Chris Rock, R. Kelly, Afrika Bambaata, Rohff, Seth Gueko, et récemment Xxxtentacion ou Kodak Black. La liste des rappeurs ayant défrayé la chronique pour des affaires de meurs ou de violence est tristement longue. Si longue qu’elle commence sérieusement à faire de l’ombre à la conscience de tout amateur-trice de rap qui se respecte. Pour vous aider à savoir si écouter du rap en 2017 c’est pactiser avec le mal, on vous a concocté un tuto psy que même Marie Claire nous jalouserait. Vous nous remercierez plus tard.
« Au début j’aimais bien Xxxtentacion. Je lui trouvais même un côté vulnérable. Mais après avoir lui l’article de Pitchfork, j’ai eu envie de vomir » , raconte, émue, Stéphanie, 28 ans, responsable des RH dans une agence de com’.
« Franchement il est torturé, mais je dirais pas qu’il incite à quoi que ce soit. Il est la voix de ceux qui souffrent de troubles psychiques et qu’on entend pas« , estime Fabrice, 21 ans, étudiant en L2 psycho.
« Ça me débecte. Je comprends pas qu’on laisse un monstre pareil en liberté. Faut pas oublier qui sont les vraies victimes. » Natacha, 40 ans, éducatrice spécialisée.
Trois témoignages factices éclairants de nos chers lecteurs préoccupés, trois exemples qui démontrent qu’écouter à la fois du rap en 2017 et la voix de sa conscience est un exercice qui relève parfois plus du grand écart intellectuel que du parfait équilibre. Et il faut dire que certains artistes, comme Xxxtentacion, ont une fâcheuse tendance à renforcer certains de ces paradoxes, ou au final, nous mettre en face de la réalité. Écartelés entre des choix cornéliens (« Puis je vraiment écouter Kaaris parler de « Tchoin » en étant une fille ? Dois je prendre Alkpote au sérieux ? »), nous sommes de plus en plus obligés de prendre position. Une sorte de « Not in My Name » s’impose t-il ? Doit on se désolidariser du rap à la première incartade – voire littéralement, ignominie – de nos artistes favoris ? Doit-on on au contraire faire l’autruche et ignorer les pires agissements – une certaine misogynie, voir de la violence pour les cas les plus graves ? Si tu t’es déjà un jour posé ces questions, bon courage, car en 2017 le rap est tellement pluriel qu’il y’a de fortes chances que tu te retrouves esseulé(e) devant de cruels choix qui te laisseront aussi centré que Dupont-Aignant un jour de vent fort. Pour t’aider à affronter ce passage difficile et, pourquoi pas, à trancher si besoin, on te file quelques conseils psy à ranger rayon développement personnel, hashtag Marie Claire. Ça pourra toujours te servir lors des repas de famille.
Vie privée, vie publique : aujourd’hui, la société ne manque ni de moyens, ni de savoir-faire pour être en mesure de mettre Mireille Dumas au chômage technique. Ecouter un artiste à la morale discutable en cachette, c’est un peu comme chevaucher son scooter en catimini dans les nuits parisiennes pour rejoindre sa douce : d’une, le deux-roues en tant que passager, qu’est ce que c’est chiant, et de deux, ça finira bien par se savoir et c’est pas ça qui vous aidera à regagner l’estime de vos semblables. Cessez donc de vous torturer et de sursauter chaque fois qu’un individu est en mesure de voir la pochette d’un slow jam de R. Kelly sur l’écran de votre smartphone. Prenez un grand bol de courage et balancez ce bon vieux « Planet Rock » d’Afrika Bambaataa ; avant de fondre en larmes et d’expliquer à la première oreille tendue que comme pour le Chaussée aux Moines, « pardon, mais c’est trop bon ».
Face aux cruels dilemmes posés par les actes odieux de certains artistes que l’on ne peut pas s’empêcher d’écouter, il est facile de pousser son esprit à prendre la tangente. Se dire qu’écouter n’est pas cautionner. Tenter de différencier l’artiste de la personne – ce qui peut se révéler difficile lorsqu’un agresseur multirécidiviste au succès insensé écrit des choses comme « last time I wifed a bitch she told the world I beat her« . Cessons de nous voiler la face et tentons de ne pas en venir aux antidépresseurs, pour mieux nous recentrer. En parler, c’est quelque part approuver. C’est peut-être faire découvrir le personnage à des gens qui ne le connaissaient pas. C’est participer à rendre sa vie financièrement confortable. C’est lui montrer plus de soutien qu’il n’en mérite, en témoignent le nombre insensé de gênants « Free Xxx » ou « Free Kodak » qui pullulèrent lorsque les deux artistes furent enfermés pour des charges graves. A l’heure de Soundcloud et des services de streaming, on a à disposition littéralement des milliers d’artistes susceptibles de faire des choses aussi intéressantes que la quinzaine de cas sociaux qui nous mettent dans l’embarras. Si on continue de les écouter, c’est aussi que leurs personnalités nous fascinent, quoiqu’on en dise. Et si vous n’arrivez pas toujours à vous faire à cette idée, vous pouvez aussi opter pour le classique « je m’en bas les couilles », soit la posture de Siboy quand on aborde le sujet du présent article en interview : « J’en ai rien à foutre. Lorsque l’on me disait que Rick Ross était un menteur, je m’en foutais [Rick Ross a un passé de maton qu’il ne met pas trop en avant, ndlr]. Je me focalise uniquement sur le côté musical. Ensuite, bien sûr, il y a des vidéos de Xxx qui me choquent, mais c’est la vie, il fait ce qu’il veut. J’arrive à faire abstraction. Quand la musique est bonne, tu oublies tout. Alors je m’en fous et je repars écouter Kodak Black et les autres. »
Une fois passées les étapes de la colère et du déni, vient la phase du marchandage avec soi-même. Qui ne fut pas tenté de se faire une shortlist des rappeurs qu’il pourrait écouter la conscience tranquille, au moins juste pour voir ? Quelle stupeur de découvrir que même des MC à l’envergure « respectable » d’après l’opinion publique, comme J. Cole ou Kendrick Lamar, pouvaient être accusés d’employer des termes que l’on peut directement relier à de l’homophobie ! Raté pour le repos de conscience. Mais enfin, ressaisissez-vous. Aussi respectable que soit un artiste et aussi nobles que soient ses intentions, derrière l’auteur se cache toujours un être humain, avec ce que cela implique de failles et de contradictions. Tout n’est pas tout noir ou tout blanc. Surtout dans le rap où les protagonistes proviennent souvent d’environnements complexes que nous ne pouvons parfois qu’à peine imaginer. Sans tout expliquer, cela signifie aussi qu’il est bien facile d’écouter cette musique derrière son miroir poli, bien propre sur soi, à l’image de ce qu’a par exemple dénoncé Vince Staples dans le clip de « Senorita ». Un artiste n’est pas un dieu – voilà qui ne va pas plaire à Kanye West.
Ne pas DIRE QU’IL FAUT DE TOUT POUR FAIRE UN MONDE
Oui, ce paragraphe vient contredire le précédent, et c’est en cela que la question est épineuse et complexe, car elle vient appuyer justement en plein sur nos zones de confort. Un peu comme se faire expliquer la mécanique quantique par Vin Diesel bourré, réussir à concevoir qu’il faut parfois bel et bien séparer l’artiste de la personne demande beaucoup de souplesse d’esprit. Bon, quelque fois, l’exercice se révèle plus facile. Quand, par exemple, Gucci Mane vire une amie à lui de sa caisse à coups de talons, il serait mal aisé de mettre ça sur le compte d’un trajet Blablacar qui aurait mal tourné. Et quand Kevin Gates défraye la chronique en menaçant une prostituée avec un gun pour qu’elle couche avec son chien, peut on réellement blâmer les chaînes de documentaire animaliers ? « Ce que j’excuse le plus ? le pétage de plombs total », rappait il y’a peu longtemps Vîrus, un grand habitué des contradictions humaines. Pour autant, ça serait rejoindre Eric Ciotti, Jean Luc Mélenchon et Laurent Wauquiez sur l’autel de la mauvaise foi que de dire « ce que fait cet artiste dans la vraie vie ne m’intéresse pas », quand ces agissements, devenus publics par défaut, viennent justement nier certaines valeurs. Reste à définir ces « valeurs », et là, on vous laisse vous démerder avec vos cours de philo ou Doctissimo.
Ne pas affirmer qu’on peut tout dire dans le rap
Défenseurs de la liberté d’expression, ce paragraphe vous est dédié. Parce qu’il est vrai que, peu importe l’art, la censure constitue une atteinte à cette liberté d’expression tant chérie par ceux qui tentent de justifier leur morale discutable. Certains essaieront aussi d’obtenir votre pitié, à coup de phrases poignantes telles que : « Le rap conscient, ça ne paie pas tes factures. » Parce que si on pouvait vivre du rap en France, SURL serait une société offshore et nous serions probablement en train de vous écrire depuis les îles Caïmans. D’autres tenteront le coup de la distinction entre la fiction et l’intention réelle de passer à l’acte, s’appuyant sur des exemples médiatiques pour justifier leurs pensées nauséabondes – le Ministère Amer a-t-il réellement sacrifié des flics ? Orelsan a-t-il déjà levé la main sur une de ses copines ? Mais hélas, la liberté d’expression n’est pas sans limite et se cacher derrière la forme pour ne pas en assumer le fond ne fonctionne pas toujours. Finalement, accepter que tout peut être dit, que ce soit dans le rap ou dans toute autre forme d’art, c’est aussi accepter d’entendre certaines vérités, et on ne va pas vous l’apprendre : toute vérité n’est pas bonne à dire.
ASSUMER SES PARADOXES
Ah, vous pensiez vous en sortir comme ça avec votre mauvaise conscience, tranquille, comme au catéchisme ? Et non les potos, votre boulot d’être humain c’est aussi reconnaître que vous êtes faillibles. Par exemple, nous, avec le recul, on se dit qu’on a joué sans doute avec le feu en étant les premiers en France à publier un long article sur la fascination qu’exerce Xxxtentacion sur les ouailles, nous les premiers. Et à en croire les statistiques du dit article – à la louche, environ 26000 lectures –, nous n’étions évidemment pas les seuls à être attirés par la noirceur du bonhomme. Rétropédalage de notre part ? Peut être. Ou juste une façon un peu brutale de mettre les doigts dans la prise de conscience. Et d’en appeler à la bonne jugeotte des fans tout en gardant en tête qu’une génération d’auditeurs est née avec Rotten.com. De quoi péter plus d’un adducteur en terme de grand écart, une fois encore.