel et house music. Ce processus prend tout son sens une fois qu’on écoute donc « Waiting Room » puis le single « Black Spiderman », sur le fait d’assumer chacun son individualité. « AfricAryan » conclut Everybody sur la question de la couleur de peau, avec en bonus – surprise – une apparition de J.Cole, récitant un poème qu’il a écrit, sans musique.
D’autres sujets viennent sur la table. Comme la psychologie, une thématique de plus en plus discutée par les rappeurs actuellement, sur l’extrait « 1-800-273-8255 » et « Anziety« (la faute de frappe n’a pas été corrigée), psychanalyse là aussi faite sur le ton du monologue dans la seconde moitié après une première très stadium music dans l’esprit. L’apparition de Juicy J sur « Ink Blot » n’a rien d’une anomalie, le jeune homme étant un vrai fan des Three 6 et le titre n’entrave en rien la cohérence du projet. Pour gagner des bons points dans le cœur d’un certain public, le rappeur s’inspire de Mos Def, un de ses modèles, sur « Mos Definitely ».
Loin de nous endormir, les prods se conjuguent parfaitement avec la vitalité de Logic, que ce soit dans son flow ou dans sa volonté de rassembler. Voire de galvaniser. Son pote 6ix est toujours aux commandes, avec dans l’assistance des gros poissons comme DJ Khalil et No I.D.. Les instrus sont très énergiques (« Killing Spree », « Confess », etc…), ce qui ne crée aucun temps mort, si ce n’est « Waiting Room« qui n’est pas considéré comme un interlude. Evidemment, impossible d’échapper à la chanson radio-friendly que l’on aurait pu croire facultative par les temps qui courent (« 1-800-273-8255 »), avec son lot de mélodies pop et du chant (d’ailleurs, notre nerd chante plutôt bien). Aurait-il eu besoin de ça pour péter les scores et être numéro un, et accrocher un troisième disque d’or ? On demande à voir. Mais quelque chose nous dit qu’on aura la réponse très vite.